Credit Suisse: il faut relever la garantie des dépôts

Emmanuel Garessus

4 minutes de lecture

Adrian Nösberger, de l’Association des banques étrangères en Suisse, tire les enseignements de la crise et des sanctions russes.

Adrian Nösberger, directeur général de Schroder & Co Banque SA en Suisse, a pris la présidence de l’Association des Banques Etrangères en Suisse (AFBS) en janvier. Il répond aux questions d’Allnews sur les conséquences du rachat de Credit Suisse pour la place financière et sur la participation de la Suisse aux sanctions à l’égard de la Russie.

En janvier dernier, vous déclariez dans une interview que la place financière suisse était nettement plus forte qu’avant la crise financière de 2008. Le pensez-vous encore compte tenu du rachat de Credit Suisse?

Oui et non. Par rapport à 2008, les banques sont mieux capitalisées, répondent à une réglementation plus sévère, sont soumises à une surveillance renforcée. Leur solidité est meilleure qu’il y a 15 ans.

Mais après le choc du rachat de Credit Suisse et la reprise du droit d’urgence, la réputation de la place financière suisse a été sévèrement entamée.

Les banques étrangères en Suisse sont par exemple mieux positionnées qu’à l’époque et pas uniquement mieux capitalisées. Auparavant, elles étaient souvent en Suisse parce qu’il fallait y être présentes. Elles offraient toute la palette de services bancaires disponibles. Des progrès significatifs ont été réalisés dans leur concentration sur des métiers et des segments de clientèle bien précis et mieux profilés. Prenez le financement du commerce (trade finance). C’est un domaine essentiel pour quantité de PME. Une entreprise peut exporter par exemple en Asie plus aisément avec la filiale d’une grande banque étrangère qu’en faisant appel à une banque cantonale. Il en va de même du Corporate Banking. Les banques étrangères sont utiles non seulement à des clients privés mais aussi aux entreprises.  Leur signification s’est encore accrue après la fusion entre UBS et Credit Suisse. Les banques étrangères complètent les services des instituts locaux et leur importance augmentera avec la disparition de Credit Suisse.

Que pensez-vous du rachat de Credit Suisse par UBS?

Le retour à une plus grande stabilité sur la place financière est l’élément le plus important. En fin de compte, l’accord qui a été trouvé rassure l'ensemble de l'économie suisse. Toutes les mesures qui garantissent la stabilité et apaisent la situation sont judicieuses. Des alternatives à la reprise par UBS ou diverses autres options existaient sans doute. Mais soyons honnêtes, personne ne peut dire aujourd'hui quelle est finalement la meilleure. L’essentiel est qu'une décision a été prise rapidement.

«Un communiqué publié à midi indiquant que les autorités feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour aider la banque aurait suffi à calmer la situation.»
Quelle est votre opinion sur l’étendue de la crise de Credit Suisse pour la place suisse?

La semaine dernière déjà, des clients m’appelaient et exprimaient leurs craintes pour leurs avoirs en Suisse. Le débat est rapidement émotionnel. Chacun sait que Credit Suisse est suffisamment doté en fonds propres. La chute de 30% de l’action, mercredi dernier, traduisait les craintes d’une spirale négative après la prise de position de son actionnaire soutien.

En vertu des tests de stress de liquidité, chaque établissement doit pouvoir servir les clients qui demandent de retirer leurs fonds, même s’ils sont nombreux. Entre la théorie et la pratique, le fossé est parfois important. Une panique peut rapidement se propager. Un communiqué publié à midi indiquant que les autorités feraient tout ce qui était en leur pouvoir pour aider la banque aurait suffi à calmer la situation. J’ai été déçu par la lenteur de la réaction des autorités. Car chaque heure compte dans une situation de stress.

Quel est le rôle de la crise de la Sillicon Valley Bank?

La déroute de la Silicon Valley Bank (SVB) et son effet sur Credit Suisse me rappelle l’affaire Swissair. La compagnie aérienne rencontrait une phase difficile après les attentats du 11 septembre, mais c’est l’éclatement de l’épidémie du virus SARS qui a fortement perturbé le transport aérien et donné le coup final à l’entreprise. Il s’agissait typiquement d’un cygne noir. Aujourd’hui, la SVB est le cygne noir de Credit Suisse. Sans la déroute de cette dernière, il est possible que rien ne se serait produit mercredi.

