Durabilité: les exigences accrues des investisseurs feront changer les choses

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Pour Antoinette Hunziker-Ebneter, CEO de Forma Futura, le contenu et l’impact des placements durables seront examinés avec toujours plus d’attention.

A l’heure où la plupart des gérants d’actifs proposent des solutions de placement durables, est-ce encore un avantage d’avoir compté parmi les acteurs qui se sont préoccupés très tôt des questions de durabilité? Eléments de réponse avec Antoinette Hunziker-Ebneter, CEO de Forma Futura Invest et qui est aussi présidente du conseil d’administration de la Banque Cantonale Bernoise.

Quels ont été les développements clés chez Forma Futura en 2021 et 2022 et qu’anticipez-vous pour les prochaines années?

On peut commencer par constater que la durabilité est devenue mainstream au cours des dernières années. Les prestataires de services financiers ne peuvent plus se soustraire aux questions en lien avec la durabilité. En 2022, les craintes suscitées par la guerre en Ukraine concernant la sécurité de l'approvisionnement et le maintien de la paix en Europe ont également fortement influencé la perception de la durabilité. Par exemple, dans le contexte de la sécurité de l'approvisionnement, les investissements dans des combustibles fossiles ou dans l’énergie nucléaire ont été considérés par certains acteurs comme étant durables. Il y a aussi eu de vifs débats sur la question de savoir si des investissements dans des équipements de défense pouvaient être considérés comme durables ou non, notamment au regard de l’objectif de développement durable (ODD) 16 intitulé «Paix, justice et institutions efficaces».

Et quel est l’avis de Forma Futura à ce sujet?

De notre point de vue, lorsque des efforts diplomatiques ne portent pas leurs fruits, la défense de l’Ukraine doit être possible également avec des moyens militaires. Néanmoins, dans le sens de ce qui est prévu par l’ODD 16, il est nécessaire de renforcer à long terme le droit international et le contrôle des armes au niveau global. La militarisation conduit à de nouveaux conflits et à de nouvelles formes de violence. La guerre entrave les efforts de paix, conduit à des violations des droits de l'homme et affaiblit les institutions. C’est pourquoi Forma Futura continuera à ne pas investir dans l’industrie des armes et de la défense, même lorsque celle-ci est utilisée à des fins de protection. De notre point de vue, il n’est pas acceptable de réaliser des bénéfices avec la production et le négoce de matériel de guerre. Les équipements servant à la défense d’un pays relèvent de la responsabilité de l’Etat, non pas de la compétence des investisseurs.

Partant d’un univers de base constitué d’environ 10'000 actions et obligations, nous n’en retenons finalement plus qu’environ 250.
Les questions liées à la durabilité ont été placées sous le feu des projecteurs ces dernières années. Quels développements attendez-vous pour la suite?

Je m’attends à ce que la phase de l’euphorie pour les placements durables, qui s’est mise en place depuis environ 2016, va peu à peu s’estomper et que nous allons entrer dans une phase de retour à la réalité. Cela signifie aussi que le contenu et l’impact des placements durables seront examinés de très près, tout comme il faut s’attendre à des interventions plus fortes des instances de régulation. Nous entrons dans une phase où il s'agit de faire preuve de plus de professionnalisme dans le domaine des investissements durables et où le bon grain se sépare de l'ivraie, comme le dit le proverbe.

Ces changements attendus auront-ils lieu sous la pression des instances de régulation ou viendront-ils à l’initiative des acteurs de la branche eux-mêmes?

Bien sûr, un cas tel que celui de DWS, accusé en Allemagne d’avoir pratiqué le «greenwashing» et qui a conduit au départ de plusieurs de ses hauts cadres, a eu un grand retentissement l’an dernier. Je pense toutefois que ce sont surtout les exigences toujours plus élevées des investisseurs qui seront le moteur du changement.

A l’avenir, Forma Futura se positionnera-t-elle toujours avant tout comme un gérant d’actifs ou également en tant que consultant dans le domaine de la durabilité?

Forma Futura est en premier lieu un gestionnaire de fortune et continuera de le rester. Cela dit, dans le cadre de nos activités de gestionnaire de fortune, nous assistons nos clientes et clients privés, les fondations et bien sûr les clientes et clients institutionnels comme les caisses de pension de taille moyenne dans l'intégration de critères de durabilité dans leurs règlements d'investissement. De même, nous partageons aussi nos connaissances en la matière avec le grand public, que ce soit par le biais de publications, en s’exprimant dans les médias ou en participant à différents événements en lien avec ces thèmes.

La phase de l’euphorie pour les placements durables, qui s’est mise en place depuis environ 2016, va peu à peu s’estomper et nous allons entrer dans une phase de retour à la réalité.
Pratiquement tous les gérants d’actifs proposent désormais des solutions de placement qui prennent en compte des critères de durabilité d’une manière ou d’une autre. Y a-t-il encore un avantage à avoir fait partie des premiers prestataires à s’être préoccupé des questions de durabilité?

Le fait que beaucoup de prestataires de services financiers proposent des solutions de placement qui tiennent compte des critères de durabilité est en soi une bonne chose. Dans cette abondance croissante d'offres, il existe toutefois de grandes différences dans la mise en œuvre de la durabilité dans les investissements. Les prestataires de services financiers qui ont opté très tôt pour la durabilité jouissent d'une crédibilité auprès des investisseurs qui n'est possible qu'après de nombreuses années de mise en œuvre conséquente. Ces prestataires, dont Forma Futura, considèrent la durabilité comme une nécessité, tandis que d'autres y voient plutôt une tendance prometteuse et surtout rentable. Ces différents points de vue exercent une influence non négligeable sur l'approche de l'investissement durable. Si la durabilité est considérée comme une nécessité, comme nous le faisons chez Forma Futura, celle-ci fait partie intégrante de chaque réflexion, de chaque décision et de chaque développement de produit d'une entreprise financière.

En matière d’investissements durables, certains investisseurs ne se satisfont plus de solutions de placement toutes faites mis à disposition par des gérants de fonds. En tant que client, est-il possible d’individualiser son portefeuille de titres chez Forma Futura en fonction de ses préférences ou de sa sensibilité pour un aspect ou un autre en lien à l’environnement ou des critères sociaux par exemple?

Il faut tout d’abord rappeler que les titres que nous retenons doivent passer au travers d’un processus de sélection qui est extrêmement exigeant. Partant d’un univers de base constitué d’environ 10'000 actions et obligations, nous n’en retenons finalement plus qu’environ 250. Parmi les titres retenus au final, nos clientes et clients ont encore la possibilité d’indiquer leurs préférences. Par exemple, si une cliente ou un client ne veut absolument pas de titres du secteur pharmaceutique dans son portefeuille pour une raison particulière, elle ou il peut ajouter ce critère d'exclusion supplémentaire. Les portefeuilles de nos clientes et clients sont toujours définis de façon individuelle – à la différence des fonds de placement qui incluent une sélection de titres qui est la même pour tout le monde.

Faut-il disposer de moyens financiers plus importants pour bénéficier d’une stratégie de placement individuelle chez Forma Futura?

Non, ce n’est pas le cas. Le seuil initial d’entrée est fixé à 500'000 francs. A partir de ce montant, toutes les clientes et tous les clients ou institutions sont traités de la même manière – peu importe qu’ils aient 500'000 francs ou 50 millions de francs à investir.

A lire aussi...