Eviter l’écoblanchiment sur la durée

Nicolette de Joncaire

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En février, Morningstar retirait 1200 fonds – pour 1300 milliards d’euros – de son référencement d’investissement durable européen. Entretien avec Laurent Auchlin d’Anglo-Swiss Advisors.

A en croire les dires d’innombrables sociétés de gestion, il n’existe plus de fonds non-ESG. De rares, voire décriés, les produits ESG représenteraient aujourd’hui l’essentiel de l’offre d’investissement en Europe. Depuis la finalisation du cadre technique SFDR l’an dernier, la majorité des produits européens se targue d’appartenance à l’une ou l’autre des nouvelles dispositions (articles 8 ou 9). Fin 2021, Morningstar évaluait à 3'320 milliards d’euros les fonds sous articles 8 et 9, soit 37% des encours de fonds distribués en Europe et prédisait que ces mêmes fonds formeraient 50% des encours d’ici mi-2022. Et pourtant, en février de cette année, ce même Morningstar retirait 1200 fonds – pour 1300 milliards d’euros, soit un tiers des encours déclarés durables en septembre – de son référencement d’investissement durable européen. La «lessive verte»* chez DWS ces jours derniers parait confirmer la problématique. Quelques questions à Laurent Auchlin d’Anglo-Swiss Advisors, co-responsable de la méthodologie des Swiss Sustainable Funds Awards.

Y-a-t-il encore des fonds non-ESG?

Les fonds ESG sont passés en un rien de temps de la rareté à la banalité. Le règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR) semble également avoir changé la donne dans la collecte des sociétés de gestion. Mais attention, il existe un écart important entre les effets d’annonce et la réalité. J’en veux pour preuve la radiation de 1'200 fonds – reclassés d’article 8 à article 6 – du référencement d’investissement durable européen de Morningstar en février. N’oubliez pas que l’appartenance à l’un ou l’autre des articles du SFDR se fait par autodéclaration. L’Union européenne a l’intention de mettre des contrôles en place mais ce n’est pas encore effectif.

Quel impact ces changements ont-ils sur l’univers des Swiss Sustainable Funds Awards?

Un impact majeur car nous savons maintenant ne plus devoir nous fier à des déclarations parfois trompeuses, même en première approximation. Pour restreindre encore notre sélection de première étape, nous avons intensifié le poids donné à l’évolution de l’aspect durable de chaque fonds sur plusieurs années. En d’autres termes, nous nous posons des questions telles que «ce fonds était-il durable il y a deux ou trois ans» pour nous apercevoir que ce n’était pas toujours le cas car certaines sociétés pratiquent l’écoblanchiment sur la durée.

«L’écoblanchiment sur la durée»?

Oui. C’est ainsi que nous qualifions la pratique qui consiste à présenter des fonds durables aujourd’hui mais dont la performance passée était redevable à des placements qui n’avaient rien de responsable, des investissements dans l’énergie fossile par exemple discrètement revendus il y a quelques mois pour «nettoyer» le fonds. Nous vérifions donc, pour tout nouveau fonds, la durabilité de ses sous-jacents sur plusieurs années ainsi que la cohérence de la méthode de gestion du portefeuille sur la durée.  C’est un vrai travail à faire sur les bases de données en amont de la sélection. Et permet d’éviter ceux qui obtenaient de bons résultats avec du pétrole et ont blanchi leur portefeuille récemment.

Qu’en est-il des gérants américains qui se sont mis à l’ESG bien plus tard que leurs homologues européens?

Sur la base de notre approche, aucun gérant US n’était convaincu par l’ESG historiquement même si certains avaient des portefeuilles clean. Peu ont intégré l’ESG dans leurs processus et donc peu sont éligibles aux Swiss Sustainable Funds Awards. Ceci dit, le marché bouge rapidement. Selon Morningstar, plus de 60% des flux iront vers les fonds articles 8 et 9 rapidement… ce qui fait se poser les bonnes questions aux managers non convaincus.

Qu’en est-il de la gestion passive ESG?

La gestion ESG sur la base d’indices est discutable et discutée. Entre autres parce qu’elle est fondée sur des notations dont le cadre est mal défini. C’est un étiquetage ESG à moindre frais.

La taxonomie européenne a aujourd’hui intégré le nucléaire comme acceptable.

La législation européenne a effectivement fait du nucléaire une industrie green mais seuls les gérants français y souscrivent. Ceci dit, même s’il n’y aura jamais une définition unique de l’ESG, les asset managers ne peuvent plus se passer de convictions dans ce sens.

Quel avenir pour les Swiss Sustainable Funds Awards?

Ils continueront à faire la lumière sur cet univers car c’est l’un des rares prix qui ne se base ni sur l’inscription, ni sur une forme de financement, mais uniquement sur le mérite. Au cours de deux prochaines années, l’univers des fonds éligibles va beaucoup évoluer en raison des contrôles qui seront effectués sur les fonds réellement ESG. Reste à déterminer s’il y aura suffisamment de clients privés demandeurs. Le changement générationnel attendu a-t-il vraiment lieu? Les clients n’attendent-ils pas avant tout du rendement? L’exemple de certains grands établissements qui ont mis à disposition tout une gamme de stratégies ESG sans obtenir aucun succès, interpelle. Et depuis 6 mois, ce n’est pas l’ESG qui performe...

Swiss Sustainable Funds Awards
Organisés pour la quatrième année consécutive par Voxia, les Swiss Sustainable Funds Awards (SSFA sont soutenus par les principales institutions faîtières que sont la Swiss Financial Analysts Association (SFAA), le Swiss Training Centre for Investment Professionals (AZEK), l’Association Suisse des Institutions de Prévoyance (ASIP), l’Asset Management Association Switzerland (AMA), ainsi que le Swiss Sustainable Finance (SSF).
Les prix sont décernés cette année aux vainqueurs de huit catégories de placement et de deux catégories spéciales par un jury qui s’est notamment appuyé dans ses délibérations sur l’analyse propriétaire ESG fournie par Conser – vérificateur indépendant et sélectionneur de fonds durables – qui a évalué les sous-jacents de tous les fonds éligibles, ainsi que sur l’analyse des données quantitatives relatives à la performance et au risque effectuée par la société de conseil Anglo-Swiss Advisors.
Le jury, présidé par René Sieber, spécialiste de l’asset management et professeur auprès du Geneva Finance Research Institute (GFRI) de l’Université de Genève, est composé de Suzanna Gobet (Bedrock Group), Joerg Grossmann (Allfunds), Frank Juliano (Compenswiss), Stéphanie de Mestral (De Pury Pictet Turrettini & Cie), Stefano Battiston (Université de Zurich) et Beatrix Wullschleger (Caisse de Retraite Bâle-Ville).
* Selon l'expression utilisée par Les Echos dans un article du 1e juin

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