Il faut lier rémunérations et durabilité

Yves Hulmann

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HCM a élaboré une approche visant à intégrer les principes ESG dans la politique salariale. Le point avec Raphaël Lambin.

La société de conseil HCM a mis au point une méthode visant à inclure les critères de durabilité – environnementaux, sociaux et de gouvernance (ou ESG) – dans les programmes de rémunération des collaborateurs. But: améliorer significativement et sur le long terme la performance en termes de durabilité d’une entreprise grâce à l’intégration de ces critères dans la rémunération du personnel. Raphaël Lambin, consultant senior chez HCM International, explique comment la société de conseil a élaboré ce concept et pourquoi il estime nécessaire d’inclure des critères de type ESG dans les systèmes de rémunération des entreprises si celles-ci veulent jouer la carte du développement durable.

Il y a quelques années, les débats au sujet des salaires des cadres se focalisaient avant tout sur les aspects liés à la gouvernance ou sur la question de la « juste » rémunération. HCM a depuis élaboré une méthode visant à intégrer les critères de durabilité dans les systèmes de rémunération des collaborateurs. Pourquoi établir un lien entre ces deux aspects?

Notre hypothèse de base est la suivante: pour qu’une entreprise prenne vraiment en compte la durabilité dans sa manière de fonctionner, il est indispensable d’intégrer également cet aspect dans son système de rémunération. Sinon, il se peut que les collaborateurs d’une société soient incités à porter plus d’attention à d’autres aspects, potentiellement non conformes aux principes de durabilité – même si ceux-ci sont pris en compte par ailleurs dans les autres activités de l’entreprise.

«Les critères sociaux sont les plus fréquemment
utilisés car ils concernent toutes les entreprises.»
Parmi les différents critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) qui entrent en compte dans la manière de calculer la «scorecard» intégrant la durabilité dans les plans de rémunération des entreprises, y a-t-il l’un ou l’autre de ces aspects qui compte davantage que les autres?

Les critères sociaux – incluant le personnel, la clientèle ainsi que la société en général – sont les plus fréquemment utilisés car ils concernent toutes les entreprises. S’agissant des critères environnementaux, leur importance varie, bien sûr, beaucoup en fonction des branches d’activité. Par exemple, les entreprises actives dans l’énergie y accordent davantage d’importance que celles du secteur financier.

Comment une entreprise peut-elle intégrer les principes de durabilité pour ce qui concerne ses clients – qui sont hors de son champ de décision?

Beaucoup d’entreprises ont remarqué qu’il était tout aussi important d’intégrer la durabilité dans leurs relations avec la clientèle qu’avec leurs propres employés. Ici, un collaborateur est évalué non seulement en fonction d’objectifs économiques classiques, tels que le profit, mais aussi sur certains aspects liés à la satisfaction de leur clientèle. C’est typiquement le cas dans les entreprises du secteur financier – chez UBS et Crédit Suisse par exemple – ou chez les assureurs maladie. Dans ces domaines, un client peut aussi facilement changer de prestataire, donc la qualité de la relation avec le client sur la durée est particulièrement importante. Il conviendra cependant de distinguer les critères de performance visant à être «maximisés», tel que le profit, des critères où il est possible de se fixer une ambition cible. Il serait par exemple possible d’intégrer l’atteinte d’un taux minimal de satisfaction client de, disons, 80% dans le système de rémunération, sans pour autant que l’atteinte d’un niveau supérieur n’augmente la rémunération variable.

S’agissant des critères environnementaux, comment les sociétés actives dans des branches telles que le pétrole ou le gaz qui, par définition, émettent davantage de CO2, peuvent-elles prendre en compte les critères de durabilité dans leur politique de rémunération? 

Tout comme la satisfaction client qui ne doit nécessairement viser à être maximisée, il n’est simplement pas suffisant de fixer comme seul objectif de minimiser les émissions polluantes dans le secteur de l’énergie. En poursuivant cette logique jusqu’au bout, un patron devrait fermer son entreprise. Par contre, on peut évaluer la qualité de la stratégie et de son implémentation visant à réduire les émissions d’une entreprise de ce secteur. Comment cette stratégie est-elle définie et par qui? Quelle est l’ambition de l’entreprise à court, moyen et long terme à ce niveau? Y a-t-il un représentant indépendant au sein du conseil d’administration qui évalue les aspects liés à la durabilité? Toutes ces questions doivent être clarifiées dès le départ.

