Genève envisage l’avenir avec une confiance accrue

Nicolette de Joncaire

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Accès au marché européen, fiscalité, innovation, les dossiers restent nombreux et complexes mais la tendance positive peut s'affirmer. Entretien avec Yves Mirabaud, président de Genève place financière.

Il faudra attendre mars pour en savoir davantage mais en septembre dernier, Genève regagnait du terrain au classement Z/Yen des places financières mondiales et y retrouvait le 15e rang après une chute qui l'avait reléguée en 23e place un an plus tôt. Tout classement comporte des biais mais selon celui-ci, référence de l'industrie, la tendance négative s'est retournée et la place se maintient dans les leaders mondiaux en termes de surface et de profondeur de l'offre de services financiers. Accès au marché européen, fiscalité, innovation, les dossiers restent nombreux et complexes. Toutefois Genève semblerait ne pas avoir dit son dernier mot. Les explications d'Yves Mirabaud, président de la Fondation Genève Place Financière.

Les résultats des banques paraissent à ce jour bons, voire excellents. Quel est, selon vous, le bilan 2017 de la place financière?

Les signaux sont plutôt encourageants. Le règlement du passé n’occupe plus le devant de la scène. L’enquête conjoncturelle que la Fondation Genève Place Financière réalise chaque année montre en effet que les intermédiaires financiers envisagent l’avenir avec une confiance accrue. Plusieurs indicateurs sont ainsi à la hausse: les résultats sont positifs et les actifs sous gestion sont en augmentation. Côté emploi, le secteur financier occupe actuellement 35'600 collaborateurs. La courbe du chômage est restée stable et la plupart des établissements bancaires prévoient d’augmenter leurs effectifs en 2018.

«Plusieurs classements montrent
que Genève gagne en influence
face aux autres centres financiers internationaux.»

A ce tableau, j’aimerais ajouter que plusieurs classements montrent que Genève gagne en influence face aux autres centres financiers internationaux. Elle se distingue en particulier de ses concurrents par son capital humain. Depuis 2008, la place financière genevoise a donc su faire preuve d’une grand résilience grâce à sa diversité et à sa capacité d’innovation. Il n’est donc pas étonnant qu’elle constitue l’un des principaux moteurs de l’économie en contribuant à hauteur de 12% au PIB cantonal genevois.

Les exigences règlementaires se sont intensifiées. Les conditions-cadres des banques vous paraissent-elles aujourd'hui adaptées? De quelle manière ces conditions pourraient-elles devenir handicapantes?

La compétitivité et la capacité d’innovation de la place financière sont au centre de nos préoccupations. Trois ingrédients sont essentiels: l’accès aux marchés; une réglementation mesurée et différenciée, conforme aux standards internationaux; une attractivité fiscale reposant sur un degré de prévisibilité et de sécurité juridique élevé.

«L’amélioration de l’accès aux marchés
étrangers revêt une importance
stratégique prioritaire.»

L’évolution des apports nets de fonds des établissements financiers résulte en très grande partie d’une clientèle résidant à l’étranger. Les banques suisses sont donc avant tout des entreprises exportatrices. Dans ce contexte, l’amélioration de l’accès aux marchés étrangers revêt une importance stratégique prioritaire. Il s’agit non seulement de pouvoir continuer à servir cette clientèle depuis notre pays, mais aussi de créer des emplois en Suisse.
L’Union européenne demeure notre principal partenaire commercial. Malheureusement, de nombreuses questions ont mis à mal les relations entre la Suisse et l’UE. Je fais notamment référence à la problématique de la libre circulation des personnes ainsi qu’aux discussions à propos d’un accord institutionnel. Il faut s’attendre à ce que les négociations en vue d’un tel accord prennent plusieurs années. C’est pourquoi, la Suisse favorise l’approche qui consiste à négocier des accords bilatéraux avec les Etats membres de l’UE pour les domaines qui sont de leur compétence. A titre d’exemple, la Suisse et l’Allemagne ont signé en 2013 un accord qui permet aux banques helvétiques de proposer des services transfrontaliers aux clients allemands depuis la Suisse, sans obligation d’avoir une présence physique locale. Toutefois, la volonté politique d’autres Etats européens de faire de même fait défaut pour l’instant.

