Bras de fer entre la Finma et les gestionnaires de fortune

Anne Barrat

3 minutes de lecture

Les GFI tardent à envoyer leur demande d’autorisation à la Finma dont ils craignent l’autorité, regrette Lars Schlichting de Kellerhals Carrard.

Quelles leçons faut-il tirer du processus d’autorisation tel que prévu par la LEFin? Telle était la question centrale de la conférence organisée par Credit Suisse en fin d’année dernière devant un parterre de gestionnaires de fortune. Pour bon nombre d’entre eux, qui continuent à hésiter devant l’ampleur de la tâche et la lenteur du processus, le retour d’expérience de Lars Schlichting, avocat associé chez Kellerhals Carrard et ancien de la Finma, avait tout son sens. La date butoir du 31 décembre 2022 se rapproche à grand pas, attendre n’est plus une option. Encore faut-il partir préparés, en intégrant notamment les leçons des premières autorisations déjà délivrées. Explications avec Lars Schlichting.

Vous accompagnez de nombreux gestionnaires de fortunes et trustees dans la procédure LEFin d’autorisation, que constatez-vous?

La machine a commencé à rouler, mais n’a pas pris de vitesse. Les gestionnaires ne sont pas toujours prêts à accorder à cette procédure la juste priorité. Ils ne sont pas non plus conscients que la Finma et les organismes de surveillance (OS) prennent des mois pour examiner chaque dossier, donc retarder les met en situation de risque. Trop nombreux sont ceux qui ont enclenché le processus, puis se sont arrêtés, alors même que les vrais enjeux commencent seulement une fois que l’application est envoyée aux autorités. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: sur un total de 2’521 entités enregistrées auprès de la Finma conformément à l'article 74 de la LEFin, seuls 38 gestionnaires et 3 trustees ont été autorisés directement par la Finma, et 74 gestionnaires autorisés dans le cadre de la surveillance de groupe. Autrement dit 5% du total en novembre 2021!

Comment expliquez-vous cette lenteur?

Le processus d’abord, qui suppose non seulement une demande d’autorisation à la Finma et une affiliation à l’un des cinq OS agréés auprès de la Finma pour la surveillance des gestionnaires de patrimoine et des trustees. Les adaptations nécessaires sont nombreuses: l’approche retenue par la LEFin, fondée sur le risque et visant à garantir une norme de qualité uniforme, suppose la mise en œuvre de mesures d'atténuation des risques. Les entités ayant des modèles d'affaires à haut risque selon l'art. 26, al. 2 de l’OEFin sont particulièrement visées et ne reçoivent pas d’autorisation tant qu’elles n’ont pas démontré qu’elles ont réalisé les ajustements nécessaires pour adapter leur structure et leur modèle d'entreprise (mise à disposition de ressources, séparation de risques et compliance, externalisation par des prestataires externes, etc.). Ce qui explique qu’après l'introduction de la demande, débutent de longs échanges de correspondance avec la Finma.

Les GFI craignent le pouvoir de surveillance de Finma qui a, en réalité, une approche collaborative.
Dans quelle mesure la Finma pourrait-elle accélérer la «machine»?

Loin de moi l’envie d’être critique, même si l’on pourrait imaginer que l’autorité de surveillance s’appesantisse moins longtemps sur des détails pour regarder plutôt l’ensemble du dossier. Tant il est vrai qu’à trop regarder la feuille, on perd la vision de l’arbre. Les GFI craignent le pouvoir de surveillance de Finma qui a, en réalité, une approche collaborative. Le soutien de la part d’un consultant externe aide à garantir un bon niveau du dossier et à accélérer le processus. Il faut également reconnaître que cette procédure est nouvelle, une courbe d’apprentissage était nécessaire avant que la pratique de la Finma ne soit fermement établie.  

Quid des organismes de surveillance?

La principale difficulté avec les OS, qui existait déjà avec leurs prédécesseurs, les OAR, tient à la différence de pratique d’un organisme à l’autre: différence dans la manière de traiter les dossiers, la présentation requise de certains documents, etc. S’il y a une bonne base commune, les OS devant appliquer les mêmes lois, il y a quand même des différences de processus et d’approche entre les différents OS, qui peut entraîner du «shopping» de la part des GFI au profit d’un OS plutôt que d’un autre.

Et du côté des gestionnaires, qu’est-ce qui pourrait être amélioré? Quels conseils leur donneriez-vous fort de vos premières expériences?

La situation d’un GFI à l’autre, les services offerts, le type de structure et leurs ressources, diffèrent tellement qu’il est difficile d’apporter une réponse globale. Cela étant rappelé, le point clé est, comme déjà indiqué, le retard pris par les GFI: 90% d’entre eux n’ont pas encore envoyé leur requête aux OS. Le risque de ne pas voir la requête transmise à Finma avant la fin 2022 est plus que concret. Le processus auprès des OS prend des mois. De plus, les GFI ne doivent pas uniquement reprendre la règlementation standard qu’on trouve sur le marché, mais l’adapter à leur propre structure. Un risque réel, sous-estimé par les GFI, est de recevoir l’autorisation sur la base d’une application des instructions telles quelles, mais de la perdre par la suite. Ce réglage propre à chaque GFI est essentiel.

De plus en plus de GFI y renoncent au profit d’une augmentation des frais de gestion, augurant d’une révolution de l’industrie de la gestion d’actifs à terme.
Outre les changements nécessaires d’organisation, existe-t-il d’autres freins à la décision des gestionnaires de demander leur autorisation?

Le principal frein concerne la pratique des rétrocessions. Elle est dans le collimateur de la Finma, qui veille à éviter tout conflit d’intérêt entre le GFI et ses clients et cherche à s’assurer que ces derniers sont parfaitement au courant du montant des rétrocessions. Les GFI sont ainsi appelés à respecter une stricte transparence sur le pourcentage de la rétrocession qu’ils appliquent ainsi qu’à ne pas dépasser le pourcentage tel que prévu dans le mandat de gestion. Si le principe pratique n’est pas (encore) directement en cause, son application l’est, qui voit souvent des rétrocessions cachées.

Comment voyez-vous cette pratique évoluer dans le temps?

Les nouvelles générations de clients sont beaucoup plus regardantes, ils sont prêts à payer des frais si la gestion est bonne, pas dans le cas contraire. Ils réclament toujours plus de transparence sur le point des frais de gestion. Il est probable qu’à moyen terme les rétrocessions ne seront plus autorisées, comme c’est déjà le cas au Royaume-Uni. De plus en plus de GFI y renoncent au profit d’une augmentation des frais de gestion, augurant d’une révolution de l’industrie de la gestion d’actifs à terme.

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