CDS: de la quête de rendement à la quête de couverture

Cyril Gomez

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«Les indices de CDS sont efficaces pour des expositions longues et courtes», explique Michael J. Lytle, CEO de Tabula.

En bouleversant le marché du haut rendement et des prêts à levier, la pandémie du covid-19 affecte également le marché des dérivés de crédit. Parmi ceux-ci, le marché des credit default swaps (CDS), dont la prime payée, le CDS spread, pour se protéger contre un défaut a explosé parallèlement à l’effondrement des marchés d’actifs risqués traditionnels. Le spread composite de l’indice iTraxx Europe Crossover, qui couvre 75 CDS d’entités spéculatives en Europe, se situe actuellement à plus de 571 points de base. Contre un peu plus de 200 points début février.

Si les hedge funds sont des acheteurs traditionnels de protection via l’achat direct de CDS sur le marché de gré-à-gré, ils sont également des vendeurs traditionnels de protection indicielle via les indices de CDS, en vue de procéder à des arbitrages sur leurs portefeuilles de CDS sous-jacents à signature unique. Mais le marché se démocratise. Depuis trois ou cinq ans, les investisseurs retail peuvent également exprimer leurs vues sur le marché du crédit, à la hausse comme à la baisse, via des indices de CDS, tout en optimisant les risques de duration et de taux.

Michael John Lytle, CEO de Tabula Investment Management (Tabula), nous offre un éclairage sur le fonctionnement des CDS Indices et sur la façon d’en tirer parti via un instrument financier négociable en bourse. Ce, à un moment où l’agence de notation S&P Global vient de pratiquement quadrupler à 8% d’ici décembre 2020 (contre 2,2% fin 2019) son estimation de taux de défaut des catégories spéculatives en Europe. Tabula, basée à Londres, a fait son entrée sur le marché suisse en juin 2019, avec le lancement à la BX Swiss de cinq ETF obligataires sur des indices de CDS et de volatilité des options du crédit.

Pourquoi investir dans des indices de CDS plutôt que directement dans des obligations?

Les indices de CDS que nous répliquons sont très similaires aux indices obligataires au comptant (cash bond indices), mais des différences essentielles existent. D’abord, les indices de CDS contiennent un nombre plus limité d’emprunts. Dans le cas de l’indice iTraxx Europe Crossover, celui-ci est composé de 75 signatures. C’est donc un indice diversifié mais gérable, alors que la plupart des indices obligataires au comptant comprennent plusieurs centaines, voire des milliers d’obligations.

Durant les phases de stress, les indices de CDS tendent
à faire l’objet d’une activité de trading plus intense.

Ensuite, les constituants des indices de CDS affichent tous le même poids et il n’existe qu’un contrat CDS par obligation ou entité de référence. Dans le cas des cash bond indices, non seulement les constituants ne sont pas équipondérés mais il existe généralement plusieurs obligations par émetteur. Soulignons aussi que les indices de CDS sont activement gérés sous la forme de swaps standardisés faisant l’objet d’une compensation centrale, ce qui permet une découverte active des prix. La valorisation des cash bond indices repose en revanche sur la collecte des prix de toutes les obligations au comptant au sein de l’indice et exige un prix exact pour chaque obligation sous-jacente. Cette exigence est d’autant plus difficile à satisfaire que le nombre d’obligations sous-jacentes aux cash bonds indices est élevé.

De plus, les indices de CDS reflètent le spread des signatures composant l’indice. En tant que tel, ils offrent une duration de crédit cible – généralement autour de 5 ans – avec une exposition limitée au risque de duration ou de taux d’intérêt. Il se trouve que lorsque les marchés bougent, les instruments de crédit et les instruments de taux d’intérêt peuvent bouger en sens opposés. Si l’investisseur est exposé aux deux à la fois, il réduit de fait son exposition au pur facteur de crédit. Enfin, les indices de CDS sont particulièrement efficaces pour des expositions à la fois longues et courtes, tandis que les cash bond indices sont plus adaptées aux expositions longues.

Comment se comportent les indices de CDS en période de volatilité extrême sur les marchés financiers?

