Attention à la profonde mutation des paiements

Emmanuel Garessus

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Nous assisterons à une coexistence des modes de paiement, du cash aux cryptos, prévoit Marc Schluep de Worldline.

Marc Schluep est directeur de Worldline Suisse. Au sein de Worldline, le leader européen des services de paiement, il porte une double casquette. Il est responsable des activités du groupe en Suisse et il est responsable de la stratégie des activités globales des «Merchant Services», qui correspondent aux services de paiements des commerçants, et qui représente environ 70% du chiffre d’affaires.

Cette société de 18’000 collaborateurs et de 10 milliards d’euros de capitalisation boursière dispose depuis 2018 d’un actionnaire suisse important, le groupe SIX, qui détient environ 10% du capital aujourd’hui. Le siège suisse de ce dernier, avec ses 600 employés, côtoie d’ailleurs celui de SIX à la Hardturmstrasse, à Zurich. En Suisse, Worldline emploie 800 collaborateurs. Marc Schluep répond aux questions d’Allnews:

A quelle étape nous trouvons-nous dans la numérisation des paiements?

Le processus est très avancé. La majorité des paiements s’effectue d’ores et déjà par voie électronique dans la plupart des pays européens. Après une accélération de la tendance durant le covid, le cash poursuit son déclin. Certains pays discutent même d’une disparition de l’argent liquide. En parallèle, de nouveaux modes de paiement électronique apparaissent et se développent, à l’image des cryptomonnaies et des monnaies numériques des banques centrales. L’innovation technologique n’est de loin pas épuisée et elle contribuera à la poursuite de la tendance structurelle à la réduction des paiements en liquide.

Est-ce que la société sans cash est réalisée à 90%?

Nous n’en sommes pas là. En volume, la part du paiement cash est encore de 50% dans un grand nombre de pays. En Suisse, selon la dernière enquête de la BNS, 36% des transactions se font en liquide. Le pourcentage de paiements électroniques est dominant. La Suède et l’Asie, notamment la Chine, sont plus en avance dans ce domaine, avec WeChat et Alipay.

Quel est le potentiel de Worldline dans ce domaine?

Worldline occupe une place privilégiée dans le processus de numérisation. J’estime qu’en Europe le volume des paiements électroniques croît à un rythme de 6 à 8% par an.

Tous les acteurs sont confrontés à une profonde mutation du trafic des paiements, en raison du développement des cryptomonnaies et des monnaies électroniques des banques centrales.
Votre part de marché atteint 15% en Europe. Quels sont vos nouveaux concurrents?

Les fintech sont parfois des concurrents, mais elles sont le plus souvent des partenaires sur des marchés très particuliers. Certaines fintech spécialisées dans les paiements virtuels tentent de nous concurrencer, comme SumUp, qui se concentre sur les petits négociants, ou Adyen, aux Pays-Bas. Il arrive aussi que nous rachetons une fintech, par exemple l’entreprise polonaise SoftPos, dont les solutions sont offertes dans de nombreux pays.

Vous avez créé une entreprise commune avec le Crédit Agricole. Allez-vous vous lier à une banque dans chaque pays, y compris en Suisse?

Dans les paiements numériques, nous distinguons entre les pays qui, pour des raisons historiques, disposent déjà d’une acteur indépendant et neutre à l’égard des banques, à l’image de la Suisse avec SIX Payment Services (aujourd’hui Worldline), et d’autres pays où le trafic des paiements est resté fortement lié aux banques, comme la France avec Crédit Agricole, BNP Paribas ou d’autres grandes banques. Ces dernières limitent toutefois ces activités à leur pays d’origine. Leur taille est restreinte et elles ont besoin d’un partenaire pour atteindre le volume nécessaire. Elles préfèrent d’autant plus s’allier à un partenaire que, dans les paiements, elles sont confrontées aux investissements liés à de nombreux développements réglementaires et technologiques qui réduisent d'autant les moyens à disposition pour leur cœur de marché.

Est-ce que le rachat de Credit Suisse a influencé vos affaires?

Non. Credit Suisse émet des cartes de paiement à travers Swisscard, laquelle poursuit son développement. Pour les clients de Credit Suisse, seul le logo devrait changer.

Pourquoi vos marges restent-elles aussi élevées, malgré la concurrence de la fintech et les investissements dans les nouvelles technologies?

Les marges sont clairement sous pression avec l’entrée en jeu de nouveaux acteurs, des nouveaux moyens de paiements ainsi que des attentes des clients. Il est toutefois possible de maintenir le niveau de nos marges en poursuivant nos mesures d’innovation et en augmentant encore la qualité des services.

Est-ce que le marché des paiements profite des développements de l’intelligence artificielle?

Nous sommes naturellement très attentifs au potentiel de l’intelligence artificielle. Comme toute autre entreprise. Le potentiel se situe au point de contact avec le client, par exemple lors du processus d’accueil, du support, du dialogue et de la conformité réglementaire. L’IA peut produire des gains d’efficience significatifs.

Est-ce que vous observez une hausse des fraudes?

Nous n’observons pas d’augmentation, mais ce sujet nous tient à cœur, qu’il s’agisse de cyberrisques ou de mensonges et tromperies de négociants. Il est indispensable de détecter le plus tôt possible les méthodes des fraudeurs afin de les empêcher de nuire.

Est-ce que vous entrerez aussi sur le marché qui propose d’acheter maintenant et de payer plus tard, soit du BNPL?

Certaines fintech se développent dans ce domaine. Nous travaillons aussi sur ce dossier afin de permettre à des commerçants d’en disposer. Nous n’avons pas encore lancé ce type de solutions en Suisse, mais nous suivons le sujet de près.

Comment Twint se développe-t-il?

Worldline détient une participation de 20% dans Twint. Son développement est fantastique, même si certains médias l’ont souvent critiqué. Twint a fortement profité de la période du covid et elle est devenue une composante centrale du système de paiement, avec ses 5 millions d’utilisateurs dans notre pays. La majorité de la population suisse connaît la marque et utilise Twint. Sa part de marché est d’environ 10%.

Quels sont vos principaux défis dans les règlements des transactions bancaires?

Tous les acteurs sont confrontés à une profonde mutation du trafic des paiements, en raison du développement des cryptomonnaies et des monnaies électroniques des banques centrales.

A mon avis, l’engouement pour ce dernier sujet est exagéré. Mais aucune banque ne veut rater le train des monnaies alternatives. Les banques centrales craignent, elles, une réduction de leur souveraineté sur la monnaie.

Je suis convaincu que nous assisterons à une forme de coexistence des différents moyens de paiements. Le marché comprendra le cash, les cartes, les modèles alternatifs (Alipay, WeChat, Twint), les cryptos, les monnaies électroniques de banques centrales. Il appartiendra au commerçant de faire son choix.

La complexité ne va certainement pas diminuer. Il nous appartiendra de réduire cette dernière pour nos clients à l’aide d’offres combinées. Il est déjà possible d’utiliser les modes alternatifs tels que WeChat ou Twint sur nos terminaux avec un QR code. Un petit nombre de négociants acceptent d’ores et déjà les cryptos.

Avez-vous aussi investi dans le métavers?

Nous cherchons d’abord à acquérir de précieuses expériences dans ce domaine. Nous mettons des plateformes à disposition pour nos clients, sous marque blanche. Par exemple, les machines à café Solis l’utilisent.

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