Des attentes plus prudentes pour l’ensemble de l’année 2022

Yves Hulmann

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Pour Christian Hintermann de KPMG, les excellents résultats affichés par les banques privées en 2021 pourront difficilement être répétés cette année.

2021 a été une année favorable pour les banques privées helvétiques. En 2021, les actifs sous gestion des établissements analysés par l’étude «Clarity on Swiss Private Banks» de KPMG ont augmenté de 373 milliards de francs, soit une hausse de 12,9%, pour s’établir désormais à 3263 milliards de francs à fin décembre 2021. Les afflux nets de nouveaux capitaux, qui ont atteint 131 milliards, ainsi que la performance favorable des marchés, à hauteur de 234 milliards, ont largement contribué à cette croissance. Au final, le bénéfice brut s’est établi à 5,8 milliards de francs en 2021, comparé à 3,76 milliards en 2015. A la fin de 2021, les banques privées prises en compte par l’étude employaient 37’110 personnes (équivalent à plein temps), comparé 32'374 postes six ans plus tôt. A fin juin 2022, l’étude dénombrait 92 banques privées, contre 94 instituts à fin décembre 2011 et comparé à 163 établissements dix ans plus tôt. Les activités de fusions et acquisitions ont été importantes sur les six premiers mois de 2022 avec 12 transactions répertoriées, comparé à 15 transactions en 2021. Réalisée en collaboration avec l’Université de Saint-Gall, l’étude repose sur un échantillon stable de 76 établissements analysés sur sept ans qui représentaient 81% des 94 banques privées helvétiques à fin 2021. A noter que l’étude n’inclut ni Credit Suisse, ni UBS et qu’elle ne tient pas compte des établissements en liquidation ou qui n’ont pas publié leurs comptes au cours des sept dernières années. Comment interpréter ces résultats et quelles sont les tendances qui se dessinent pour le reste de 2022? Le point avec Christian Hintermann, responsable de l’étude et associé Financial Services chez KPMG Suisse.

A fin juin 2022, le nombre de banques privées en Suisse n’était plus que de 92 établissements, comparé à 99 instituts à fin 2020. Au cours des 18 derniers mois, huit banques privées ont disparu du marché en Suisse. Lors de la présentation des résultats de l’étude mercredi, vous avez déclaré que les banques privées qui doivent être vendues agissent souvent à partir d’une position de faiblesse suite à une détérioration de leur situation. A quels signaux d’alarme une banque privée devrait-elle être attentive?

Il faut bien sûr toujours considérer la situation d’ensemble d’un établissement. De manière générale, il faut être attentif lorsque le bénéfice ou la rentabilité d’une banque privée diminue, par exemple lorsqu’un chiffre clé tel que le ratio coûts/revenus dépasse certains niveaux. Toutefois, même lorsqu’un établissement est encore profitable, il faut aussi s’interroger si la banque est en mesure de financer d’éventuels investissements importants nécessaires pour assurer son développement à long terme ou si elle a des difficultés à recruter du personnel disposant de certaines compétences. Lorsque des investissements importants sont nécessaires, il faut évaluer assez tôt si la banque dispose de l’argent nécessaire et si la banque dispose des capacités et du temps pour mettre en œuvre un processus de transformation important. Lorsqu’une banque ne dispose plus de telles ressources, ses propriétaires ou administrateurs devraient sérieusement envisager une vente ou un rapprochement avec un autre établissement.

Selon votre analyse de la performance de 76 banques privées opérant en Suisse, vous observez qu’un quart (25%) d’entre elles affichaient un rapport entre les coûts et les revenus (« cost/income ratio ») qui dépassait les 95% en 2021, en dépit d’un environnement de marché favorable l’an dernier. Est-il encore possible d’inverser la tendance lorsque l’on affiche un ratio coûts/revenus de 90 ou 95%?

Un aspect important qui mérite d’être souligné concernant le ratio coûts/revenus est que l’on ne se situe pas même encore au niveau de profitabilité nette. Quand les coûts atteignent 95% des revenus, cela signifie que les charges opérationnelles sont pratiquement aussi élevées que l’ensemble des recettes. Un tel ratio de plus 95% signifie qu’il s’agit probablement d’un établissement déficitaire. En d’autres termes, un ratio coûts/revenus supérieur à 90% peut définitivement déjà être considéré comme trop élevé. Les établissements véritablement profitables affichent un ratio coûts/revenus d’environ 70% ou moins.