Durant les phases de stress, les indices de CDS tendent à faire l’objet d’une activité de trading plus intense. Cela s’explique par le fait qu’il s’agit de produits standardisés, avec un risque de contrepartie limité dû à la compensation centrale. Activement gérés, ils représentent les principaux crédits au sein de leur fourchette de notations. En ce qui concerne les cash bond indices, il est fréquent de constater initialement une chute de l’activité de trading, puis un réajustement une fois que le marché se stabilise. C’est la raison pour laquelle il existe ce vaste débat lié aux décotes des ETFs par rapport à la valeur d’inventaire nette ou NAV de leurs actifs durant les périodes de sell-off. Il se trouve que les données relatives aux prix des obligations sous-jacentes, qui déterminent la NAV, parviennent difficilement à suivre la cadence du marché.

Ainsi, en cas de dégradation du marché du crédit, comment l’investisseur peut-il utiliser un ETF de CDS?

Pour les investisseurs européens, le fonds Tabula European iTraxx Crossover Credit Short UCITS ETF – également appelé TECS – est une façon d’adopter une vue négative sur les spreads de crédit. Par exemple, Il se peut que l’investisseur détienne une relativement grande part d’obligations dans le portefeuille au moment où un sell-off se développe sur le marché du crédit. Mais il ne dispose pas du temps suffisant pour les vendre. Il y a aussi le cas de figure où l’investisseur a mis un certain temps à identifier et financer des titres qui, à ses yeux, lui sont précieux et dont un sell-off ne changera pas fondamentalement ses vues sur le marché du crédit mais uniquement le montant de la compensation exigée pour les détenir.

La perception d’un risque de défaut ou des défauts avérés s’accompagne
d’un élargissement des spreads, ce qui augmente la valeur du fonds TECS.

En achetant le fonds TEC, celui-ci peut réaliser un profit en cas d’élargissement des spreads. En ajoutant ces gains au portefeuille, l’investisseur ajuste de fait le niveau de détention de ses cash bonds. Par exemple, entre le 21 février et le 23 mars, durant la phase la plus sévère de la correction, la valeur liquidative du TECS s’est appréciée de plus de 20%. Si vous aviez acheté le TECS avant le sell-off et revendu celui-ci avec un gain de 20%.

Prenez l’exemple simplifié d’une obligation à 5 ans achetée à 100% de sa valeur nominale et versant un coupon de 2%. Une dépréciation de 20% fait qu’elle en vaut désormais 80%. À ce prix, le coupon nominal de 2% se traduit désormais par un rendement de 6%. Mais en combinant les deux positions, l’une sur les obligations, l’autre sur le TECS, vous détenez toujours 100% du nominal mais votre rendement a bondi d’un niveau de 2% à celui de 6%, en ligne avec la correction du marché.

Quels sont les facteurs influençant directement le prix du fonds Tabula European iTraxx Crossover Credit Short UCITS ETF (ticker TECS)?

TECS reflète la valeur liée à l’achat d’une protection sur les entités de l’indice European Crossover CDS Index. En d’autres termes, tout facteur ayant pour résultat de provoquer un élargissement des spreads s’accompagne d’une appréciation de cet ETF short sur l’indice de CDS. Inversement, lorsque les spreads se contractent, l’ETF perd de la valeur, sans oublier de prendre en compte les coûts liés à la gestion de la position que le fonds paie sur une base quotidienne.

D’une façon générale, la perception d’un risque de défaut ou des défauts avérés s’accompagne d’un élargissement des spreads, ce qui augmente la valeur du fonds TECS. Il est cependant utile de rappeler que si une entité voit son spread s’élargir de façon suffisamment ample et qu’il finisse par faire défaut, mais avec un taux de recouvrement de créance élevé, un tel événement pourrait néanmoins coûter moins à l’indice qu’aux CDS sous-jacents. Nous prévenons toujours les investisseurs sur le fait qu’il existe toujours des impondérables et la possibilité de constater des résultats inattendus.

Quels sont les principaux défis liés à la construction d’ETFs répliquant des instruments de taux et obligataires par rapport aux ETFs sur actions?