«La Suisse développe la voie de l’équivalence,
c’est-à-dire l’élaboration d’une réglementation
reconnue comme équivalente par l’UE.»

En parallèle, la Suisse développe la voie de l’équivalence, c’est-à-dire l’élaboration d’une réglementation reconnue comme équivalente par l’UE. La Loi sur les services financiers et la Loi sur les établissements financiers illustrent ce chemin, renforcent notre sécurité juridique et dotent la Suisse d’une législation financière en ligne avec la réglementation européenne, créant ainsi un prérequis pour un accès au marché de l’UE.
L’absence d’accès au marché a des conséquences concrètes. Selon le dernier baromètre bancaire de l’Association suisse des banquiers, le nombre d’emplois bancaires en Suisse a diminué de 971 postes en Suisse alors qu’il a augmenté de 283 unités à l’étranger au premier semestre 2017. A cela s’ajoute un risque de délocalisation bien réel. Preuve en est le résultat de notre enquête conjoncturelle qui place le Luxembourg en tête des destinations envisagées.

Le Projet fiscal 2017 va-t-il permettre à la place de maintenir sa compétitivité?

Assurément. La fiscalité des entreprises constitue un facteur clé pour l’attractivité de Genève. Dans ce domaine, le taux, la prévisibilité et la sécurité juridique sont primordiaux.

«Genève n’est pas une île et les banques
observent très attentivement l’évolution de la fiscalité
dans les autres cantons et à l’étranger.»

La Fondation Genève Place Financière soutient la réforme présentée par le Conseil fédéral, notamment l’introduction d’une déduction supplémentaire pour les dépenses de recherche et de développement qui permettra de conserver notre capacité d’innovation. Sur le plan cantonal, le projet élaboré par le Conseil d’Etat genevois répond également à ces impératifs.
Genève n’est pas une île et les banques observent très attentivement l’évolution de la fiscalité dans les autres cantons et à l’étranger. Notre voisin vaudois a annoncé qu’il appliquera un taux unique de 13,79% dès le 1er janvier 2019 quel que soit l’avancement du projet fédéral. Le risque est donc élevé de voir les entreprises soumises à un taux d’imposition de 24% à Genève traverser la Versoix. De l’autre côté de l’Atlantique, le président américain a promulgué fin 2017 la plus importante réforme fiscale de ces trente dernières années. Ce texte abaisse le taux d’imposition des sociétés de 35% à 21%. La banque JP Morgan a déjà annoncé la création de 4'000 emplois dans les 5 ans.
On voit donc que les effets sont immédiats et que Genève ne peut pas se permettre un échec de cette réforme. Je suis persuadé qu’avec un taux de 13,49%, Genève restera compétitive.

«Genève est-elle à même d’inventer
la finance de demain? Ma réponse est oui.»
Quels seront les grands axes de développement de la place financière sur les prochaines années?

Le WEF publie chaque année un classement sur la compétitivité dans lequel l’innovation est clé. Depuis 9 ans, la Suisse arrive en tête. Genève est-elle à même d’inventer la finance de demain? Ma réponse est oui. Et de nombreuses pistes sont actuellement explorées, dont la finance durable. Si cela fait plus de 20 ans que de nombreux intermédiaires financiers se sont tournés vers des stratégies d’investissements responsables, je constate un engouement depuis ces dernières années. Ceci s’explique par la variété des critères de mise en œuvre et par une prise de conscience au niveau international et en Suisse. Entre 2015 et 2016, les investissements durables ont progressé de 39% pour atteindre 266 milliards de francs au niveau national. La finance durable fait également venir des compétences nouvelles et complémentaires. Elle constitue non seulement un relais de croissance, mais aussi un vecteur de différenciation avec les autres centres financiers.