Facteurs de style

Salima Barragan

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Selon le Professeur Elroy Dimson, les stratégies factorielles amènent une meilleure diversification des investissements.

Smart Bêta, Active Quant: les stratégies factorielles sont devenues le troisième pilier des investissements, à côté de la gestion active et passive. Elles captent les primes de risque des facteurs de style de gestion parmi lesquelles la croissance, la valeur, le momentum, la volatilité minimale et la taille de la capitalisation boursière sont les plus connus. Une enquête d’Invesco a révélé que 70% des investisseurs institutionnels utilisent des stratégies basées sur des facteurs, tandis que 54% des investisseurs privés prévoient également de les intégrer dans leurs portefeuilles. A l’occasion de la conférence d’Invesco, dédiée à l’investissement factoriel, Allnews s’est entretenu avec le Professeur Elroy Dimson, qui préside le Centre for Endowment Asset Management de la Cambridge Judge Business School et est également professeur émérite de finance à la London Business School.

Quelles sont les preuves à long terme dont les milieux académiques disposent en matière de facteurs de style de gestion?

Les recherches sur les facteurs, d’une manière plus générale, ont commencé avec le modèle de marché établi par le Prix Nobel William Sharp. Il s’agit d’un modèle à facteur unique qui mesure la relation entre le rendement des actifs individuels et celui du marché. Ici, les preuves remontent aussi loin que les données du marché. Invesco conçoit les facteurs pour les stratégies d’investissement mono et multifactorielle. Dans ce cas, nous pouvons remonter aussi loin que les données historiques par facteurs ont existé. C’est simple pour le facteur des grandes capitalisations boursières. Mais c'est plus délicat pour le facteur qualité, qui est lié aux bénéfices des entreprises, car nous dépendons des bases de données comptables et elles n'existent pas depuis aussi longtemps. Dans nos recherches, nous pouvons remonter jusqu'en 1899 pour certains facteurs tels que le rendement en dividendes.

Comme les primes de facteurs varient au fil du temps,
il est important de diversifier l'exposition aux facteurs du portefeuille.
Comment les investissements factoriels peuvent-ils contribuer à la diversification d’un portefeuille d’actions?

Impossible d'envisager la diversification sans les facteurs. Au total, les investisseurs peuvent adapter leur portefeuille de nombreuses façons. Ils peuvent, par exemple, mettre l'accent sur certains facteurs et construire des portefeuilles en fonction de certains thèmes de style d'investissement. Plus les actions d'un portefeuille couvrent largement ces différents thèmes, plus le portefeuille sera globalement diversifié. En revanche, être sous-pondéré ou surpondéré, ne favorise pas la diversification. Les investisseurs utilisent des facteurs pour créer une diversification qui leur permet d'exposer leurs portefeuilles à des facteurs offrant des rendements à long terme tout en évitant ceux qui pourraient pénaliser la performance de leur portefeuille. Certains investisseurs font valoir que les questions ESG (Environnement, Social et Gouvernance) sont également des facteurs, de sorte qu'ils sont également en mesure de donner à leurs portefeuilles une telle orientation. Mais comme les primes de facteurs varient au fil du temps, il est important d'en diversifier l'exposition.

Existe-il un risque de se retrouver dans une stratégie saturée comme celle de momentum?

Oui, effectivement, selon les périodes, certaines stratégies sont particulièrement à la mode et le risque est toujours présent. Rétrospectivement, la biotechnologie, les télécommunications et les marchés émergents ont bien fonctionné pendant un certain temps avant qu'une bulle ne se développe et n'incite les investisseurs à se précipiter vers la sortie. Le meilleur conseil est d'éviter d'investir dans un seul facteur. Non pas à cause du risque d'adopter une stratégie saturée, mais à cause du risque que l'investisseur considère le facteur comme un thème rentable alors qu'il pourrait éventuellement s'avérer mal orienté ou peu performant sur le long terme. Il est préférable de ne prendre que des paris modestes. C’est pourquoi, beaucoup d’émetteurs d’ETF et des gestionnaires actifs, dont Invesco, ont lancé des produits multi-facteurs.

Parmi cette offre de plus en plus dense de produits multifactoriels, faut-il favoriser les fonds passifs ou actifs?

Ce débat se poursuit depuis les années 1990! De nombreux clients souhaitent aujourd'hui avoir un peu des deux types de gestion d'actifs. Beaucoup d'investisseurs misent activement sur des facteurs tels que les petites capitalisations, mettant ainsi des biais à leur portefeuille en fonction de leurs attentes. Les fonds passifs sont bon marché et vous permettront d'obtenir plus ou moins ce que vous attendiez alors que la sélection de gestionnaires actifs est plus difficile. Si vous choisissez mal, vous obtiendrez une mauvaise performance. Les investisseurs sont prêts à payer pour un gestionnaire de fonds qui offre une concentration d'expertise. Mais ils ne veulent pas payer les frais d’un fonds actif pour un fonds passif.

