Diverses entreprises cycliques ont subi une baisse boursière qui les rendent à nouveau intéressantes, juge Philipp Murer, gérant du fonds Reichmuth Pilatus. Ce dernier investit dans des actions de sociétés suisses dont la valeur boursière ne dépasse pas 5 milliards de francs. Il suit une orientation à long terme. Le portefeuille comprend 30 à 40 titres, indépendamment d’un indice de référence.
Le processus de sélection est axé sur la qualité. L’accent est mis sur des entreprises qui vendent des produits leaders et occupent de fortes positions de marché; des firmes qui sont bien gérées et se caractérisent souvent par un actionnariat de référence agissant à long terme.
A fin septembre 2024, le rendement annuel moyen (après les coûts) atteignait 7% depuis le lancement du fonds en décembre 1996. La performance s’élève à 2,4% en 2024 (au 30 septembre).
Comment jugez-vous la situation actuelle du marché suisse?
La flexibilité financière des entreprises s’avère positive. Le recul des marges a été limité par des économies de coûts. Le quatrième trimestre 2023 s’est révélé très faible, si bien qu’il y aura sans doute un effet de base positif pour le dernier trimestre 2024.
La baisse des taux d’intérêt soutient les marchés et le sentiment des investisseurs. De plus, les mesures de stimulation fiscale et monétaire de la Chine sont des éléments positifs, bien que leurs futurs effets soient encore flous. L’environnement géopolitique et économique reste incertain et susceptible d’entraîner de la volatilité et des corrections des marchés.
Cependant, nous attendons une normalisation à moyen terme de l’environnement des affaires, ce dont pourront profiter les entreprises dans lesquelles nous avons investi, en faisant valoir leurs forces et en gagnant des parts de marché. Les indicateurs avancés se stabilisent à un bas niveau et l’indice des directeurs d’achat (PMI) dans l’industrie suisse, en particulier, augmente; ce qui est par expérience toujours un bon signe pour les valeurs cycliques et les valeurs secondaires.
Le cycle de diminution des stocks est en progression. Le taux d’utilisation des capacités est bas, tandis que les coûts d’exploitation des entreprises ont été réduits. Tout cela concourt à un levier opérationnel positif.
Existe-t-il vraiment des opportunités d’achat?
Nous les voyons surtout à présent dans le domaine des actions de sociétés cycliques, qui occupent une forte position de marché dans une niche. Certes, des vents contraires prédominent encore ainsi que des défis de taille, mais ceux-ci se reflètent déjà dans les cours boursiers de telles firmes. En outre, nous entrevoyons des opportunités, ces prochains trimestres, dans des situations de spin-offs ou de ventes d’entités de groupes.
Quelles modifications avez-vous effectué ces derniers mois?
Nous avons quelque peu accru la part des valeurs cycliques. Entre autres avec Bossard, Interroll ou SFS en premier lieu. Par ailleurs, nous sommes positifs à l’égard d’acteurs des énergies propres comme Zehnder ou LEM; le fabricant genevois de capteurs de courant électrique a toujours prouvé sa capacité à sortir renforcé d’une crise. Ou bien encore dans le secteur de la santé avec le développement de nouvelles thérapies et médicaments. Ce dont bénéficient Bachem, Dottikon ou Siegfried.
Une autre tendance forte consiste dans l’automation et la robotique, avec des entreprises telles que Kardex ou Interroll. Il s’agit ici d’efficience et de processus, qui permettent par exemple de mieux relever le défi du manque de main-d’oeuvre qualifiée.
En revanche, nous avons vendu Belimo. Ce spécialiste de l’efficience énergétique est certes une perle de l’industrie suisse, mais nous paraît trop cher en ce moment. Belimo reste cependant sur le radar.
Vous avez donc tiré profit des baisses de cours pour racheter des actions…
Oui, nous avons eu de nouveaux afflux de capitaux et les avons investis dans LEM, Forbo, Bossard, Interroll, Arbonia et TX Group.
Quelle est la situation actuelle de Bossard et SFS Group, les deux plus grandes positions du portefeuille, à fin septembre?
SFS est le principal concurrent de Bossard (ndlr: vis, techniques d’assemblage, logistique) en Suisse, mais dispose d’autres activités tout en étant largement diversifié. Ce qui les lie est une forte position de marché, leur stratégie à long terme, un bilan solide ainsi qu’un actionnaire orienté vers le long terme et un solide focus sur la clientèle.
Toutefois, les indicateurs avancés sont faibles pour Bossard, en particulier ceux concernant ses gros clients (ndlr: dont Tesla et John Deere). L’Europe demeure atone, les grosse commandes n’affluent pas encore. Mais cette cyclicité est connue. Ces deux entreprises s’avèrent structurellement deux apporteurs de solutions à leurs clients. Et gagnent des parts dans un marché fragmenté. Ce sont à notre avis deux occasions d’achat aux cours actuels.
A l’instar de Forbo en particulier?
Forbo a déçu avec ses résultats semestriels; le marché l’a fortement sanctionné. Forbo opère sur un marché (ndlr: revêtements de sol ainsi que bande transporteuse et courroie de transmission de puissance), qui croît peu. Mais ce groupe a de fortes positions et gagne davantage que le coût du capital.
Le taux d’utilisation de ses capacités est bas, et son levier opérationnel haut en cas de reprise de la conjoncture en Europe. Forbo a maintenu ses investissements. Son management est bon, avec une maîtrise des coûts notamment et un free cash-flow robuste.
Sa valorisation boursière est basse, son bilan solide. Aux niveaux actuels, un nouveau programme de rachats d’actions semble probable. Forbo a toujours racheté et détruit des actions propres à un prix attractif durant la dernière décennie. Augmentant, ce faisant, le bénéfice par action et créant de la valeur.
Avez-vous toujours Bobst en portefeuille?
Oui, cela reste une part de notre portefeuille. Bobst n’est plus suivie que par peu d’investisseurs, ce qui ouvre des opportunités. Bobst passe toujours plus d’un fabricant de machines à un fournisseur de software et de services. Cette mutation accentue le lien avec la clientèle, diminue la cyclicité et accroît le potentiel en termes de marges.
Avec ratio cours-bénéfice (PER) de 13, la valorisation nous paraît avantageuse et traduit les faibles attentes du marché. Bobst continuera de verser un dividende attractif. La famille a retiré Bobst de la Bourse à un prix qui lui était favorable. Nous apprécions de pouvoir participer au succès de cette entreprise en tant qu’actionnaire tiers (ndlr: l’action se négocie hors-bourse, sur OTC-X, après l’offre effectuée en 2022 à un prix unitaire de 78 francs).