Au-delà du politiquement correct

Nicolette de Joncaire

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Des élections de mi-mandat aux Etats-Unis dépendra la prochaine vague de réformes. Qu’en attendre? Quelques réponses avec John Plassard.

 

Les élections de mi-mandat américaines se tiendront début novembre. Les 435 sièges de la Chambre des représentants et 35 des 100 sièges du Sénat seront remis en question ainsi que près d’une quarantaine de gouvernorats. Nombre d’élections locales seront également disputées. Du dénouement de ces suffrages dépendra la deuxième vague de réformes annoncées pendant la campagne présidentielle: second volet de la réforme fiscale, renouvellement de l’infrastructure, remplacement de l’Obamacare, aide sociale et immigration, et réforme du logement. Et de ces réformes découlera l’évolution de l’économie américaine. Résident aux Etats-Unis depuis deux ans, John Plassard, consultant pour Mirabaud Securities chez Cambridge Securities, prend le pouls apolitique d’élections qui s’annoncent houleuses et revient sur l’impact de réformes qui pourraient modifier le point de vue des économistes sur la fin tant annoncée du cycle.  

Une perte de majorité compromettrait la capacité de Donald Trump à pousser ses réformes. Quelles sont les chances des Républicains de gagner ces élections de mi-mandat?

Elles sont à mon avis excellentes. Les Américains aiment payer moins d’impôts… même les Démocrates. Et c’est ce que leur promet la deuxième phase de la réforme fiscale. Contrairement à ce qu’on entend et lit à profusion en Europe, Donald Trump est l’un des présidents les plus aimés à ce moment précis de son mandat. Le taux de chômage est à 4%, la croissance du pays se situe entre 3 et 3,2%, la confiance des responsables de PME est au plus haut et l’inflation repart sans être excessive. Sur le plan de la politique internationale, la situation en Corée du Nord est perçue comme un succès et l’Iran n’inquiète personne. La popularité du président alimente le soutien au parti Républicain qui en est indissociable. Ajoutez à cela que le parti Démocrate souffre d’un manque flagrant de leadership. Les Républicains pourraient gagner les prochaines élections haut la main, avec une majorité encore supérieure à celle dont ils jouissent actuellement.

La seconde phase de la réforme fiscale est celle
qui a le plus de chances d’être adoptée.
De celles attendues, quelle est la réforme la plus importante et quel sera son impact?

Je ne m’étendrai pas sur la réforme de l’Obamacare ni sur celle de l’immigration. La seconde phase de la réforme fiscale est celle qui, à mon avis, a le plus de chances d’être adoptée, même si sa définition reste encore un peu floue. Cette réforme devrait permettre aux particuliers de bénéficier d’un allègement permanent de leur imposition, au-delà de la limite de 2025, fixée lors de la première vague de réforme en 2017. L’épargne générée stimulerait les achats d’immobilier et de biens matériels mais chiffrer ses effets est difficile et les estimations varient considérablement selon les sources. Si l’on en croit une étude publiée par l’Université de Harvard, cette réforme pourrait tripler la croissance américaine ! Il est clair cependant qu’elle accroitra le déficit budgétaire (de 500 à 1000 milliards supplémentaires) mais la réponse des Républicains à cette critique est que la croissance épongera ce différentiel. Autre volet de cette réforme, les gains en capitaux – tant pour les particuliers que pour les entreprises – seraient indexés à l’inflation. Pour les sociétés qui ont des actifs liquides à l’étranger – on pense tout naturellement aux GAFAM1 –, l’abaissement de l’imposition est une aubaine et signerait le rapatriement des fonds conservés à l’heure actuelle hors du pays. Trump entend donc bien surfer sur le succès de la première réforme.

Il fait toutefois l’impasse sur des dossiers importants.

Le président américain s’est fixé deux objectifs: la croissance et le plein emploi. Au détriment d’autres dossiers dont l’écologie et l’assistance à la pauvreté. Les effets secondaires de cette stratégie seront lourds. Pensez qu’il y a déjà aux Etats-Unis 45 millions de travailleurs pauvres qui bénéficient de food stamps. Il deviendra de plus en plus difficile d’inverser le sens du taux d’appauvrissement.

Quelle est l’autre réforme la plus probable?

Celle du renouvellement de l’infrastructure, soit 1500 à 1700 milliards de dollars à investir sur 10 ans dont 200 milliards alloués par la Maison Blanche et le reste en investissements mixtes public-privé. Démocrates et Républicains en débattent abondamment car il y a, au fond, une adhésion commune au principe de cette réforme. Aujourd’hui, l’infrastructure américaine est dans un état catastrophique qu’il s’agisse des routes, des ponts, du réseau ferroviaire ou du réseau électrique. L’American Society of Civil Engineers évoque des besoins de l’ordre de 4000 milliards de dollars sur les 10 prochaines années. Cette association attribue une note à chaque secteur annuellement et aucun d’entre eux n’a jamais dépassé la note D en 20 ans. Il ne fait aucun doute que ce projet apporterait de la croissance. Paradoxalement, les frontières devraient s’ouvrir pour laisser rentrer une main d’œuvre indispensable … en contradiction avec la politique d’immigration annoncée.

Cette réforme pourrait faire revenir sur le marché du travail
la main d’œuvre qui est sortie des statistiques depuis dix ans.
Quels secteurs en bénéficieraient le plus?

En premier lieu, le secteur de la construction et ses fournisseurs, des sociétés comme Caterpillar ou Vulcan Materials par exemple mais à moyen terme quatre autres secteurs vont en être bénéficiaires.

  • Les collectivités locales qui assureront l’installation des bornes de rechargement des véhicules électriques car, à partir de 2040, 55% de toutes les voitures neuves seront électriques.
  • La communication avec le déploiement de la 5G qui permettra celui de l’Internet of Things.
  • L’énergie dont les installations sont actuellement vieillissantes. A 2030, plus de 4000 milliards de dollars seront à investir dans l’infrastructure énergétique.
  • Le transport et la logistique avec une croissance exponentielle de l’e-commerce due à la conjonction de l’amélioration des réseaux de transport et de l’essor de la 5G.
Ce renouvellement de l’infrastructure contribuerait à un relèvement de la productivité, en berne depuis 50 ans.

C’est l’une des attentes mais les estimations sont assez vagues. Je n’ai vu aucun chiffrage de cette hausse potentielle de la productivité. Toutefois, il est à noter que cette réforme pourrait faire revenir sur le marché du travail la main d’œuvre qui est sortie des statistiques depuis dix ans. Derrière les chiffres du plein emploi américain, le taux de participation au marché du travail est seulement de 62% actuellement. Le redresser serait une vraie révolution.

Ces deux réformes vous font envisager l’économie américaine d’un nouveau point de vue.

En l’absence d’une récession d’ici à mars prochain, la période actuelle sera déjà le plus long cycle d’expansion aux Etats-Unis. Si ces deux réformes passent (ce qui est assez probable), les Etats-Unis se retrouveraient plus proches d’un milieu de cycle que de sa fin, contrairement à ce que prédit la majeure partie des économistes y compris ceux de la Banque Mondiale et du FMI. Les anticipations sur les marchés changeraient avec une remontée des EPS. Le consensus aurait tort une fois de plus.  

 

1 GAFAM: acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft