Elections en Iran: un cocktail explosif

Salima Barragan

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«Malgré une claire volonté de changement, un nouveau régime politique est improbable» estime le Professeur Oreste Foppiani de Webster University.

Colère anti-régime, flambée du prix du baril, imposture politique; les élections législatives en Iran progressent en terrain miné. Un nouveau régime semble improbable et les relations de ce grand producteur de pétrole avec les autres nations demeurent alambiquées. Oreste Foppiani, professeur associé en Relations Internationales à Webster University, donne quelques clés de lecture de la situation actuelle à la veille des élections législatives du 21 février.

En novembre, les manifestations anti-régime causée par l’augmentation de prix du pétrole ont mené à la mort de plusieurs centaines de personnes. La situation s’est encore tendue avec le mensonge initial sur la responsabilité du crash du vol ukrainien le 8 janvier. Le mécontentement est-il de nature à amener un nouveau régime politique et une baisse des tensions?

Un nouveau régime politique est improbable car le dispositif répressif est toujours très fort. Bien que la population soit mécontente, il n'y a ni opposition organisée, ni vrai groupe d'opposition. Les Iraniens veulent un changement mais ne veulent pas d’un conflit total qui pourrait précipiter leur pays dans le chaos, voire dans une guerre civile.

Peut-on considérer que, compte tenu de la disqualification de milliers de candidats, l’élection sera réellement démocratique?

Les élections présidentielles et législatives iraniennes n'ont jamais été démocratiques au sens strict du terme. Seuls ceux dont la loyauté au système islamique républicain est irréprochable sont considérés comme candidats possibles. L'Iran n'est pas un état totalitaire mais, malgré quelques aspects d'un Etat démocratique, le pays reste basé sur un système autoritaire ou quasi-autoritaire.

La stratégie de l'administration Trump est d'appliquer
une pression maximale jusqu'ä ce que Téhéran capitule.
Le virage en faveur du pouvoir conservateur religieux mènera-t-il à un repli sécuritaire qui durcira encore un bras de fer Iran/US attisé par la mort du Général Soleimani?

Indépendamment des résultats des prochaines élections, les relations entre l'Iran et les Etats-Unis sont déjà pitoyables suite à l'abandon par Washington du JCPoA1, à l'imposition des sanctions économiques les plus dures observées depuis la naissance de la République islamique, puis à l'assassinat de l’un des officiers les plus aimés des Iraniens. La stratégie de l'administration Trump est d'appliquer une pression maximale jusqu'ä ce que Téhéran capitule ou jusqu'à l'implosion du régime. Les frappes de missiles iraniens du 8 janvier sur les bases irakiennes qui accueillait des troupes américaines était un geste symbolique mais l'Iran utilisera tous les outils dont il dispose pour rendre la vie encore plus difficile aux Américains en Irak et en Afghanistan.

L’Europe peut-elle avoir une influence modératrice sur les rapports entre l’Iran et les US?

Depuis la crise migratoire sur sa frontière méridionale, l'Union Européenne ne fait plus partie des protagonistes qui comptent dans le MENA2. Elle ne peut donc plus faire grand-chose en tant que médiateur d’autant que les Européens ne partagent pas le point de vue américain sur l'Iran - en particulier sur le dossier nucléaire – et que Bruxelles n'a que peu d’influence sur Washington. En outre, l'effort de l'UE pour établir un système international de paiement alternatif - INSTEX3 - pour le commerce des sociétés européennes avec l'Iran (et ainsi se protéger des sanctions américaines) n'a eu pour l’instant aucun succès. Par contre, en toute discrétion, la Suisse continue d’œuvrer comme médiateur entre Washington et Téhéran.

 

Or noir: le point de vue de Ole Hansen, responsable des matières premières chez Saxo Bank
Au cours des deux dernières années, la production de pétrole en Iran a chuté de 1,8 millions de barils par jour, soit près de 50%, pour atteindre aujourd’hui 2 millions de barils par jour à cause des sanctions et du manque d'accès aux capitaux. Si les tensions diminuent et que les États-Unis lèvent leurs sanctions, le pays fera tout son possible pour regagner ses parts de marché. Malheureusement pour l'Iran (et pour les autres producteurs de pétrole), ces efforts ajouteraient une pression supplémentaire à la baisse sur le prix. L'augmentation de la production hors OPEP et le ralentissement de la croissance de la demande ont déjà contraint l'OPEP à réduire sa production à des niveaux qui n'avaient plus été observés depuis la crise financière mondiale en 2009. Par ailleurs, l'épidémie de coronavirus en Chine a réduit la demande du plus grand importateur mondial de 3 millions de barils par jour et ces développements ont amené le Brent à un niveau proche de 50 dollars le baril, un niveau bien inférieur à celui dont la plupart des producteurs de l'OPEP ont besoin pour équilibrer leur budget. 

 

1 JCPoA: Joint Comprehensive Plan of Action (traduit en français par Plan d'action global commun) est la conclusion de l'accord du 14 juillet 2015 sur le nucléaire iranien, signé par huit parties: les pays du P5+1, ainsi que l'Union européenne et l'Iran.
2 MENA («Middle East and North Africa») est un acronyme utilisé pour désigner la région du monde comportant l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient.
3 INSTEX est une société créée en janvier 2019 par la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Elle est destinée à favoriser les échanges commerciaux avec l'Iran, sans utiliser le dollar américain.