Conditions de marché post-crise

Salima Barragan

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«Nous n’attendons pas une direction forte des actions mondiales», déclare Sophie Chardon de Lombard Odier & Cie SA.

Alors que les marchés sont revenus sur les plus hauts niveaux enregistrés pré-crise, une reprise en racine carrée, plutôt qu’en V semblerait réaliste. «Les cours des actions n’ont intégré que les bonnes nouvelles, mais de mauvaises surprises pourraient provoquer des corrections», estime Sophie Chardon, senior cross assets strategist de la Banque Lombard Odier & Cie SA. Sous-exposée aux actions, et maintenant de l’or en tant que couverture stratégique, la banque genevoise se tient prête à naviguer à travers des épisodes de volatilité et saisir les opportunités qui pourraient en découler. Entretien.

Vous avez récemment pris des profits sur l’or, qui s’est apprécié de plus de 25% depuis le début de l’année. Est-il devenu surévalué?

Après avoir profité de la correction du mois de mars, nous étions arrivés à des positions en or importantes, jusqu’à 6% sur certains profils. Nous avons donc jugé opportun de prendre partiellement des profits au cours du mouvement haussier de cet été. Sa cherté dépendra des développements futurs, notamment sur les taux réels américains qui sont le principal déterminant de la demande financière d’or. Les taux réels américains négatifs inférieurs à -1% - un niveau plus revu depuis 2013 – ont soutenu le cours de l’or. Mais ils ne baisseront probablement pas plus bas, d’où un potentiel d’appréciation limité pour l’or à moyen terme. Structurellement, les cours resteront soutenus par l’appétit des investisseurs à la recherche d’actifs considérés comme valeur refuge. Comme on ne peut exclure un nouveau stress de marché dans l’environnement actuel, nous maintenons une couverture stratégique à l’or dans nos portefeuilles.

«La volatilité de l’or se rapproche davantage d’un risque action qu’obligation».
Une couverture devenue très volatile depuis quelques mois. Comment gérez-vous ce risque ?

En effet, la volatilité de l’or se rapproche davantage d’un risque action qu’obligation. En mars par exemple, son cours avait fortement chuté (de l’ordre de 12% en dix jours, quand les actions perdaient 15% sur la même période) car l’or est facile à vendre lorsque les investisseurs recherchent de la liquidité. Nous restons donc très vigilants avec nos expositions et le gérons de manière active comme l’illustre notre prise de profit fin juillet.

Substituez-vous l’or aux bons de trésor en tant qu’actif stabilisateur?

Au sein des actifs dits défensifs, détenus dans le but de protéger les portefeuilles en cas de stress de marché, l’or est devenu un bien meilleur substitut aux obligations que dans le passé, même si leurs caractéristiques de risque et de rendement restent très différentes. Par exemple, le stockage de l’or est coûteux et il ne génère pas de coupon ou dividende contrairement aux obligations et actions. Jusqu’en janvier 2019, nous n’avions plus d’or dans les portefeuilles, mais uniquement des bons du trésor dont la volatilité reste contenue pour un niveau de performance honorable. Mais aujourd’hui, avec un rendement évoluant autour de 0,6% sur les bons de Trésor et des taux négatifs sur les obligations souveraines européennes, la capacité de couverture des obligations en cas de stress de marché a diminué: il y a un plancher sur les taux d’intérêt et un plafond sur les prix des obligations.

Vous êtes légèrement sous-pondéré sur la classe actions. Les risques ne sont-ils pas dans les prix?

Grâce à la mise en place de politiques fiscales et monétaires sans précédent dans le monde entier, les marchés se montrent très confiants quant à la sortie de la crise, anticipant un retour à la normale sur les revenus des entreprises dès l’année prochaine. Dans un contexte de valorisations élevées, de mauvaises surprises pourraient déclencher des corrections importantes. Inversement, les marchés peuvent également réagir très vite à la hausse lors de bonnes nouvelles, notamment sur le front sanitaire, en raison de l’abondante liquidé offerte par les banques centrales. Nous restons ainsi investis cependant conservons une part de liquidité en portefeuille pour réinvestir lors de phases de corrections. Comme nous n’attendons pas une direction forte des actions mondiales, il sera important de se montrer agile pour profiter de ces corrections.

«Nous revenons sur des stratégies de portage
au sein des obligations à haut rendement et sur la dette émergente.»
Quelle stratégie poursuivez-vous à la place?

Nous revenons sur des stratégies de portage au sein des obligations à haut rendement et sur la dette émergente. Une grande partie des pertes du mois de mars ont été effacées mais nous pensons que ces classes d’actifs vont continuer de délivrer un rendement attractif. Nous évitons les secteurs qui resteront fragilisés plus durablement par la crise actuelle (l’énergie, les transports ou certains sous-segments de la consommation discrétionnaire notamment).

Au sein de la classe actions, pour quelles raisons privilégiez-vous les Etats-Unis au détriment de l’Europe?

Nous privilégions un positionnement sur les Etats-Unis en raison des caractéristiques de style et de composition sectorielle de ce marché. En effet, nous préférons la technologie et la santé qui bénéficient des transformations inhérentes à la crise actuelle aux secteurs Value comme les banques, l’énergie ou l’automobile. Nos grilles reflètent donc plus un pari sectoriel que régional. Cependant, nous restons vigilants car après la forte hausse de marché des derniers mois, les écarts de valorisation entre les secteurs «gagnants» et «perdants» se sont encore accrus, approchant des niveaux qui peuvent être jugés extrêmes et sujets à de violents ajustements. 

Vous attendiez la correction du billet vert… jusqu’où ira-t-elle? Et comment gérer son exposition au dollar? 

Le dollar nous paraissait surévalué depuis plusieurs mois maintenant. La correction a été rapide et nous touchons notre estimation fondamentale contre euro par exemple. Cependant l’on peut encore voir la paire euro/dollar monter encore un peu plus haut, soutenue par le plan de relance entériné par les dirigeants de l’UE fin juillet. Nous restons ainsi très actifs sur notre gestion des changes, avec un biais baissier sur le dollar contre toutes les autres devises. 

Comment voyez-vous à terme évoluer le rôle du dollar dans les échanges mondiaux?

Nous avons assisté au pic de la mondialisation. Ce qui laisse imaginer un monde avec davantage d’échanges inter-régionaux favorisant d’autres devises, dont le renminbi en particulier.

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