A l’avant-garde de l’assurance

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Réchauffement climatique, vieillissement de la population, guerre cybernétique. Le point avec Inga Beale sur les risques contemporains.

Les compagnies d’assurance et de réassurance sont aux avant-postes des problématiques économique et sociale d’aujourd’hui et de demain. Aux dommages provoqués par les cataclysmes nés du réchauffement climatique, à l’assistance médicale et sociale de longue durée induites de courbes démographiques inversées, au piratage informatique commandité (ou non) par des gouvernements, l’industrie de l’assurance doit apporter de nouvelles réponses. Entretien avec Inga Beale, première femme à avoir assumé la direction du Lloyd’s de Londres pendant cinq ans jusqu’en octobre dernier.

Les catastrophes naturelles se multiplient à un rythme alarmant. Avec quel impact économique?

Le coût global des catastrophes naturelles et d’origine humaine a été estimé à 337 milliards de dollars pour 2017, dont 144 milliards couverts par les assurances. Les pertes sur les seuls biens assurés des ouragans Harvey, Irma et Maria1 se sont montés à plus de 92 milliards soit 0,5% du PIB américain. La fréquence et la sévérité des évènements climatiques extrêmes s’accroit, et avec elles, le montant des dommages. La hausse des températures océaniques génère des quantités de pluies diluviennes dont la vitesse d’accumulation est l’une des grandes constatations faites au moment de l’ouragan Harvey. De manière plus générale, la moyenne sur 3 jours des précipitations s’est accrue de 10% sur le dernier siècle. Mais les chiffres cités un peu partout ne concernent que les biens couverts par des polices. Pour 2018, les pertes non-assurées ou sous-assurées ont été évaluées à plus de 162 milliards de dollars dont 96% dans les pays émergents. Les démunis, ceux qui en ont le plus besoin, sont justement ceux qui ne contractent pas d’assurances et doivent compter sur les Etats ou sur l’aide internationale pour se remettre sur pied.

Toutes les analyses concluent que les pays où la couverture d'assurance
est la mieux établie se remettent plus rapidement du choc.
Les écarts de couverture sont-ils considérables?

Ils le sont. Dévastés par les tempêtes et paralysés par les tremblements de terre, les pays comme Haïti, le Guatemala, le Costa Rica, El Salvador ou le Nicaragua, ne disposent pratiquement pas d’assurance contre les cataclysmes. D’après le rapport publié par Lloyds l’an dernier, le Bangladesh, pays où l'on s'attend à subir les pertes annuelles les plus élevées à la suite de catastrophes naturelles, présente également le plus grand déficit d'assurance par rapport au PIB (2,1%). En dollars, cela équivaut à une carence de près de 6 milliards de dollars. Le deuxième pays en importance est l'Indonésie, avec 1,4% du PIB, ce qui équivaut à un déficit d'assurance de 15 milliards. Or, toutes les analyses concluent que les pays où la couverture d'assurance est la mieux établie se remettent plus rapidement du choc et se reconstruisent avec davantage de résilience, tout en diminuant la charge à laquelle sont soumis les contribuables. La pénétration élevée des assurances en Nouvelle-Zélande a permis à ce pays, relativement vulnérable, de se relever rapidement à chaque fois.

Des mesures ont-elles été prises?

La fragilité d’un grand nombre de pays est à l’origine du lancement en 2016 de l’Insurance Development Forum, dans le sillage de la COP21. Ce partenariat public/privé entre l’industrie de l’assurance et les organisations internationales a pour objectif d'adopter une approche fondée sur les risques pour gérer les dommages liés au réchauffement climatique et aux événements extrêmes associés afin de combler le « protection gap » correspondant aux quelques 160 milliards d’actifs sous-assurés des pays émergents que je mentionnais plus tôt. Son but est de renforcer la résilience au niveau mondial et de protéger les économies les plus faibles. Car les capitaux sont disponibles mais sont mal distribués.

Il existe une haute concentration des risques dans certains pays développés. Pose-t-elle des problèmes particuliers?

Les principales régions exposées sont la Californie et le Japon en raison de leur vulnérabilité aux tremblements de terre. C’est un problème crucial pour les assurances dont les portefeuilles doivent être diversifiés et qui peinent à absorber une telle concentration. En 1965, 80% des dommages de l’ouragan Betsy2 ont été remboursés par les assurances. A contrario, la couverture de l’ouragan Sandy de 2012 a été assumée à 80% par l’Etat. On note, de manière plus générale, que les Etats interviennent chaque année davantage, même dans les pays riches. C’est donc le contribuable qui, en fin de compte, règle la note.

La technologie peut apporter une différentiation à l’échelle planétaire
au niveau de la réduction du «protection gap» des pays émergents.
Le modèle actuel de l’assurance – en particulier le contrôle des sinistres – est très couteux. Comment l’industrie envisage-t-elle de le faire évoluer?

Grâce à la technologie. Le contrôle des fuites est aujourd’hui possible grâce aux senseurs qui évitent de déplacer un expert pour constater les dégâts des eaux. Mais là où la technologie peut apporter une différentiation à l’échelle planétaire est justement au niveau de la réduction du «protection gap» des pays émergents. Dans le champ de la micro-assurance, par exemple, les dédommagements attachés à certaines polices peuvent être déclenchés par des indicateurs météorologiques (température, pluviométrie) enregistrés par satellite. Au-delà de certains seuils, l’assurance dédommage automatiquement les agriculteurs. Ces modèles paramétriques sont bien moins couteux que les approches classiques et permettraient de protéger des millions de personnes qui, aujourd’hui, ne peuvent s’autoriser la souscription à une police d’assurance.

Le vieillissement de la population est un autre enjeu de taille pour les assurances.

Les soins médicaux des personnes âgées et l’assistance de longue durée sont pour l'essentiel pris en charge par les Etats, sur la base de systèmes conçus à une autre époque et avec les conséquences que l’on sait. Les compagnies d’assurance vont devoir y jouer un rôle croissant en s’appuyant sur une alliée de plus en plus solide: la médecine préventive. Avec pour corollaire, une responsabilisation des patients.

Piratage informatique et guerre cybernétique, le litige entre Mondelez et Zurich Insurance fera-t-il école?  

Les premières polices d’assurance couvrant le piratage datent de 1999. Ce type de couverture n’a pas encore atteint sa maturité. L’une des grandes difficultés à surmonter est la discrétion des entreprises victimes qui n’osent déclarer l’étendue des dommages pour ne pas nuire à la confiance des consommateurs. Je vois là la nécessité d’un organisme indépendant qui centraliserait les données de manière anonyme pour fournir aux assurances une base statistique de calcul des risques.

 

1 Dix ouragans se sont succédé dans l’Atlantique nord entre août et octobre 2017. Les trois ouragans majeurs de cette saison cycloniques sont appelés respectivement Harvey, Irma et Maria.
2 L'ouragan Betsy a été l'ouragan le plus violent de la saison 1965 pour la région atlantique. Il a causé d'énormes dégâts dans les Bahamas, la Floride, et la Louisiane.

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