«Les responsables des ressources humaines ont généralement
peu de contact avec les experts des questions liées à la durabilité.»
N’y a-t-il pas parfois des problèmes de cohérence au sujet de la durabilité entre les différentes instances d’une entreprise?

C’est effectivement un problème important étant donné que certaines parties prenantes au sein de l’entreprise n’agissent pas en coordination avec d’autres. Outre le conseil d’administration et la direction, les responsables des ressources humaines – en charge de la rémunération – ont généralement peu de contact avec les experts des questions liées à la durabilité ou les auteurs des rapports publiés à ce sujet.

Pratiquement, quelle méthode utilisez-vous pour inclure les aspects de durabilité dans les systèmes de rémunération?

Nous avons élaboré une méthode comportant cinq étapes. La première consiste à décider qui a droit à quel programme de rémunération. La deuxième définit comment les facteurs ESG ont un impact sur le salaire. La troisième définit quels types de critères ESG sont pris en compte et quel en est leur nombre. Ensuite, il s’agit d’établir comment la performance d’un point de vue ESG peut être mesurée. Enfin, il est aussi nécessaire de mettre en place, autour de cela, une structure de gouvernance appropriée en rapport avec les décisions de rémunération liées au respect ou non de ces critères.

Avez-vous des échanges avec d’autres organisations pour continuer à développer cette approche?

Nous en avons notamment discuté avec des représentants d’organisations comme le comité des Nations Unies ‘Principles for Responsible Investments’ (UNPRI), avec «Sustainable Finance Geneva», avec l’antenne suisse du CFA Institute ou encore avec des sociétés d’investissement très impliquées dans ce domaine comme RobecoSAM.

«Nous conseillons de séparer les aspects
dits de 'Leadership' au sein d’une entreprise de ceux du salaire.»
Selon les principes de durabilité, comment faut-il répartir la part fixe et variable des rémunérations?

En principe, il faut de toute façon éviter le «tout variable» car sinon cela incite trop fortement les collaborateurs à la prise de risques. Pour autant, j’ai aussi certains doutes sur l’idée de n’avoir que du fixe. Car lorsqu’une entreprise va mal, celle-ci se retrouve uniquement avec des coûts fixes, ce qui peut être dangereux pour sa stabilité. A l’inverse, avoir une part trop importante de rémunération variable – qui serait fonction d’un critère particulier comme les avoirs sous gestion par exemple – va inciter les collaborateurs à viser à atteindre quelques objectifs particuliers plutôt que de penser à l’intérêt de l’entreprise dans son ensemble et sur le long terme. S’agissant des rémunérations variables, je pense aussi qu’il est important – dans une perspective de durabilité – de différer le versement des rémunérations.

Par ailleurs, nous conseillons aussi de séparer les aspects dits de «Leadership» au sein d’une entreprise de ceux du salaire. Les discussions ayant but de donner un feedback aux employés en rapport avec la vie de l’entreprise doivent être séparées de celles qui ont un impact direct sur la rémunération des collaborateurs. Sinon, il n’y aura pas de discussion de fond à propos de ce qui fonctionne bien ou non au sein d’une équipe, sur la performance du collaborateur, etc.

Quels sont les principaux enseignements de l’étude que vous avez réalisée à ce stade? 

Côté positif, on constate qu’il y a beaucoup d’améliorations en cours. Le respect des critères ESG est toujours davantage pris en compte dans les programmes de rémunérations des entreprises. 40% des entreprises du SMI incluent dans l’évaluation de la performance des membres de leur direction un élément pouvant être considéré comme ESG. Côté négatif, la grande majorité des entreprises n’intègrent pas encore ces critères de manière cohérente dans leur politique de rémunération. Il arrive parfois que des entreprises se contentent d’ajouter un critère ESG dans l’évaluation du ou des collaborateurs sans nécessairement avoir revu la cohérence d’ensemble du système de rémunération ou sans avoir au préalable clairement structurer le processus de décision. Parmi les entreprises qui lient leur performance en termes de développement durable à la rémunération de leurs dirigeants, on peut notamment citer des entreprises comme Nestlé ou Julius Bär.

Les principes ESG doivent-ils être pris en compte avant tout pour la rémunération des cadres ou du personnel dans son ensemble? 

Il faut toujours commencer par la direction car elle aura une influence sur l’ensemble du reste du personnel. En commençant par le haut, il y a davantage de chances que le respect de ces principes redescende aux échelons inférieurs de l’entreprise et que la performance de l’entreprise liée aux aspects ESG soient réellement vécus par les collaborateurs.