BCV: une forte volonté d’assurer un dividende stable ou en hausse

Yves Hulmann

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Pour Thomas Paulsen, directeur financier, l’établissement vaudois dispose d’une réserve de fonds propres suffisante qui pourrait être utilisée en cas de recul du bénéfice.

Un bénéfice net record de 388 millions de francs en hausse de 3% sur un an, avec un dividende rehaussé de 10 centimes à 3,80 francs par action qui sera soumis à l’assemblée générale de 2023. Publiés jeudi, les résultats 2022 présentés par la Banque Cantonale Vaudoise (BCV) se sont avérés solides dans ses différents secteurs d’activité. Si les avoirs administrés ont reculé de 3,6% sous l’effet des marchés pour s’établir à 108,9 milliards de francs, la deuxième banque cantonale helvétique a toutefois enregistré des apports nets d’argent frais à hauteur de 3 milliards en 2022, en hausse de 2,7%. Le point sur la situation avec Thomas Paulsen, CFO de la BCV.

Quel est l’impact de la hausse des taux sur les revenus et les coûts de refinancement d’un établissement comme la BCV, qui est actif à la fois dans les affaires hypothécaires dans la banque de détail, les prêts aux entreprises, la gestion de fortune et le trading?

En temps normal - soit avant la mise en place des taux négatifs en 2015 -, il y avait une certaine symétrie entre l’impact qu’avaient les variations des taux sur les coûts et les revenus. Quand les taux d’intérêt augmentaient, cela augmentait les coûts de refinancement tout comme les revenus hypothécaires s’accroissaient également. Avec l’arrivée de l’ère des taux zéro, cette symétrie a été largement cassée. Du côté du passif, les taux restaient plus ou moins bloqués à zéro, tandis qu’ils variaient un peu plus du côté des actifs. Quand les taux ont recommencé à augmenter vers fin 2021, ceci s’est traduit par une légère hausse des taux hypothécaires, car la rémunération des dépôts restait proche de zéro.

«Le monde est coupé en deux. Le commerce mondial n’est plus aussi intégré qu’auparavant.»
Et maintenant?

On revient peu à peu à cette symétrie que nous connaissions avant 2015. La grande question est de savoir si l’on va retrouver la situation d’avant l’arrivée des taux négatifs, avec des marges commerciales positives à l’actif et au passif. Il est encore difficile de savoir comment les choses vont évoluer. Ce qui est certain, c’est que l’on ne peut pas simplement partir du principe qu’une hausse des taux hypothécaires se traduira automatiquement par une augmentation de nos bénéfices.

Dans le segment du Trading, la BCV évoque la hausse du négoce sur devises qui a représenté plus de 68% des revenus du négoce l’an dernier. Est-ce dû à des mouvements spécifiques liés aux variations importantes de certaines devises comme le dollar ou cette hausse ou s’agit-il d’une tendance de long terme?

L’activité de trading sur devises a continuellement augmenté au cours des dernières années. La BCV dispose de l’une des plus grandes salles de trading des devises en Suisse romande. Nous fournissons les services pour le marché de gros dans le domaine des devises. Ces services sont utilisés aussi bien par des particuliers qui vendent des francs pour acheter des euros, et cela même si les clients finaux ne s’en rendent pas nécessairement compte. C’est le cas aussi pour les entreprises qui ont la possibilité de réserver des taux de change au sein de certaines fourchettes lorsqu’elles en ont besoin pour certaines transactions importantes. C’est bien sûr également le cas pour les institutionnels. Chaque fois qu’une caisse de pension achète par exemple des actions européennes ou américaines pour diversifier ses placements, cela nécessite des transactions en devises. Et comme les volumes investis par les institutionnels tendent à augmenter, cela entraîne une demande croissante de flux de devises. La BCV n’effectue des transactions en devises pas seulement pour sa propre clientèle mais pour toutes sortes d’autres catégories d’acteurs. En 2008, nous avions arrêté de faire du trading sur devises pour propre compte, afin de nous concentrer seulement sur le négoce induit par les clients. Cette activité a rencontré du succès sur le plan commercial et elle continue de se développer.

