Il est temps de réduire la pondération des actions

Emmanuel Garessus

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Si les actions sont à privilégier à moyen terme, il serait avisé d’augmenter la part du cash et des obligations à court terme, selon Beat Wittmann, de Porta Advisors.

La hausse des taux obligataires américains menace de mettre un terme, du moins temporairement, à la hausse des actions. L’attente des mesures protectionnistes de Donald Trump n’arrange rien. Après deux bonnes années boursières, faut-il accroître le cash et adopter un profil défensif? Quels biais géographiques faut-il présenter dans les actions? Beat Wittmann, associé et président du conseil d’administration de Porta Advisors, répond aux questions d’Allnews:

Dans votre dernière note, pourquoi conseillez-vous de privilégier les actions des pays du G7?

En comparaison aux obligations, les actions demeurent attractives. Elles profitent de la croissance économique dans le G7 et de l’augmentation des bénéfices à moyen terme. Je préfère le G7 en raison de leur stabilité économique.  

Les émergents devraient souffrir de la fermeté du dollar et des tensions géopolitiques. L’augmentation des droits de douane promise par Donald Trump ne devrait pas seulement impacter les échanges commerciaux en général mais aussi modifier la chaîne d’approvisionnement. L’adaptation sera difficile pour certains pays émergents. C’est pourquoi nous préférons, comme en 2024, nous concentrer sur le G7.

Quel type de correction prévoyez-vous sur les marchés à court terme?

Le marché américain devrait consolider ou corriger, mais ces attentes sont à comprendre comme un choix tactique au sein d’une tendance positive à moyen terme. Il est très rare que l’indice S&P 500 progresse de plus de 20% durant deux années consécutives, comme en 2023 et 2024, et présente un rendement également très positif la troisième année. 

Certes, Donald Trump hérite d’une économie dynamique et vigoureuse, à l’image des dernières statistiques de l’emploi. Mais d’autres indicateurs invitent à la prudence, comme la nette hausse des défauts d’entreprises et les arriérés de paiements sur les cartes de crédit des ménages. 

«Le besoin d’une politique de défense commune importe davantage que le frein à l’endettement.»

Les perspectives à moyen terme restent favorables. L’économie américaine, déjà leader de domaines tels que la finance, l’énergie, la technologie et la défense, est à l’aube d’une nouveau cycle de productivité sous l’impulsion des nouvelles technologies et en particulier de l’intelligence artificielle.

J’ajoute que les incertitudes sont élevées à la veille de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump et que la prévisibilité est très faible. Une politique de placement plus défensive me paraît appropriée. Il faut être prêt à réagir. Le plus grand risque est clairement lié à la correction du marché obligataire américain. Un ajustement devrait se produire sur les marchés ces prochaines semaines et ces prochains mois.

Comment les marchés européens devraient-ils réagir?

La valorisation des marchés européens est extrêmement attractive. L’Europe fait face à des pressions massives pour qu’elle entreprenne des réformes et soutienne la croissance économique tandis que de nombreuses entreprises font face à un fort besoin de restructurations. L’UE doit enfin mettre en oeuvre l’unification du marché des capitaux, réduire la fragmentation du marché de la défense et du secteur bancaire. L’effet devrait être positif sur les actions européennes.

Faut-il augmenter le cash dans les portefeuilles?

Il faut réduire la pondération des actions dans les portefeuilles. Le cash et les obligations souveraines représentent une alternative attractive, à l’inverse de l’an dernier.

En cas de difficultés économiques, les pays du G7 sont dans une situation qui leur permet de réduire les taux d’intérêt en cas de nécessité.  C’est aussi l’une des raisons qui me font penser que les actions s’apprécieront en 2025 et à moyen terme. Mais à court terme, j’augmenterais le cash et je resterais dans les monnaies de référence.

Quelle devrait être la réaction européenne à la hausse des droits de douane?

Le premier mandat de Donald Trump révèle qu’il fait beaucoup de promesses mais aussi qu’il est pragmatique. Cette première expérience montre que les Européens et les Chinois prennent des mesures de rétorsion en cas de mesures protectionnistes. Ce scénario devrait se répéter cette année. L’approche américaine devrait toutefois être plus pragmatique à l’égard des pays européens que de la Chine. 