Ils sont au nombre de trois. Les actifs obligataires sont en réalité une collection de sous-classes d’actifs assez hétérogènes. Les actions sont bien plus similaires entre elles dans leur structure, même si les entreprises individuelles d’un indice actions présentent des différences notables. Ensuite, chaque sous-classe d’actifs obligataire comprend des centaines de milliers de titres individuels. Les investisseurs internationaux s’échangent chaque jour environ 70'000 actions. Par contraste, ils négocient environ 9 millions de titres à revenu fixe. Enfin, la plupart des titres à revenu fixe se négocient de gré-à-gré et ne font pas l’objet d’une liquidité quotidienne, voire pas même hebdomadaire. Ils n’ont souvent pas de fixing de clôture ou de prix quotidiens précis. Les actions, elles, sont échangées avec des prix officiels quotidiens et des fixing de clôture pour la découverte du prix. Les données sont en effet un élément vital pour la construction de produits indiciels.

La plupart des titres à revenu fixe se négocient de gré-à-gré et ne font pas
l’objet d’une liquidité quotidienne, voire pas même hebdomadaire.
Quelle est votre évaluation de ce que pourraient être les taux de défaut en 2020?

Au cours des dernières années, de faibles taux d’intérêt combiné à des fondamentaux économiques sains ont été accompagnés d’un nombre de défauts inférieur à la moyenne historique. Le ralentissement économique qu’a suscité la pandémie mettra certainement de nombreuses entreprises sous pression, réduisant les cash-flows mais pas les frais courants. Les gouvernements font savoir qu’ils interviendront pour tenter de combler le vide, mais des entreprises souffriront inévitablement un stress important. Le récent sell-off signifie que les marchés du crédit ont été réévalués, ainsi que la compensation qui devrait être versée aux investisseurs pour s’exposer à un risque de crédit beaucoup plus élevé que ce qu’il était il y a à peine un peu plus d’un mois.

Il est beaucoup trop tôt pour dire si la hausse des rendements est suffisante pour compenser toute perte éventuelle due à un futur défaut de paiement. En observant l’indice de CDS crossover d’iTraxx, on voit que celui-ci s’échangeait à moins de 250 points de base avant le sell-off pour se retrouver autour de 600 points de base actuellement. Pour un indice à 5 ans, 350 points de base équivaut plus ou moins à un coût de 17,5% sur 5 ans. En clair, ceci veut dire que l’investisseur pourrait souffrir une perte de 17,5% au bout de 5 ans sur son obligation à haut rendement, tout en étant compensé pour cette perte.

Quand une entreprise fait défaut, la règle de base est d’obtenir un taux de recouvrement des créances de l’ordre de 40%. Ainsi, sur un indice de 75 entités, chaque signature représente 1,3% du notionnel. Sur la base d’un taux de recouvrement de 40%, cela signifie une perte potentielle de 0,8% pour chaque défaut. Autrement dit, il faut 21,88 défauts sur un total de 75 signatures pour atteindre le seuil de rentabilité. Nous vivons certes dans un environnement économique plus difficile, mais allons-nous vraiment assister aux défauts de près de 30% des signatures composant l’indice crossover au cours des cinq prochaines années? À titre de référence, nous n’avons vu que deux défauts et une restructuration au cours des dix dernières années au sein de l’indice précité.

Est-ce que, selon vous, les investisseurs se sont-ils montrés trop complaisants vis-à-vis du segment à haut rendement avant la pandémie?

En janvier, les spreads avaient atteint certains de leurs plus bas niveaux historiques. Les marchés étaient valorisés sur la base d’un scénario économique parfait. Beaucoup d’investisseurs étaient totalement investis, craignant de manquer la hausse alors incessante du marché. Aujourd’hui, un ou deux mois plus tard, les cours reflètent la détresse et la volatilité demeure élevée. Nous avons fait un long chemin en très peu de temps. Nul ne sait ce qu’il se passera, confrontés à des circonstances sans précédent. Sous notre perspective, il est particulièrement vital que les investisseurs possèdent les outils leur permettant d’exprimer leurs vues, ce qui inclut de prendre en compte le fait que les marchés peuvent aussi bien baisser que monter.

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