Investissement responsable: la sincérité de l’engagement fera la différence

Yves Hulmann

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Pour Jean-François Hirschel de H-Ideas, le public saura différencier les acteurs qui ont un engagement sincère dans l’ISR et ceux qui le font par opportunité.

L’investissement durable ou responsable est devenu un sujet majeur dans le domaine des placements ces dernières années. Comment les gérants peuvent-ils adapter leur modèle d’affaires en intégrant ces aspects? Le point avec Jean-François Hirschel, fondateur et directeur de H-Ideas, une société genevoise de conseil qui se donne pour objectif de rétablir la confiance dans le domaine financier. Elle aide des sociétés financières à redéfinir leur positionnement stratégique au niveau de leur marque et des produits, y compris en ce qui concerne les aspects liés à l’investissement socialement responsable (ISR) et à la durabilité.

H-Ideas insiste sur la nécessité de rétablir la confiance dans le domaine financier. Si l’on devait comparer deux grandes crises récentes, soit la crise financière globale des années 2008-09 et celle du Covid-19, pensez-vous que des progrès ont été effectués au cours des dix dernières années dans la branche?

La crise financière des années 2008 et 2009 correspondait à une crise relativement classique, résultant d’exagérations survenues au cours des années précédentes. On avait tiré trop fort sur l’élastique et celui-ci a fini par se casser. Cette crise a mis en évidence une période d’excès où le secteur de la finance avait eu une grande soif de gains. Elle a eu un grand impact en termes de réputation – d’un coup, tout était devenu la faute de la finance.

En comparaison, la crise du Covid-19 - dont l’évolution reste encore largement incertaine - est très différente. Cette fois, le coupable n’est pas la finance – elle pourrait même être la solution à une partie des problèmes. La crise récente a aussi permis de mettre en évidence le fait que certains paramètres, à priori non financiers, peuvent ensuite avoir un impact financier bien concret sur la valorisation des entreprises. Cela a par exemple été le cas de sociétés pétrolières, dont les cours se sont effondrés suite au confinement. D’un coup, on a réalisé que l’absence de prise en considération de certains facteurs extra-financiers – qu’ils soient environnementaux ou sociaux – pouvait avoir des conséquences financières bien réelles. Cette prise de conscience est essentielle: on ne sait pas dire où et quand surviendront les impacts du changement climatique, mais on sait qu’ils se matérialiseront.

Il y a une telle demande de la part des investisseurs au sujet de la durabilité
que les gérants ne peuvent pas rester à l’écart de cette thématique.
Quelles structures sont les plus à même d’intégrer la dimension de l’investissement socialement responsable (ISR): les spécialistes de la durabilité, comme des boutiques spécialisées dans la finance d’impact par exemple, ou alors les généralistes, tels que les grandes banques ou les gérants d’actifs largement diversifiés?

Les grandes structures ont bien sûr l’avantage de leur taille et de leur force de frappe. Elles peuvent mettre sur pied une équipe consacrée à l’investissement responsable assez rapidement. La question qui se pose ensuite dans les grandes structures est celle de savoir si les principes de l’investissement responsable s’appliquent à la totalité de ce qu’ils font ou seulement à une partie de leurs activités. Une des clés pour réussir un processus de transformation est de parvenir à convaincre les gérants que la prise en compte de la durabilité est aussi une source de performance - et pas seulement une contrainte.

S’agissant des boutiques, on voit qu’elles font souvent preuve d’une grande sincérité dans leur activité, qu’elles croient réellement à l’ISR. Et cela même si, paradoxalement, elles ont parfois plus de difficultés à obtenir certains labels de certification compte tenu de leurs moyens limités.

En fin de compte, je pense que c’est la sincérité de l’engagement qui fera la différence. Le public n’est pas dupe entre les acteurs qui ont un engagement sincère dans l’investissement responsable et ceux qui le font avant tout par opportunité.

Dans un commentaire publié ce printemps, vous affirmez que le «S», soit les aspects sociaux au sein des critères ESG, est aujourd’hui plus essentiel que jamais. C’est un discours qui va un peu à l’encontre de l’accent qui a été placé ces dernières années surtout sur le «E», soit les aspects environnementaux. Pourquoi le «S» serait-il aujourd’hui devenu primordial?

Je ne dirais pas nécessairement que le «S» prime sur le «E» ou le «G». Toutefois, je pense qu’on a accordé moins d’attention aux critères sociaux qu’aux aspects environnementaux ou de gouvernance. Or, la crise récente a démontré qu’il était important d’être plus attentif à des aspects tels que la santé et la sécurité du personnel dans les sociétés et aussi lors de la sélection de ses fournisseurs. Si ces aspects sont négligés, cela peut, au final, considérablement nuire aux entreprises.

Il n’y a pas de processus prédéfinis. Chaque entreprise
est unique, un peu comme les individus.
Parmi les sociétés financières que vous conseillez, la récente crise sanitaire et les débats sur le changement climatique ont-ils poussé ceux qui hésitaient encore jusqu’à il y a peu à adapter leur manière de travailler et davantage tenir compte des critères ISR?

Oui, certainement. Il y a maintenant une telle demande de la part des investisseurs au sujet de la durabilité que les gérants ne peuvent pas rester à l’écart de cette thématique. La question est souvent plutôt celle de savoir avec quelle profondeur on va s’impliquer dans ce domaine. En outre, pour beaucoup de gestionnaires, l’engagement en matière d’investissement responsable est aussi un facteur de différenciation plus parlant que de recourir à des slogans marketing habituels du style, «nous avons surperformé les marchés» ou «nous pouvons compter sur une équipe expérimentée». C’est d’autant plus important dans un environnement très compétitif où il existe plus de 4400 sociétés de gestion en Europe.

Si une société d’investissement qui est très en retard en matière d’ISR vient vous demander conseil, quelles recommandations leur faites-vous? Suivez-vous des processus prédéfinis?

Non, il n’y a pas de processus prédéfinis. Chaque entreprise est unique, un peu comme les individus. C’est cette unicité qui fait leur différence et leur permet de se distinguer: notre rôle et les méthodes que nous avons mises au point permettent d’identifier cette identité et de l’exprimer d’une façon qui connecte avec les besoins et aspirations des investisseurs. J’observe souvent que des sociétés financières établies ont envie d’agir en matière d’ISR mais qu’elles ne savent pas exactement comment mettre en œuvre les choses ou qu’elles ne maîtrisent pas le langage en la matière.

Avez-vous des exemples de sociétés qui ont entièrement changé de cap après vous avoir consulté?

Souvent, la volonté d’aller dans le sens d’une meilleure prise en compte des aspects ISR existait déjà - mais sans avoir été clairement formulée. J’ai accompagné, par exemple, une société de gestion qui depuis longtemps tenait compte d’aspects environnementaux ou sociaux lors de la sélection de ses titres mais sans l’avoir exprimé clairement, ni défini des processus clairs. 

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