«Seuls environ 400 gestionnaires de fortune indépendants parmi les 2100 IAM dénombrés en Suisse avaient déjà obtenu à fin juillet une autorisation de la FINMA pour répondre aux exigences de LEFin.»
Côté positif, il ressort de l’étude que trois banques privées sur quatre ont bénéficié d’afflux nets de nouveaux capitaux (NNM), lesquels ont culminé à 131 milliards de francs en 2021 (95 milliards en 2020). Cette tendance positive peut-elle être répétée sur la durée?

Lorsqu’une banque privée bénéficie d’afflux nets de capitaux positifs, c’est un signe de succès pour l’établissement. Cela signifie que les clients ont confiance en elle et qu’ils sont prêts à investir de l’argent. Maintenant, 2021 était une année durant laquelle tout le monde voulait investir et pratiquement toutes les banques ont profité de cette tendance positive. Lorsque davantage de nuages noirs s’accumulent à l’horizon, comme cela été le cas depuis l’hiver dernier, il y a de bonnes chances que ce climat d’incertitude finisse aussi par se répercuter sur les afflux nets de capitaux. Avec la hausse des taux d’intérêt, une inflation qui ne semble pas prête d’être contenue et une augmentation des risques de récession, vous avez un important cumul de facteurs négatifs. De plus, sur le plan opérationnel, certaines banques privées préféreront desservir un nombre plus restreint de marchés en raison des nombreuses incertitudes qui existent sur le plan géopolitique. Tout cela incite à avoir des attentes plus prudentes concernant les résultats de l’année 2022 en comparaison de 2021.

Les fusions et acquisitions sont aussi un thème récurrent au sein de la branche. En périodes de crise ou de détérioration de la rentabilité, faut-il s’attendre à ce que davantage d’établissements optent pour une vente ou une fusion?

Ce n’est pas certain – du moins pas à court terme. En effet, lorsque les marchés évoluent favorablement, il y a souvent davantage d’établissements qui envisagent de procéder à des acquisitions. Quand les marchés se détériorent, cela peut inciter les acquéreurs potentiels à la prudence. Et du côté des vendeurs potentiels, il faut souvent un certain temps pour que la perception de la situation évolue et que l’on se rende compte que le beau monde d’avant n’existe plus.

Concernant l’évolution des gestionnaires de fortune indépendants en Suisse, vous constatez que 37 des plus grands IAM (« Independant Asset Managers ») comme les appelle en anglais gèrent, ensemble, des fortunes de clients supérieures à 100 milliards de francs, soit davantage que les fortunes de clients cumulées des 29 petites banques privées répertoriées dans l’étude. En outre, l’étude dénombre 11 grandes transactions pour les IAM durant le seul premier semestre 2022, contre 5 transactions pour toute l’année 2021. Est-ce à cause des exigences croissantes de la réglementation résultant de la loi fédérale suisse sur les établissements financiers (LEFin)?

Il faut distinguer deux aspects très différents. Les 11 grandes transactions impliquant des IAM qui ont été répertoriées en première moitié d’année l’ont été pour des raisons d’ordre commercial et parce que celles-ci faisaient sens d’un point de vue stratégique. S’agissant des questions de mise en conformité avec la réglementation, notre étude constate que seuls environ 400 gestionnaires de fortune indépendants parmi les 2100 IAM dénombrés en Suisse avaient déjà obtenu, à fin juillet, une autorisation de la FINMA pour répondre aux exigences de la loi fédérale suisse sur les établissements financiers (LEFin) d’ici à fin 2022. Toutefois, il faut tenir compte du fait que beaucoup d’IAM se trouvent toujours dans une procédure de demande d’obtention d’autorisation. Il est encore très difficile de savoir combien d’IAM auront obtenu cette autorisation d’ici la fin de l’année et combien d’entre eux préféreront opter pour une autre solution, que ce soit un rapprochement avec d’autres gérants de fortune indépendants, une vente ou une cession de leur activité.
 

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