Eviter le risque, c'est renoncer
à la prime correspondante.
Comment les investissements factoriels participent-ils à réduire et à contrôler les risques?

Les rendements à long terme ne peuvent être obtenus sans être exposés à des risques. Certains facteurs offrent des rendements positifs mais peuvent éventuellement vous pousser vers des titres plus difficiles à vendre, comme les petites capitalisations, et vous pourriez faire face à un risque de liquidité si vous deviez liquider ces positions. Pour réduire ce risque, vous devriez envisager les grandes capitalisations. Mais éviter le risque, c'est renoncer à la prime correspondante. Une stratégie à faible risque offre généralement des rendements plus faibles et n'est donc pas nécessairement une stratégie appropriée. Le contrôle des risques, en revanche, est possible sur la base de la valorisation et de la volatilité des marchés.

Quels seront les facteurs à favoriser lors d’un repli du marché?

Dans le passé, la finance moderne utilisait le bêta pour mesurer la sensibilité au marché, et on pensait que c'était la seule forme de compensation! Les choses ont changé depuis, et nous savons maintenant que ce n'est pas la seule jauge. Lorsque le marché s'effondre, les investisseurs peuvent opter pour des facteurs à faible bêta, comme la volatilité minimale. Les investisseurs qui s'inquiètent d'une correction boursière peuvent réduire le bêta global de leur portefeuille de deux façons. Ils peuvent ajuster leur allocation d'actifs en mettant davantage l'accent sur les facteurs les moins affectés par les marchés, tels que les liquidités et les obligations. Ils peuvent aussi combiner des facteurs de rendement qui ne sont pas liés aux marchés, par exemple en adoptant une stratégie long/short avec une position longue sur le facteur valeur et une position courte sur le facteur croissance. Ou en achetant de grandes capitalisations et en vendant des petites capitalisations. Cela permet d'obtenir des rendements basés sur les facteurs avec moins d'exposition.

Quel est le pouvoir explicatif des facteurs?

Il s'agit de la corrélation entre les différents rendements qui peuvent être attribués à différents facteurs. Le principal facteur est le marché, c'est-à-dire l'indice mondial. D'autres facteurs ont trait à des répercussions généralisées sur un sous-groupe de sociétés. La performance qui ne peut être attribuée à des facteurs est propre à une seule société. Le pouvoir explicatif d'un facteur est la mesure dans laquelle tout rendement supplémentaire peut lui être attribué. Nous nous concentrons sur les facteurs plausibles ayant une longue histoire de pouvoir explicatif, et non sur ceux qui sont de nature temporaire. Cela rend les investissements plus transparents et plus faciles à comprendre.

Les investisseurs obligataires ont été les premiers
à raisonner en termes de facteurs.
Nous avons parlé jusqu’à présent de l’univers des actions. Est-ce que les stratégies factorielles peuvent aussi être déclinées sur les obligations?

En effet, oui. Dans le passé, les investisseurs obligataires ont été les premiers à raisonner en termes de facteurs, en se concentrant sur la duration et l'échéance, en particulier pour les émissions de dette souveraine sans aucun risque de défaut. Dans le cas des obligations d’entreprise, des facteurs liés au monde des actions peuvent également s'appliquer car les caractéristiques de cette classe d'actifs sont liées aux sociétés elles-mêmes. La différence est, que dans l’univers obligataire, il existe une plus grande variété d'émissions. D’un côté, il existe un éventail plus large de facteurs; mais de l’autre, le marché est organisé de telle sorte que l'investissement factoriel est limité aux émissions à grande échelle. Et il est difficile d'appliquer certaines stratégies comme le momentum.

Comment s’organise la recherche dans le domaine des investissements factoriels?

Les processus de recherche et de découverte suivent des circuits parallèles, en milieu universitaire mais aussi en recherche appliquée. On pourrait dire qu'il s'agit d'un partenariat intellectuel. Les idées sont partagées et de plus en plus répandues grâce à des bases de données telles que SSRN.com qui contient des milliers d'articles académiques. Le monde des affaires a également tendance à publier ses recherches. C'est le cas, entre autres, d'Invesco. MiFID obligera les organisations à décider si elles doivent mettre leurs livres blancs à la disposition de leurs clients uniquement ou également au grand public. Il est difficile de se trouver au milieu. C'est pourquoi de nouveaux sites Web tels que savvyinvestor.net publient des rapports de recherche appliquée. Ces circuits parallèles prennent donc de plus en plus d'importance. Enfin, il existe aussi des études moins techniques mais plus accessibles au grand public.