L’économie américaine se porte bien

Nicolette de Joncaire

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Actions - principalement américaines - et pas de risque de duration sur l’obligataire: la stratégie d’Alexandre Drabowicz, d’Indosuez Wealth Management.

La résilience de la croissance aux Etats-Unis en a surpris plus d’un. Jerome Powell a tenu le pari impossible de passer les taux de 0 à 5,5% sans la mettre à genou. Résolument haussier sur les actions et prudent sur les taux, Alexandre Drabowicz, Chief Investment Officer d’Indosuez Wealth Management, répond à quelques questions. 

Quelles sont vos vues sur l’économie américaine cette année?

Tout au long de 2023, les prévisions ont été très instables. Le consensus oscillait entre soft-landing et hard-landing. En ce qui nous concerne, nous ne parlions déjà plus, depuis juin dernier, de récession mais de contraction. Un terme que nous avons d’ailleurs abandonné en octobre au vu de la résilience de l’économie aux Etats-Unis. Sur 2024, nos prévisions de croissance se situent à 2,3% en termes réels. Très au-dessus de nos prévisions de 1,2% en fin d’année dernière et bien supérieures au consensus. L’économie américaine se porte bien, Jerome Powell a tenu le pari impossible de passer les taux de 0 à 5,5% sans mettre la croissance à genou.

Quels sont les éléments qui vous permettent d’être confiants?

Nous constatons encore des excédents d’épargne de l’ordre de 500 milliards, un marché de l’emploi robuste et une progression positive des salaires réels et donc de la capacité à dépenser. N’oublions pas que 70% du PIB américain est constitué par la consommation domestique. 

Compte tenu du déficit public, peut-on encore parler de stimulus budgétaire?

Non, il n’en est plus question. Le trésor public doit débourser 1000 milliards de charge d’intérêt annuellement, soit 20% de ses dépenses totales. C’est d’ailleurs l’une des grandes inquiétudes de 2024. Comment le gouvernement américain va-t-il refinancer sa dette quand ses trois plus grands investisseurs institutionnels – le Japon, la Chine et la Réserve fédérale elle-même – n’en achètent plus? Grâce (ou à cause) des T-bills à 5,5%, cette dette est passée désormais en mains privées ce qui signifie des exigences de rendement bien plus élevées et donc davantage de volatilité sur le marché obligataire. Nous conseillons à nos clients de se concentrer sur des maturités intermédiaires (jusqu’à 5 ans) pour verrouiller les taux plus élevés à court terme.

La Chine est en nette décélération et a du mal à repartir car elle n’arrive pas à rééquilibrer son modèle économique en faveur de la consommation domestique. 

Quelles sont vos prévisions d’inflation et de taux directeurs dans les différentes zones?

Aux Etats-Unis, nous prévoyons une inflation autour de 2,6% sur 2024 et de 2,5% en zone euro.  Les banques centrales vont baisser les taux de 100 points de base sur l’année à partir du 2e trimestre et de manière synchronisée. Il est envisageable que la BCE le fasse en premier parce que la croissance se détériore plus vite en Europe (même si la protection de la croissance ne fait pas partie de son mandat). Rappelez-vous qu’il y a encore peu, les marchés anticipaient sept baisses de taux en 2024 à partir de mars. La probabilité d’une première coupe en mars était de 90% fin décembre; elle n’est plus que de 10% aujourd’hui. Les investisseurs s’étaient trop emballés sur un ralentissement économique qui n’a pas eu lieu. Il est plus plausible désormais que les baisses de taux démarrent à partir de mai-juin pour terminer sur des taux directeurs à 4,5% aux USA et à 3% en Europe à la fin de l’année. Il y a enfin convergence entre les anticipations des marchés et l’orientation des banques centrales.

Compte tenu de ces convictions quelle est votre appréciation du marché?