Quels enseignements en tirez-vous?

Les perceptions des émotions des clients doivent être gérées et accompagnées suffisamment tôt. L’absence d’intervention risque de conduire à une propagation du feu à d’autres établissements. Le cas de la SVB est isolé car son modèle d’affaires est très particulier. Mais il a suffi de cet accident en Californie pour qu’une grande banque suisse en situation de vulnérabilité soit mise en cause dans sa propre existence. L’image de la place financière suisse en a pris un coup. A l’avenir, le Conseil fédéral, la BNS et la Finma devraient réagir plus rapidement et de façon plus appropriée.

Faut-il améliorer la protection des déposants en Suisse?

La garantie des dépôts est de 100’000 francs, soit en dessous de celle qui prévaut aux Etats-Unis (250’000 dollars). Un relèvement de la garantie serait sans doute une aide appréciable. La crédibilité de la place suisse serait renforcée auprès des clients suisses et étrangers.

Est-ce que les banques étrangères en Suisse profitent d’un afflux de fonds provenant de Credit Suisse?

Toutes les autres banques établies en Suisse profitent un peu, dans des proportions différentes, d’un afflux de fonds de cette affaire. C’est aussi vrai pour Schroders. Mais le dommage pour la place suisse dépasse les gains de quelques établissements. Nous sommes tous sur le même bateau.

Vous présidez l’Association des Banques Etrangères en Suisse depuis janvier dernier. Quelles sont vos ambitions?

Nous sommes en train de revoir notre stratégie et d’adapter nos buts. Je pense que nous sommes le point de contact suisse des banques étrangères parce que nous traitons des mêmes thèmes. Notre association est un point d’accueil et un lieu d’échange d’informations. Nous pouvons aussi offrir une aide à la Suisse, par exemple dans le cadre des relations avec l’UE, dans la mesure où les réseaux de nos banques actives dans l’UE permettent d’anticiper les développements.

Quel est votre avis de la réaction suisse à l’égard des sanctions envers les clients russes?

Nous donnons bien sûr notre opinion à ce sujet et nous avons des échanges avec la Finma , la BNS, le Secrétariat d’Etat aux Questions Financières Internationales (SFI) et le Seco, responsable de la mise en oeuvre des sanctions. Mais ce n’est pas un travail de lobbying. L’ASB est le représentant des intérêts de toute la branche.

Sur les sanctions à l’égard de clients privés, j’attends des autorités qu’elles définissent exactement ce que signifie la neutralité. C’est un exercice d’équilibriste. Si le Conseil fédéral dit: «Nous participons aux sanctions», il n’est pas possible de savoir ce que la neutralité signifie concrètement pour les banques suisses.

La fortune d’un client étranger placée en Suisse est-elle de moins en moins protégée?

Elle est fonction de la solidité et de la stabilité du système juridique suisse et d’un gouvernement qui le respecte. Si des personnalités affirment que notre droit ne s’applique pas dans le cas de sanctions, nous affaiblissons gravement les intérêts de la place financière. Le secret bancaire a disparu pour les clients étrangers. La Suisse coopère en cas de demandes d’entraide judiciaire et d’échanges d’informations. Mais la stabilité du système juridique est la première raison pour laquelle les clients étrangers sont ici, aux côtés d’un service bancaire de qualité. Il est dangereux de qualifier de criminels tous les clients d’un pays.

Est-ce que les banques étrangères signalent un intérêt plus marqué ou non pour la Suisse?

Schroders par exemple a effectué des acquisitions non pas de banques mais de sociétés financières, comme Blue Orchard (microfinance) et Adveq (private equity). Les investissements étrangers dans la Crypto Valley n’apparaissent pas non plus comme un intérêt pour la place bancaire, mais pour l’écosystème financier. Ce dernier reste très bien perçu par les entreprises étrangères.

La Suisse reste un leader en termes d’innovation, en partie grâce au soutien de la Finma, de la BNS et de SIX. Elle est très bien placée au plan international dans les développements des cryptomonnaies et de la blockchain. La Suisse est capable de réagir rapidement.

Je suis donc confiant dans la capacité de la Suisse à profiter d’investissements accrus.

Le gouvernement pourrait toutefois davantage jouer des coudes dans ses relations avec l’étranger et faire avancer les intérêts de la place financière suisse.

A lire aussi...