L’immobilier de bureau est redevenu plus attrayant

Yves Hulmann

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Pour Roger Hennig de Schroders, la prise en compte des critères ESG gagne en importance aussi dans l’immobilier.

Dans un environnement de taux très bas ou négatifs, les placements dans l’immobilier servent toujours plus souvent de substitut aux placements qui étaient traditionnellement alloués aux produits à revenu fixe. A quoi faut-il être attentif sur le marché suisse? Entretien avec Roger Hennig, responsable des investissements immobiliers pour la Suisse et l’Allemagne («Head Real Estate Investment Switzerland and Germany») chez Schroders.

Quelle est votre analyse de l’évolution du marché de l’immobilier en Suisse, à commencer par l’immobilier d’habitation?

Il faut bien sûr distinguer entre différents segments. S’agissant de l’immobilier d’habitation, on peut dire que ce marché est désormais devenu plus exigeant en termes d’investissement. Il y a moins d’immigration que durant la première moitié de la décennie. Il y a eu par exemple beaucoup moins d’Allemands qui se sont installés récemment en Suisse qu’au début de la décennie. Cela dit, même dans ce contexte, il y a des endroits où la demande reste forte dans l’immobilier d’habitation. Dans les cinq plus grandes villes suisses – Zurich, Bâle, Genève, Berne et Lausanne – il n’y a pratiquement pas de surfaces vacantes et il est toujours très difficile d’y acquérir un objet immobilier. C’est aussi un facteur de difficulté pour les investisseurs car il est très difficile de trouver des objets immobiliers à des prix abordables. A la campagne et dans les agglomérations, il y a au contraire de très nombreuses localités et régions où de nombreux logements restent vides.

Les grandes villes Suisse ne se différencient pas vraiment
des autres grands centres urbains en Europe.
Quel est l’impact de l’évolution du cadre réglementaire sur le marché de l’immobilier?

Outre l’immigration et l’évolution de la conjoncture, il faut bien sûr aussi tenir compte de l’influence de la réglementation sur les prix, qu’il s’agisse des contraintes, notamment en termes de fonds propres, qui sont imposées pour les personnes qui souhaitent acquérir un bien immobilier ou de réglementations plus locales. Etant donné que pouvoir se loger dans les grands centres est devenu hors de prix pour une partie de la population, différentes initiatives sont mises en place pour rendre les logements plus abordables dans de nombreuses villes. Dans certains cas, il s’agit plutôt d’accroître l’offre de logements à loyers modérés dans le cadre de coopératives d’habitation. Dans d’autres villes, comme Berlin ou Genève, les discussions portent sur des mesures plus contraignantes visant à geler le niveau des loyers. De ce point de vue-là, on voit que les grandes villes Suisse ne se différencient pas vraiment des autres grands centres urbains en Europe. En tant qu’investisseur, il faut aussi être attentif à ces développements.

Et qu’en est-il de l’immobilier commercial?

A l’inverse de l’immobilier d’habitation, où l’offre est devenue excessive par rapport à la demande dans certaines régions, je pense que la situation est redevenue plus attrayante dans l’immobilier de bureau pour les investisseurs en Suisse - la situation était encore tout autre il y a cinq ans. D’une part, on constate que l’économie s’est développée de manière plus dynamique au cours des dernières années. D’autre part, on observe aussi que la demande pour les surfaces de bureaux émanant de nouveaux secteurs a compensé la baisse de la demande d’autres branches. Ainsi, la demande du secteur financier a certes diminué – les banques et les assurances préférant transférer une partie de leurs activités à l’extérieur des grands centres – mais celle des entreprises du secteur des technologies a, elle, au contraire augmenté. A titre d’exemple, à Zurich, plusieurs grandes banques et assurances ont déplacé une partie de leurs effectifs du centre-ville vers la périphérie proche. Cependant, Google et d’autres firmes technologiques préfèrent, elles, s’installer dans le centre, notamment pour être plus attrayantes pour leur personnel, souvent jeune, et qui préfère travailler dans des endroits animés - avec restaurants, fitness, etc. -  plutôt que dans des surfaces de bureau situées en périphérie.

Quand de grands établissements - à l’exemple d’UBS qui vient de quitter un grand bâtiment au centre de Zurich et qui a aussi délocalisé à la fin de l’été environ 600 emplois à Bienne - transfèrent des équipes entières en périphérie des grands centres, voire plus loin, est-il toujours possible de trouver d’autres locataires pour des surfaces de cette taille – et avec quels coûts d’aménagement?

