Chine / USA: vers un monde bipolaire

Salima Barragan

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La Chine pourrait devenir la première puissance économique d'ici 2030, estime Didier Borowski d’Amundi.

© Delporte

C’est l’histoire de deux superpuissances antagonistes. Mais aussi très interdépendantes. Leurs superficies sont identiques et elles produisent les deux PIB les plus élevés au monde. Assoiffée de revanche suite aux humiliations subies au XIXe siècle, la Chine occupe aujourd’hui une position géostratégique clé : au centre du nouveau monde asiatique en pleine croissance, sa zone d'influence naturelle. De leur côté, les États-Unis ne comptent pas renoncer à la domination acquise après la Seconde Guerre mondiale. Pour Didier Borowski, Responsable Global Views chez Amundi, leur rivalité provoquera des à-coups imprévisibles sur la volatilité des marchés d’actions et de devises. Entretien.

Après les années Trump, comment l’arrivée de Biden à la Maison-Blanche marque-t-elle un tournant dans la politique étrangère américaine?

Les années Trump ont profondément marqué les relations internationales, notamment avec la Chine et l’Europe, car l’objectif principal de l’ancien Président était le maintien du leadership économique et géopolitique. L'arrivée de Joe Biden à la présidence des États-Unis marque un tournant. On ne s’attend pas un retour aux années Obama, mais l'administration Biden a rapidement adopté une nouvelle position partant du constat que le monde a changé. Le secrétaire d'État Anthony Blinken a clairement indiqué que les priorités des États-Unis ne pouvaient être les mêmes qu'en 2017 ou en 2009. Elles sont aujourd’hui de revitaliser les liens avec leurs alliés et leurs partenaires, de s'attaquer à la crise climatique, de conduire une révolution énergétique verte, d’assurer le leadership en matière de technologie et enfin, de gérer la relation avec la Chine. Cette relation sera compétitive quand elle doit l'être, collaborative quand elle peut l'être. Et conflictuelle quand il le faudra. Le dénominateur commun est la nécessité de s'engager...

La Chine voit les États-Unis à la fois comme un rival qu'elle veut supplanter et comme un partenaire indispensable pour progresser.
Pourquoi la Chine a-t-elle revu sa stratégie géo-économique?

La Chine exportant quatre fois plus vers les Etats-Unis qu'elle n'en importe, elle est devenue leur premier créancier. Mais elle est endettée et a aussi besoin des Etats-Unis comme en témoignent les nombreux accords de partenariat, soit près de 20’000 joint-ventures. Et les exportations vers les Etats-Unis restent importantes notamment dans la technologie et le textile. La stratégie chinoise consiste désormais à limiter progressivement sa dépendance envers les Etats-Unis en développant sa consommation intérieure mais aussi à travers son projet de "Nouvelle route de la soie" vers le Moyen-Orient, l'Europe et l'Afrique, et en signant de nouveaux partenariats commerciaux avec l'Europe et avec ses voisins de la zone Asie-Pacifique.

Comment les économies des deux rivaux sont-elles imbriquées?

La Chine voit les États-Unis à la fois comme un rival qu'elle veut supplanter et comme un partenaire indispensable pour progresser, notamment dans les nouvelles technologies et le numérique. La quasi-totalité de l'équilibre mondial dépendra du développement de leur relation. La rivalité croissante entre les États-Unis et la Chine sera la question géopolitique centrale de la décennie car une concurrence féroce entre les deux nations en matière de technologie, de normes et de puissance militaire se profile à l'horizon. D'un point de vue économique, les deux pays cherchent à accroître leur compétitivité dans la révolution numérique en cours.

Les relations entre les deux superpuissances vont, d'une manière ou d'une autre, façonner le monde de demain et ce monde multipolaire pourrait devenir de plus en plus imprévisible.
Quel rôle pourrait jouer l’Europe dans ce nouvel ordre mondial?

L'Europe ne peut pas rester sur la touche, mais sa position est ambiguë en raison de ses liens économiques étroits avec la superpuissance émergente et de ses relations historiques et idéologiques avec les États-Unis. L'UE peut jouer un rôle décisif dans le nouvel ordre mondial à condition qu'elle se renforce et se réforme pour assurer son autonomie stratégique. Ni les États-Unis, ni la Chine ne l’aideront à se positionner dans le nouvel ordre international. Néanmoins, la Chine - et dans une moindre mesure les Etats-Unis - peuvent avoir intérêt, à terme, à voir émerger en Europe un espace économique puissant et autonome qui pourrait servir de passerelle, sur certaines questions, entre les deux superpuissances. Dans tous les cas, la concurrence entre ces nations sera rude. Les grands blocs doivent s'entendre sur les « règles du jeu » pour assurer la stabilité et la paix à long terme.

Quel sera l’impact de ce clivage géopolitique sur les investissements, et quelles sont vos recommandations?

Les relations entre les deux superpuissances vont, d'une manière ou d'une autre, façonner le monde de demain et ce monde multipolaire pourrait devenir de plus en plus imprévisible. A l'avenir, cela pourrait se traduire par des épisodes de volatilité des marchés. Je recommande une bonne diversification géographique, et monétaire. L'histoire nous enseigne que les monnaies dominantes dans le système monétaire international sont le résultat de rapports de force politiques, économiques et financiers.  Les investisseurs doivent donc rester vigilants sur toutes ces dimensions.

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