Il vous reste 8000 jours à vivre

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«La vieillesse: un fantasme social en contradiction avec la réalité», affirme  Joseph Coughlin, directeur de l’AgeLab du MIT.

Pour qui prend sa retraite, il reste à vivre près de 8000 jours, soit un tiers de la vie adulte. Cette estimation moyenne dans les pays développés, fondée sur l’espérance de vie et sur l’âge légal de la retraite de chaque pays, est probablement l’un des plus grands bouleversements de notre époque. En 2050, la proportion de personnes âgées de plus de 65 ans aura doublé pour atteindre 16,7% de la population au niveau mondial. La tranche d’âge qui croit le plus vite? Les plus de 85 ans. Dans notre psyché, cette période de la vie reste brève, associée à la détente et aux petits-enfants. Une vision à revisiter de fond en comble selon Joseph Coughlin, directeur de l’AgeLab du Massachussetts Institute of Technology (MIT) et auteur de «The Longevity Economy: Unlocking the World's Fastest-Growing, Most Misunderstood Market», rencontré à Paris lors du sommet organisé par Natixis IM début novembre.

Nous avons quelque mal à prendre la mesure du bouleversement social que représente le vieillissement. Quels chiffres significatifs peuvent changer notre manière de percevoir le «troisième âge»?

Résumons: en 2047, il y aura davantage de personnes de plus de 65 ans que d’enfants au-dessous de 15 ans. Toute notre conception de l’équilibre entre générations est à revoir. La vision classique de la vieillesse est elle-même de l’histoire ancienne. Le contrat social intergénérationnel – y compris l’âge de la retraite – est à redéfinir. Sans oublier que sur les «8000 jours» à compter du départ en retraite, il n’y pas une vie mais plusieurs, chacune avec ses spécificités propres. Et sans oublier non plus que sur le plan économique, les «vieux» représentent le troisième pouvoir d’achat après les Etats-Unis et la Chine, soit environ 30% de la consommation globale.

Les «nouveaux vieux» raffolent du high tech,
du high style et peuvent s’en permettre les high prices.
Combien le profil des personnes âgées a-t-il changé?

Il ne colle plus en rien avec l’imaginaire traditionnel. Exit les papys et mamies bien tranquilles au coin du feu. Les «nouveaux vieux» raffolent du high tech, du high style et peuvent s’en permettre les high prices. Les plus de 60 ans sont les plus grands acheteurs de voitures de sport et de tablettes électroniques. Mais ce n’est pas tout. La population du futur se distingue par deux autres caractéristiques fondamentales: la structure des foyers et le renversement du pouvoir décisionnel. Pour ce qui est de la structure des foyers, nous assistons à une envolée du nombre de personnes qui vivent seules. A Bruxelles, Oslo, Paris ou Munich, il s’agit de plus de 50% de la population urbaine. En Scandinavie, le nombre de ménages monopersonne est celui qui croit le plus rapidement. C’est le cas de 56% des femmes. En ce qui concerne le pouvoir décisionnel, il passe progressivement dans la main des femmes. Ce sont elles qui décident des achats – de l’automobile au lieu de vie en passant par les dépenses de santé… et d’investissement. Ce dont les sociétés financières feraient bien de se rendre compte.

Pourquoi?

Pour plusieurs raisons. La première est que, ingénierie mise à part, le niveau d’éducation des femmes est plus élevé que celui des hommes depuis 1978. La seconde est que ce sont les femmes qui portent l’ensemble de la charge sociale intergénérationnelle. Ce sont elles qui s’occupent des enfants, puis, elles encore, qui s’occupent des personnes âgées. Simultanément dans la plupart des cas.

On parle volontiers Silver Economy mais les entreprises se rendent-elles bien compte de ce que cela signifie?

Pas suffisamment. Le monde des affaires souscrit encore souvent à l’imaginaire traditionnel de la vieillesse. Certaines l’ont toutefois compris. BMW, par exemple, a repensé l’ergonomie de l’interface avec le conducteur. D’autres comme Daimler ou Lexus s’y attellent. Le groupe pharmaceutique Servier a développé un accompagnement thérapeutique en ligne. Air Liquide a étendu son offre de services dans la santé à domicile. En France, Generali couvre les soins infirmiers à domicile et répondra par le biais d’un conseiller virtuel aux questions des assurés. Il est à noter que l’écosystème des services en ligne est particulièrement adapté aux exigences d’une population vieillissante mais active et connectée. Malgré quelques exemples, des progrès restent à faire pour faire évoluer les mentalités.

La demi-vie de la connaissance se raccourcit constamment
et prendre sa retraite ne signifie ni être oisif, ni renoncer à apprendre.
Il est parfois difficile pour les concepteurs de solutions industrielles – souvent jeunes – de comprendre les réels besoins des seniors.

Effectivement. L’un des outils mis au point par notre département est AGNES1 une combinaison portée par qui doit comprendre les défis physiques associés au vieillissement. Développé par des chercheurs et des étudiants d'AgeLab, AGNES a été calibré pour simuler la motricité, la vision, la flexibilité, la dextérité et la force d'une personne de plus de 70 ans. L’outil a été utilisé pour reconcevoir l’ergonomie de l’environnement dans le commerce de détail, les transports publics, les logements, l'automobile et d'autres environnements.

Quelles seraient les autres pistes de développement?

L’éducation online est sans nul doute une voie prometteuse. La demi-vie de la connaissance se raccourcit constamment et prendre sa retraite ne signifie ni être oisif, ni renoncer à apprendre. Au contraire. Mais le modèle des cours en ligne, conçu largement par des universités pour des étudiants classiques n’est pas forcément adapté à une population déjà expérimentée. Il devrait être plus interactif, plus pratique. L’autre piste de réflexion tourne, surtout aux Etats-Unis, autour des espaces publics, de leur attractivité, de leur densité et de leur accessibilité.

Y a-t-il des leçons à tirer de l'expérience de certains pays?

Les pays scandinaves sont pionniers mais ils sont si petits qu’il est difficile d’extrapoler leur expérience. La Grande-Bretagne et la France offrent un bon tissu social à forte dimension humaine. Le Japon compte massivement sur la technologie et en particulier sur les robots pour accompagner ou soigner les personnes âgées. La recette unique n’existe pas. Chaque culture doit construire ses propres solutions en fonction de ses forces et de ses faiblesses.  

 

1 AGNES: «Age Gain Now Empathy System» a été développé par le MIT AgeLab: http://agelab.mit.edu/agnes-age-gain-now-empathy-system