Dans le segment de la Banque des entreprises, les activités liées au Trade Finance ont en revanche connu un fort ralentissement, avec une baisse de 16% du volume d’affaires moyen. Qu’attendez-vous pour la suite?

L’éclatement de la guerre en Ukraine et l’arrêt des transactions en lien avec l’Ukraine et la Russie sont venus apporter un sérieux frein à cette activité, à quoi s’est encore ajoutée la baisse relative des prix des matières premières en seconde partie d’année. Comparés à 2020, les revenus tirés du Trade Finance ont reculé d’environ 25%. Il est nécessaire de réaliser que nous évoluons dans un monde différent d’il y a un ou deux ans. Le monde est coupé en deux. Le commerce mondial n’est plus aussi intégré qu’auparavant.

«Avec la fin des taux négatifs, nous n’avons plus de soucis en lien avec ce que certains appelaient le tourisme bancaire.»

Pour autant, nous n’allons pas essayer de retrouver à tout prix les mêmes niveaux qu’auparavant. On ne va pas se précipiter pour trouver tout de suite des marchés de remplacement. Nous allons plutôt accompagner l’évolution de nos clients dans le Trade finance qui doivent aussi réorganiser leurs flux de négoce. Pour la BCV, le Trade finance est une activité domestique qui se répartit avant tout entre nos clients situés entre Lausanne et Genève.

Du côté de la banque de détail et la gestion de fortune, la BCV a enregistré des apports nets d’argent frais à hauteur de 3 milliards en 2022. Est-ce peu ou beaucoup?

Ce montant est en ligne avec les deux exercices précédents. En 2020 et 2021, dans un contexte encore marqué par les taux négatifs, nous recevions presque trop d’argent de la part de nos clients. C’est peut-être aussi parce que nous n’avons pas été trop stricts au niveau des conditions imposées à la clientèle. Maintenant, la notion d’apports nets d’argent frais, ou «net new money» comme on l’appelle en anglais, est un concept qui est plutôt issu du secteur de la gestion de fortune. Dans une banque universelle, les apports nets d’argent frais correspondent plus ou moins à tout ce qui arrive chez nous, que ce soit de l’argent versé sur un compte, sur un compte d’épargne ou des montants investis dans des dépôts-titres. Avec la fin des taux négatifs, nous n’avons en revanche plus de soucis en lien avec ce que certains appelaient le tourisme bancaire, qui consistait à déplacer son argent d’une banque à une autre pour éviter des pénalités à partir de certains montants.

«Grâce à un rendement des dividendes très stable sur la durée, l’action de la BCV n’est pas une ‘growth story’ mais plutôt une ‘yield story’.»
La BCV fait preuve d’une grande continuité en matière de versement de dividendes qui ont été toujours soit stables, soit en augmentation depuis 2008. N’y a-t-il pas un risque de déception pour les marchés si une année la BCV devait abaisser le dividende octroyé?

Non, je ne crois pas tellement qu’il y ait un tel risque. Il y a une forte volonté de la part de la BCV de ne pas baisser le dividende ces prochaines années. A partir de l’exercice 2023, la BCV prévoit de verser un dividende ordinaire par action compris entre 3,80 et 4,20 francs, sauf changements significatifs de l’environnement économique ou réglementaire ou de la situation de la banque. Ainsi, même s’il devait y avoir une année une baisse de bénéfice qui ne serait pas de nature structurelle, en raison par exemple d’un cumul de mauvaises nouvelles dans plusieurs métiers, la BCV continuerait quand même de verser un dividende qui s’inscrit dans la fourchette annoncée. De plus, il y a une forte volonté d’assurer un dividende stable ou en hausse. La BCV dispose d’une grande réserve de fonds propres, qui pourrait être mise à contribution dans un tel contexte. C’est aussi dans l’intérêt de la BCV de maintenir une politique de dividende très stable pour rester attrayante auprès des actionnaires. Il faut comprendre qu’une banque établie et focalisée sur son marché domestique dans un pays comme la Suisse n’a pas besoin de retenir des fonds propres importants pour financer la croissance. Grâce à un rendement des dividendes très stable sur la durée, l’action de la BCV n’est pas une «growth story» mais plutôt une «yield story», si on peut le formuler ainsi.

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