Double perspective

Nicolette de Joncaire

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Martin Currie reprend le mandat de gestion des marchés émergents de Pury Pictet Turrettini & Cie (PPT). Avec Melville Bucher et Melchior de Muralt.

Savoir identifier le potentiel de croissance et la durabilité d’une société puis mener une politique d’engagement pour qu’elle évolue dans le bon sens: telle est la stratégie commune adoptée par Martin Currie et Pury Pictet Turrettini & Cie (PPT). Alliant ainsi l’expertise de plus de 10 ans sur les marchés émergents du premier à l’approche Buy & Care du second, les partenaires veulent ainsi offrir une double perspective sur des investissements à long terme, tenant compte des risques inhérents aux entreprises aujourd’hui mais aussi de ceux associés à l’évolution de leurs modèles d’affaires. Contrairement à beaucoup d’approches ESG qui se contentent de contourner les externalités négatives, l’ambition est ici de jeter la lumière sur les externalités positives et de les accompagner avec une expertise en matière d'investissement durable. L’alliance des deux sociétés de gestion vise à «augmenter la puissance de feu» pour se démarquer clairement du greenwashing dont est passablement accusé la finance dite «durable». D’autant que Martin Currie est un gestionnaire spécialisé et appartient au groupe Franklin Templeton, également reconnu pour ses portefeuilles dits «de haute conviction». Entretien avec Melville Bucher de Martin Currie, Melchior de Muralt et Dominique Habegger de PPT.

Quels sont les objectifs à long terme du mandat?

Melville Bucher: en premier lieu d’assurer la croissance du capital sur un nombre réduit de positions soigneusement sélectionnées (45 à 50) grâce à notre longue expérience des marchés émergents. En second lieu d’accompagner les entreprises choisies dans leur transformation vers un modèle plus durable. Notre expérience de la gestion durable est longue. Martin Currie a adhéré aux Principes de l’investissement responsable en 2009 et a bénéficié des meilleures notations sur plusieurs années consécutives. Plus récemment, nous sommes devenus signataires de l’Initiative Net Zéro et jugeons l’accompagnement des entreprises dans lesquelles nous sommes investis comme l’une des responsabilités prioritaires d'un gestionnaire actif comme Martin Currie.

Melchior de Muralt: nous privilégions les sociétés qui développent des modèles d’affaires en ligne avec les inévitables changements climatiques, sociaux et démographiques que nous observons, tout en créant des externalités positives. Comme investisseur, nous nous impliquons tant par un exercice systématique des droits de vote que par un dialogue régulier avec le management. L’objectif est donc un investissement bien positionné sur les tendances de fond et qui porte en son sein le potentiel de transformer en gain les avantages compétitifs du développement durable. Ce sont les principes mêmes de ce que nous appelons la stratégie Buy & Care.

Une approche différente de l’ESG classique?

MdM: oui, car vendre Nestlé pour acheter Unilever ne change rien à la durabilité de l’économie dans son ensemble. Cela peut contribuer à celle du fonds d’investissement lui-même mais ne fait, en réalité, que déplacer le problème sans apporter une quelconque valeur ajoutée – ou additionnalité. Il ne suffit pas d’investir dans une société jugée comme positive par les agences de notation (qui par ailleurs ne s’accordent pas entre elles). L’unique stratégie qui fait sens au sein d’un univers d’actions cotées est de conduire les entreprises à modifier leur comportement grâce à un engagement actionnarial véritable et les amener à se responsabiliser sur l’ensemble de leur chaine de valeur. Sur un modèle déjà éprouvé par certains, il faut amener les entreprises à s’ancrer dans les communautés auxquelles elles appartiennent, avec l’appui d’ONG expertes du terrain et en s’associant aux initiatives publiques-privées, seules garantes d’une réussite possible des Objectifs de développement durable.

N'est-il pas difficile d’avoir les mêmes exigences ESG sur les marchés émergents que sur les marchés plus mûrs?

MB: ce qu’on appelle marchés émergents a beaucoup évolué au cours des 30 dernières années. Les neuf pays compris dans l’appellation à l’origine sont aujourd’hui 26 et la qualité de l’univers concerné est bien différent de ce qu’il fut dans les années 1990. Il est dorénavant comparable à celui des pays développés tant au niveau de la gouvernance qu’à celui de la transparence, avec des critères d’audit très similaires pour un certain nombre de marchés émergents. Nos observations mènent d’ailleurs à conclure qu’il existe une corrélation évidente entre ESG et valorisation des actions au sein de cet univers. En outre, en tant qu’investisseur de long terme, nous demandons à notre équipe de recherche de scruter chaque entreprise avec la plus grande attention sur tous les aspects de l'«E», du «S» et du «G» avant de nous positionner.  

Importe-t-il de divulguer les éléments d’une politique actionnariale?

Dominique Habegger: cela nous parait évident. En ce qui nous concerne, nous publions chaque année, sur le web et accessible à tous, le détail de nos interventions auprès des entreprises dans lesquelles nous sommes investis, y compris nos succès et nos échecs.

En Suisse, PPT est reconnu pour sa politique d’engagement actionnarial. Qu’en est-il de Martin Currie?

MB: Nous nous engageons très activement ce qui explique notre entente avec PPT. L’an dernier, sur les 8 milliards que nous gérons dans les marchés émergents, nous nous sommes engagés sur 206 dossiers, pour un quart sur des questions environnementales, pour un autre quart sur des questions sociales, pour 40% sur des points de gouvernance et le reste sur la transparence. Pour donner une idée de cet engagement, j’aime préciser que dans 42% des cas, nous avons voté contre les décisions du management marquant ainsi clairement notre indépendance de vue.

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