La conférence Web4connect, qui se tient ce mardi à Genève, réunit plusieurs dizaines d’experts et de dirigeants de sociétés qui s’exprimeront sur différents sujets en lien avec la finance, la blockchain et l’intelligence artificielle. Le point avec Vincent Pignon, fondateur et Executive Chairman de Wecan Group, qui co-organise l’événement.
Quels sont les points forts de l’édition 2024 de Web4connect et en quoi celle-ci se différencie-t-elle des années précédentes?
Web4connect se tient pour la troisième fois à Genève. Cette année, l’événement s’adresse aux sociétés actives dans les services financiers et aborde différentes thématiques qui sont consacrées aux deux tiers aux développements en lien avec la blockchain et le Web 3.0, le tiers restant se rapportant à l’intelligence artificielle. En ce qui concerne le format de l’événement, il est plus exclusif que les années précédentes et il s’adresse avant tout aux leaders du secteur. D’un point de vue géographique, les participants à l’événement proviennent, en plus de la Suisse romande, aussi de Suisse alémanique, qui sont plus nombreux que l’an dernier, tout comme de France, du Luxembourg et du Royaume-Uni. En plus des banques et des gérants de fortune, de nombreux family offices ou gérants d’actifs prennent aussi part à l’événement.
Au sortir de la pandémie et jusqu’à fin 2022, les questions en rapport avec la sécurité et la résilience des infrastructures semblaient dominer l’actualité en lien avec les cryptomonnaies et la blockchain. Depuis 2023, l’attention du public semble se porter davantage sur l’évolution des cours des cryptomonnaies comme c’est le cas pour n’importe quelles autres classes d’actifs. Comment l’expliquez-vous?
Un des changements majeurs depuis 2023 est que les investisseurs institutionnels sont désormais véritablement entrés dans le jeu et qu’ils s’intéressent nettement plus aux développements en lien avec la blockchain qu’auparavant. Les grands investisseurs institutionnels sont même désormais des acteurs centraux dans ce domaine. L’arrivée sur le marché d’ETF au comptant sur le Bitcoin et l’Ethereum a vraiment changé la donne.
A la fin de l’hiver dernier, l’annonce du lancement des premiers ETF au comptant sur le Bitcoin («ETF Bitcoin Spot») a entraîné un bond spectaculaire du cours de cette cryptomonnaie entre février et mars. Pourquoi cet événement a-t-il eu une influence aussi grande sur les prix des cryptomonnaies? Auparavant, de multiples plateformes permettaient déjà aux investisseurs intéressés d’acheter toutes les cryptomonnaies qu’ils souhaitaient…
Bien sûr, il était déjà possible d’acheter des cryptomonnaies avant le lancement sur le marché des ETF au comptant. Néanmoins, le lancement des premiers ETF au comptant sur le Bitcoin, puis l’Ethereum, a changé la perception des acteurs du marché. Il y a vraiment eu un «avant» les ETF spot sur le Bitcoin et un «après». Avant, les cryptomonnaies n’étaient pas encore véritablement perçues comme une classe d’actifs qui s’adressaient à tout le monde. Après, l’arrivée des premiers ETF spot sur le Bitcoin, puis sur l’Ethereum, ont contribué à établir encore un peu plus ces cryptomonnaies dans l’offre de placements ouverte aux investisseurs.
En outre, on peut aussi observer qu’il y a de plus en plus d’acteurs institutionnels qui offrent des solutions sûres et simples qui permettent de stocker les actifs numériques ou «digital assets».
Enfin, au-delà des cryptomonnaies, les développements liés à la tokénisation permettent à différents investisseurs de pouvoir investir dans des classes d’actifs qui n’étaient accessibles qu’à très peu d’entre eux auparavant. Grâce à la tokénisation, il est désormais possible d’acheter des parts dans certains objets immobiliers spécifiques, dans des voitures de collection ou des œuvres d’art. Il est désormais possible d’utiliser ces actifs en tant que sous-jacent ou comme garantie pour obtenir des prêts.
Un certain nombre de tables rondes de Web4connect sont consacrées cette année à l’intelligence artificielle (IA). L’arrivée de l’IA simplifie-t-elle les choses pour les investisseurs ou ajoute-t-elle encore une couche de complexité dans le domaine des crypto-monnaies?
Durant une première phase, l’IA a plutôt brouillé le message. Ce que l’on observe maintenant – et on travaille aussi sur ce sujet avec l’EPFL -, c’est que les deux technologies, soit l’IA et la blockchain, sont en réalité très complémentaires, notamment en ce qui concerne les aspects liés à la traçabilité.