Nous sommes surexposés aux marchés actions et surtout aux actions américaines qui vont profiter de l’Influence positive de l’intelligence artificielles. Les valorisations y sont certes élevées mais les sociétés promettent d’être très profitables. Nous favorisons plutôt les grandes capitalisations car il est, à notre sens, trop tôt pour anticiper une rotation vers les mid et les small caps. La domination des actions US ne nous empêche toutefois pas de nous intéresser aux actions des pays émergents. 

Qu’en diriez-vous?

La Chine est en nette décélération et a du mal à repartir car elle n’arrive pas à rééquilibrer son modèle économique en faveur de la consommation domestique. Les investisseurs étrangers l’ont d’ailleurs désertée à cause du manque de visibilité que la politique gouvernementale fait peser. Mais d’autres marchés émergents sont plutôt bons donc nous y avons un scenario d’investissement positif car ils offrent des titres deux fois moins chers que les US et souvent deux fois plus profitables. Je pense en particulier à Taiwan, à la Corée du Sud ou à l’Inde dont le poids dans le MSCI émergent est de l’ordre de 18% ce qui veut dire qu’il a été multiplié par 5 en 5 ans alors que celui de la Chine n’est plus que de 25%. Même si la Chine est « too big to ignore », on observe la montée de l’appétit pour les ETF MSCI EM ex China. 

Le Japon a connu une vitalité inattendue en 2023. Quelle est votre opinion?

La difficulté au Japon est d’évaluer correctement les rendements en fonction de la devise. Sur un an, les titres japonais ont gagné 40% en yen mais 25% en euro. D’autres actifs ont fait beaucoup mieux. Certes les réformes de la gouvernance d’entreprise, les rachats de titres, l’effet Warren Buffet, ou celui de proxy à la Chine sur un marché sous-détenu par les étrangers, sont à prendre en considération. Mais au Japon il faut être très sélectif sur les titres et couvrir adéquatement le taux de change si on ne veut pas perdre la moitié de la performance. Aujourd’hui, les investisseurs s’attendent à une normalisation de la politique monétaire japonaise (qui passerait les taux à 0 mais pas plus car la Bank of Japan n’est pas convaincue que la déflation soit finie). En outre, le gouvernement vient de démarrer un nouveau stimulus fiscal et la banque centrale ne va pas risquer de compromettre cette politique. 

Avec une stratégie résolument pro-actions, quelle place laissez-vous aux autres classes d’actifs?

La partie obligataire redevient un socle de rendement du portefeuille mais comme je l’évoquais plus haut, il faut aller chercher le maximum de rendement sous les 5 ans et ne pas prendre de risque de duration. Sur le crédit, nous préférons l’Investment Grade et sommes très prudents sur le High Yield pour éviter les défauts. Sur les devises, notre préférence va au dollar, y compris pour les titres des marchés émergents. 

Que prévoyez-vous les marchés privés?

Notre équipe de private equity qui est basée en Suisse, se montre assez optimiste sur 2024. Elle pense que l’accent va être mis sur l’efficacité des gérants plutôt que sur des effets de levier financier. Avec des gérants impliqués dans le management des sociétés investies beaucoup plus performants. En termes d’IPO, nous constatons beaucoup d’ouvertures de dossiers après un arrêt presque complet du marché depuis un an et demi. Quant aux hedge funds, ils présentent peu d’intérêt. Difficile de battre un obligataire à 5-6%. Et puis les meilleurs fonds (offshore) sont fermés et depuis longtemps. 

Comment envisagez-vous la présidentielle américaine de novembre?

Le pronostic est compliqué mais il existe une certaine probabilité de voir Trump revenir. Faut-il s’en inquiéter? Sur le plan des marchés financiers, je ne le pense pas car il faut dissocier la personnalité des candidats du sort des marchés financiers. En année électorale, on constate toujours une surperformance des actions US. Quel que soit le résultat des élections, on ne voit s’y profiler aucun programme d’austérité. Par contre, si Trump passe, l’Europe pourrait en souffrir en raison d’un retour de droits d’importation élevés. Mieux vaudrait tabler dans ce cas sur des entreprises qui fabriquent aux Etats-Unis. 

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