L’investisseur devrait distinuer entre les bruits et les fondamentaux. Les bruits sont nombreux en ce moment, à commencer par les discours sur le Groenland. Les Européens devraient apprendre à ne pas réagir à un Tweet d’Elon Musk. Sortons de cette forme d’hystérie. Les Européens devraient avoir des buts stratégiques, mettre en place leur financement, se placer en position de passer à l’action. C’est ainsi que l’on devient plus autonome et plus fort.

«La hausse des financières devrait se poursuivre, sous l’effet des marges d’intérêts.»

Les hommes politiques français aimeraient émettre des eurobonds pour relancer leur politique de défense et les Allemands soulignent l’impossibilité constitutionnelle d’émettre des eurobonds. Que se passera-t-il? N’est-on pas dans une situation de blocage?

Il est absolument nécessaire d’émettre des eurobonds mais uniquement pour des biens collectifs. La défense en fait partie. Cela permettra de consolider cette industrie. Je prévois que la concrétisation de cette politique se fera ces 2 à 3 prochaines années. Pour la première fois, un commissaire européen a été nommé pour les questions de défense, même si ses fonctions se limitent initialement à la coordination des politiques. La pression américaine s’accroît qui pousse les membres de l’UE à augmenter leurs efforts militaires. 

Les eurobonds permettent de financer la défense commune de l’Europe et facilitent l’établissement d’un marché des capitaux européen. Cette dette sera très recherchée de la part des investisseurs. Et le rôle de l’euro en tant que monnaie de réserve devrait ainsi augmenter auprès de pays qui aimeraient diversifier leurs réserves au détriment du dollar. L’euro n’a pas progressé dans cette fonction ces cinq dernières années. Ce dernier aspect a d’ailleurs participé à la hausse de l’or.

Qu’attendez-vous de l’opposition allemande à l’idée d’émettre une dette commune en Europe?

Je n’en attends pas beaucoup. Les résistances ne sont pas à négliger, mais les faits finissent toujours par s’imposer. Si la zone euro n’émet pas d’eurobonds, elle devra atteindre ses objectifs d’une autre manière. L’UE doit relancer la croissance économique. Dans une phase intermédiaire, la dette publique augmentera en Europe. Mais le besoin d’une politique de défense commune importe davantage que le frein à l’endettement. 

Les élections allemandes devraient se traduire par un gouvernement de coalition dirigé par les conservateurs (CDU) qui conduira à un allégement du frein à l’endettement.

Est-ce que les actions suisses souffriront de l’opposition aux nouveaux accords avec l’UE?

L’approbation ou le refus des accords ne sera pas connu avant deux ans. L’opposition se fait beaucoup entendre en ce moment, mais j’ai confiance dans le pragmatisme économique helvétique. Les citoyens auront le temps de se faire une opinion. Je suis optimiste et j’espère son approbation. Mais ce sujet n’est pas pertinent sur les actions suisses en ce moment. 

En tant qu’investisseur, je surpondère davantage les actions européennes en raison de leur potentiel d’appréciation, mais les actions suisses devraient en profiter. La forte présence des valeurs défensives en Suisse conduira à une sous-performance par rapport aux européennes. La Suisse profitera aussi des investissements dans la défense européenne.

Les bancaires appartiennent à vos favoris. Ne se sont-elles pas déjà beaucoup appréciées?

La hausse des financières devrait se poursuivre, sous l’effet des marges d’intérêts. En Europe, le secteur bancaire est clairement sous-évalué, dans l’attente d’une union bancaire. 

Nous avons observé quelques transactions. La BCE devrait finalement approuver le rachat de Commerzbank par Unicredit. Les bancaires européennes profiteront d’une tendance à la restructuration et à la consolidation sectorielle.

Les bancaires américaines profitent, elles, de leur croissance et de leur taille. Aux Etats-Unis, le secteur financière sera soutenu par la baisse des impôts et par la déréglementation.

Les taux obligataires américains font peur aux marchés. Est-ce qu’ils augmenteront encore?

C’est l’une des raisons qui m’incitent à adopter une approche plus défensive sur les actions ces prochains mois. Les taux américains sont très hauts, mais ils sont au sommet de leur cycle. Un découplage peut être observé avec l’Europe, ce qui renforce le dollar. Il suffit d’observer l’augmentation des touristes américains pour s’en convaincre, ce qui soutiendra la consommation en Europe. 

En Suisse, depuis plusieurs mois j’avertis que le risque est significatif que les taux pourraient redevenir négatifs. Cela devrait d’ailleurs renforcer le marché immobilier. La BNS devra prendre des décisions difficiles cette année.

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