Différentes solutions peuvent être envisagées pour ce type de surfaces. Soit en réaménageant différemment ces surfaces de bureaux, en offrant par exemple des plus petites unités pour d’autres entreprises. Soit en les transformant en des espaces de travail flexibles, en hôtels et dans certains cas en logements. Bien sûr, à court terme, ce type de réaffectation exerce une pression à la baisse sur les rendements, compte tenu des coûts des travaux nécessaires. Toutefois, en fonction des situations, il se peut aussi qu’une réaffectation permette au propriétaire du bâtiment d’améliorer son rendement sur le long terme. On ne peut pas dire qu’une réaffectation se traduise par une perte pour le propriétaire.

Les aspects liés à la durabilité deviennent de plus en plus indispensables
pour préserver ou améliorer la valeur sur le marché d’un objet immobilier.
Quelles sont les perspectives pour les surfaces destinées à la vente, notamment celles situées dans les grands centres commerciaux en périphérie des villes?

Le secteur du commerce détail connaît déjà des difficultés depuis plusieurs années – et cela avant même le boom récent du commerce en ligne. Ici aussi, il faut toutefois distinguer entre plusieurs sous-segments. D’une part, il y a les grands magasins qui traversent des temps difficiles. D’autre part, on observe aussi que le secteur de l’alimentation résiste bien au commerce en ligne. On observe même une hausse des surfaces louées en raison de la présence accrue de certaines enseignes à l’exemple d’Aldi et Lidl qui n’étaient pas présents en Suisse il y a une quinzaine d’années. Je ne crois pas que l’ensemble du commerce de détail soit voué à disparaître. Il y a bien sûr certains segments – comme la mode et l’électronique ou la part du commerce en ligne avoisine les 30% - qui continueront de souffrir mais on n’assistera pas à la fin du commerce stationnaire. On voit aussi que certaines enseignes, comme Hornbach, développent la part du commerce en ligne tout en ayant une forte présence physique. La branche du commerce de détail est en mutation et il faut aussi s’y adapter.

L’autre grande tendance du moment est celle de la durabilité. Comment les gérants de fonds immobiliers intègrent-ils cette dimension?

La pression à disposer d’un parc immobilier conforme aux principes ESG, avec notamment une réduction des émissions de CO2, vient de différents côtés. La pression la plus importante est certainement celle qui vient des locataires – certaines multinationales comme Johnson & Johnson et Coca-Cola ont clairement fait savoir qu’elles n’allaient plus louer certaines surfaces de bureaux si celles-ci ne respectent pas certains critères en termes d’efficience énergétique. Et il y a évidemment aussi la pression qui provient des investisseurs eux-mêmes: certaines caisses de pension n’investissent plus que dans des fonds immobiliers qui respectent certains critères. De notre côté, lors de chaque achat d’objets immobilier ou lors de réaffectations de ceux-ci – par exemple au moment du changement de locataire -, nous évaluons comment un bâtiment peut être amélioré d’un point de vue énergétique. Plus d’une dizaine de personnes chez nous s’occupent de ces aspects. Enfin, les aspects liés à la durabilité deviennent de plus en plus indispensables pour préserver ou améliorer la valeur sur le marché d’un objet immobilier. Dans l’ensemble, je pense que la prise en compte des critères ESG est incontournable dans l’immobilier compte tenu de son impact environnemental: sur le plan mondial, on estime que l’immobilier et la construction représentent à eux seuls 40% du total des émissions de CO2. En Suisse cette part est moindre mais elle se situe tout de même à plus de 30% des émissions totales de gaz de carbone.

Dans l’immobilier, il est indispensable
d’avoir une stratégie de long terme.
Comment améliorer cette situation?

Dans l’immobilier, il est indispensable d’avoir une stratégie de long terme. A cet égard, on ne peut pas seulement compter sur l’arrivée sur le marché de nouveaux bâtiments plus efficients d’un point de vue énergétique – ils ne représentent qu’à peine quelque pourcent de l’ensemble du parc immobilier chaque année – mais il faut aussi améliorer l’efficience énergétique du parc immobilier existant. Cela d’autant plus que la destruction suivie de la reconstruction de bâtiments engendre aussi beaucoup d’émissions de CO2.

L’autre termes à la mode du moment est celui de l’investissement d’impact. Peut-on aussi l’appliquer à l’immobilier?

A la différence de l’intégration des critères ESG, l’investissement d’impact doit remplir au moins deux fonctions. Outre l’obtention d’un rendement financier, l’investisseur attend de l’investissement d’impact que celui-ci ait aussi un effet positif en fonction d’objectifs à la fois définis et mesurables. Dans l’immobilier, cet impact peut concerner un aspect lié à la consommation d’énergie mais aussi porter sur d’autre aspects comme la transformation sociale d’un espace d’habitation. Un propriétaire immobilier peut par exemple décider de louer le 90% de ses surfaces au prix du marché et de garder 10% qui sont attribués sur la base de critères se rapportant à leur utilité collective. Il peut s’agir d’espaces affectés à des crèches, des commerces de proximité, des lieux de rencontres, etc. Cette dimension est toutefois directement intégrée dans la conception du projet dans son ensemble.