Hausse des taux: attention à la fintech!

Emmanuel Garessus

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Le principal risque bancaire porte sur la réputation, souligne Nils Tuchschmid, à la HEG Fribourg, qui juge sous-estimé le risque de liquidité.

Nils Tuchschmid, professeur de finance à la Haute école de gestion, à Fribourg, observe que le système bancaire est si contraint et régulé qu’il en est devenu fragile. Résistant au demeurant mais sujet à de fortes cassures. «Une hausse des fonds propres n’y changerait rien et n’empêcherait pas une panique bancaire», déclare-t-il lors d’une interview à Allnews. L’économiste répond à nos questions sur les leçons à tirer des turbulences bancaires et les risques du système financier:

Que pensez-vous des propositions politiques pour les banques?

Après les faits, tout le monde paraît plus intelligent. Il est facile de mettre les banquiers au pilori. Les hommes politiques commettent aussi des erreurs. Ils ne démissionnent pas pour autant. Chez Credit Suisse, il y a effectivement eu des erreurs de casting et de management. Les changements fréquents de directeur et les scandales successifs n’envoyaient pas non plus de bons signaux.

Malgré les leçons qu’on pouvait tirer de la crise de 2008, les décisions semblent toujours être prises dans l’urgence alors que l’on aurait pu penser que chaque accident nous rendait plus intelligents et prévenants. D’ailleurs, la Finma n’était-elle pas en contact très étroit avec Credit Suisse depuis longtemps? Contrairement à ce que certains semblent croire, elle n’a pas «débarqué» chez Credit Suisse quelques jours avant ce weekend décisif.

Quels enseignements peut-on en tirer?

Dans mes cours, j’ai souvent pris l’exemple d’un éventuel rachat de Credit Suisse par UBS et toujours conclu par son impossibilité en raison du refus du régulateur. Je me suis trompé. Il y a quelques mois, j’ai aussi demandé à un groupe d’étudiants brésiliens de présenter Credit Suisse. Leur conclusion était que cette banque n’était pas viable à moyen terme si la série de scandales et la presse négative qui l’entourait ne prenait pas fin. Ils n’ont pas eu tort.

La leçon? Les risques de marché, les risque opérationnels et quantité d’autres risques sont maintenant gérés au plus près. Toutefois, le risque le plus important qu’il faut maitriser avec la plus grande précaution est lié à la réputation. Le cas du Credit Suisse en témoigne. Ce ne sont pas les dernières banderilles qui ont tué le taureau, qu’il s’agisse de la prise de parole de l’investisseur saoudien ou des pressions des réseaux sociaux. Sa réputation était trop entachée. Et mettre à mal sa réputation pour un établissement bancaire, c’est prendre un risque pour lequel on ne peut espérer aucune rémunération. On ne peut que perdre. De plus, la communication, par exemple les annonces liées à la création de Credit Suisse First Boston, manquaient de clarté quant au comment, au combien ou encore au quand.

Les fintech ont massivement profité d’une décennie de taux bas. Elles pourraient être menacées aujourd’hui.
Que pensez-vous du rachat?

Je me serais attendu à ce qu’UBS reprenne la gestion d’actifs et la gestion de fortune ainsi qu’une partie de la banque d’investissement et que Credit Suisse se recapitalise, avec l’aide éventuelle de la Confédération, pour rendre autonome la banque Credit Suisse en Suisse que nous connaissons tous. J’aurais attendu qu’elle préserve ce joyau. Mais je pense qu’il aurait été compliqué de mettre sur pied une telle opération en l’espace de quelques jours. On dit que l’on va forcer UBS à effectuer ce spin-off, mais ce n’est pas cohérent sachant que l’on a forcé UBS à racheter Credit Suisse. La transaction par contre est très attractive pour UBS. La décote entre le prix d’achat et le dernier prix en bourse juste avant l’annonce de rachat est en effet substantielle.

Les banques régionales et cantonales devraient profiter des transferts de clients, et les banques avec un réseau national tel Raiffeisen peut-être davantage que les autres, mais le phénomène restera marginal.

Est-ce que d’autres banques vont succomber aux turbulences actuelles?

C’est bien possible. Le risque de réputation concerne d’autres établissements que Credit Suisse. Mais les banques européennes sont moins exposées au risque de taux d’intérêt que les américaines. Le cas du risque systémique en Europe se situe plutôt au niveau des actifs que des fonds propres parce que ces banques regorgent d’obligations souveraines, considérées comme ayant un risque nul. Une crise rappelant celle de la Grèce pourrait donc faire mal au secteur bancaire.

Est-ce que la taille d’UBS en fait un risque trop grand pour la Suisse?

On ne peut pas comparer un flux, le PIB, avec un stock, le bilan de la banque. Le modèle d’affaires concentré sur la gestion de fortune et l’asset management n’est pas aussi risqué que d’autres. Les actifs que les clients ont en portefeuille leur appartient. Le risque est celui d’une mauvaise performance en matière de gestion de portefeuilles et dès lors du départ de clients qui décideraient de mettre fin à leur mandat. Mais on est loin du risque systémique classique auquel on peut penser dans le cas d’une banque de dépôt et d’investissement.

Le risque de panique bancaire est-il accru par le désir des clients de placer leur épargne sur le marché monétaire, mieux rémunéré que les dépôts d’épargne?

La solution pour les banques consiste à mieux rémunérer les comptes. L’époque du financement gratuit semble révolue, même en Suisse. Les fonds de placement et les fonds monétaires en particulier comportent un deuxième avantage pour le client. A la différence du dépôt, il leur appartient.  

La courbe de taux d’intérêt, très plate, m’inquiète davantage. C’est problématique pour une banque qui veut rémunérer ses affaires.

Quel segment de marché financier est le plus touché par la hausse des taux d’intérêt?

Les fintech ont massivement profité d’une décennie de taux bas. Elles pourraient être menacées aujourd’hui. Pour beaucoup, le modèle d’affaires de ce secteur consiste à accepter les fonds des clients, qu’elles ne les rémunèrent pas puisqu’elles n’ont pas de licence bancaire. Si les taux d’intérêt augmentent, les clients n’accepteront plus de ne pas être rémunérés. Or si une fintech veut les rémunérer, elle devra obtenir une licence. Les acteurs particulièrement exposés à ce risque sont par exemple certaines plateformes de Crowdfunding et des fintech actives dans le secteur des transferts de fonds et de paiements.

Est-ce qu’un choc financier peut venir d’autres secteurs que la banque?

Je crois effectivement que l’on sous-estime le risque de liquidité des marchés financiers. Le marché de la dette souveraine est moins liquide que l’on croit et la régulation introduite après 2008 a rendu ce marché vulnérable à un déséquilibre entre l’offre et la demande. Les mouvements pourraient être brutaux. Le marché des actions est également réputé pour être également liquide, mais il l’est moins qu’on ne le suppose si l’on sait que la majorité des transactions sont le résultat du trading algorithmique.