Il sera aussi possible d’automatiser plus facilement certaines tâches. L’IA va se baser sur des indications potentiellement prédéfinies. Le défi sera ensuite de s’assurer que les informations qui ont servi à produire le résultat souhaité, et qui ont été recueillies par l’IA, étaient bien les bonnes. Une des difficultés est toujours de parvenir à s’assurer qu’il n’y ait pas d’utilisation biaisée des IA. Mais, une fois que ce travail a été effectué, un des grands avantages de l’IA est qu’elle permet d’interroger le système facilement en fonction des informations souhaitées par l’utilisateur. Une des grandes réussites d’outils tels que ChatGPT est d’avoir apporté cette facilité d’usage, qui permet d’interroger le système sur différents sujets. Je pense que cela sera aussi le cas avec la blockchain. Jusqu’à récemment, tout ce qui avait trait à la blockchain ou aux cryptomonnaies restait réservé à un public d’initiés. Les choses ont certes commencé à se démocratiser peu à peu. Toutefois, je pense que l’apport de l’IA permettra d’effectuer encore des progrès importants dans ce domaine.
Pouvoir s’assurer qu’une personne détient bel et bien tel ou tel montant dans une cryptomonnaie n’est pas quelque chose de trivial jusqu’à présent. Avec l’IA, de telles données pourront être directement consultables à l’aide d’outils qui recourent à l’intelligence artificielle. Par exemple, il sera possible pour une personne de vérifier à l’aide d’un simple outil conversationnel que les données de conformité sont bien authentiques. L’interopérabilité entre, d’un côté, l’utilisateur final, et, de l’autre, la base de données ou la blockchain sera grandement améliorée. Dans l’ensemble, je m’attends à ce que l’IA apporte davantage de démocratisation dans un domaine qui était, jusqu’à il y a peu, encore réservé à des initiés.
Jusqu’en 2021 et 2022, beaucoup de questions au sujet des cryptomonnaies tournaient autour de la sécurité des transactions. Ou en sommes en 2024?
2024 est à mon avis l’année de l’institutionnalisation dans le domaine des cryptomonnaies et des crypto-actifs. Jusqu’à 2022, les achats de cryptomonnaies se passaient souvent sur toutes sortes de plateformes, parfois encore plus ou moins frauduleuses. Il y a eu des fraudes massives à l’exemple de FTX, des investisseurs ont été confrontés à des «hacks». De plus, les aspects réglementaires étaient encore souvent relégués au second plan.
«On est en quelque sorte passé d’une industrie de cow-boys à une industrie beaucoup plus traditionnelle et qui est, par conséquent, aussi beaucoup plus réglementée.»
Maintenant, des plateformes comme Binance ne parlent plus que de compliance. Ripple, qui a annoncé en début d’année s’installer à Genève, est aussi très focalisé sur les questions de compliance. Bref, on est en quelque sorte passé d’une industrie de cow-boys à une industrie beaucoup plus traditionnelle, et qui est, par conséquent, aussi beaucoup plus réglementée.
Dans l’ensemble, le sujet de la sécurité est maintenant résolu pour la plupart des acteurs de la branche. Bien entendu, il y a encore certains acteurs avec lesquels il faut demeurer très vigilant. Toutefois, même si le risque n’a pas complétement disparu, le secteur des cryptomonnaies est désormais beaucoup plus encadré et sécurisé qu’auparavant.
Est-ce aussi une chance pour la Suisse de pouvoir se profiler comme un environnement beaucoup plus sécurisé pour les acteurs du domaine des crypto-actifs?
Une des forces de la Suisse a été de poser très tôt un cadre réglementaire stable dans ce domaine, capable aussi d’évoluer. En comparaison, la réglementation mise en place par l’UE, entrée en vigueur en 2023, est déjà presque obsolète – au point que les autorités européennes travaillent déjà sur la version 2 de la régulation MiCA1.
Au niveau de notre propre événement, on voit aussi que la Suisse est très attrayante pour les acteurs clés du domaine, qui sont souvent venus de l’étranger. Paolo Ardoino, le CEO de Tether, est en Suisse. C’est le cas aussi de Pascal Gauthier, le CEO de Ledger. Venu de Belgique, Kevin de Patoul, le CEO et co-fondateur de KeyRock, est également en Suisse. Et il y aurait plein d’autres exemples de tels parcours similaires que l’on pourrait citer.
Concernant Wecan Group, vous avez annoncé lundi un accord avec UBP. Qu’est-ce que cela signifie pour vous?
C’est un exemple de plus qui montre que les acteurs établis et les investisseurs institutionnels sont désormais bien décidés à continuer à poursuivre leurs investissements en lien avec la blockchain. Cet accord montre aussi qu’il existe maintenant une relation de confiance entre le secteur bancaire et des prestataires comme Wecan Group qui fournissent la technologie nécessaire dans ce domaine.
«Un autre exemple qui atteste de l’institutionnalisation de la blockchain dans le secteur de la finance est aussi que Web4connect a obtenu cette année le soutien de Genève Place Financière, en plus de l’Etat de Genève.»
Un autre exemple qui atteste de l’institutionnalisation de la blockchain dans le secteur de la finance est aussi que Web4connect a obtenu cette année le soutien de Genève Place Financière, en plus de l’Etat de Genève. On peut aussi citer la présence d’acteurs tels que SDX, filiale de SIX Group, l’exploitant de la bourse suisse. Tout cela montre que les acteurs institutionnels reconnaissent désormais l’importance de cette thématique pour l’avenir de la place financière.
1ndlr: Markets in Crypto-Assets Regulation.