Acheter lorsque personne n’y croit plus

Salima Barragan

3 minutes de lecture

Hollie Briggs de Loomis Sayles explique pourquoi elle a bondi sur les actions de Boeing et de Netflix en pleine débâcle.

«Ne jamais attraper un couteau qui tombe», entend-on souvent. Pourtant, cette stratégie peut s’avérer payante lorsqu’une recherche minutieuse révèle que ce n'est pas un couteau! Après avoir patiemment suivi Boeing pendant une décennie, la directrice de la gestion des produits chez Loomis Sayles, Hollie Briggs, a profité de la débâcle des titres liés au voyage durant le confinement pour bondir sur les actions de l’avionneur négociées avec une décote de 50%. Ensuite, elle a exploité l’éclatement de la bulle de valeurs «working from home» pour investir dans Netflix «la seule société de streaming au monde rentable». Entretien.

Comment avez-vous géré le repli des valeurs de croissance en 2022?

Nous nous préparons proactivement pour les chutes boursières en recherchant des titres bien avant l'opportunité de les acheter. Ensuite, nous sommes patients et nous attendons de pouvoir prendre une position largement en dessous de leur valeur intrinsèque. Nous achetons des sociétés de croissance de qualité au sein d’un univers d’investissement qui ne compte que 230 sociétés. En 2022, nous en avons profité pour acheter 6 sociétés, dont Netflix. Les replis de marché constituent des occasions pour acheter des entreprises de haute qualité à des prix extrêmement attractifs. Nous avons aussi vendu 5 titres.

Il faut remonter loin dans le passé pour observer une période telle que celle que nous avons vécu sur 3 ans: une crise, une bulle sur les valeurs technologiques, puis leur correction.

Nous pensons que rien qu'en Chine, 200 à 300 millions de personnes qui n'ont jamais pris l'avion auparavant voyageront au cours de la prochaine décennie.
Le Nasdaq a progressé de plus de 8% depuis le début de l’année. Les valeurs de croissance sont-elles de retour?

Je dirais surtout que la discipline a remplacé l’appétit pour le risque de l’environnement spéculatif que nous avons connu en 2020 et 2021. Après des ventes massives indiscriminées en 2022, les investisseurs veulent désormais détenir des entreprises rentables ou qui ont une perspective de rentabilité.  N’oublions pas que durant 2020, certaines sociétés ont enregistré des revenus colossaux, mais non durables dans le temps. Nous constatons que les investisseurs font preuve de plus de discernement pour les entreprises de croissance de qualité. Cela dit, les actions de certaines sociétés de faible qualité continueront à baisser.

Quels éléments vous ont-ils décidé à investir dans Netflix, alors que son cours était en chute libre?

Durant le confinement, Netflix a gagné beaucoup d’utilisateurs pour pallier à la suspension des activités usuelles. Puis son action a corrigé début 2022 parce que les participants émettaient des doutes quant à sa croissance durable. Mais Netflix reste la seule société de streaming au monde qui soit profitable. Environ 10 ans et 8 milliards dollars d’investissements ont été nécessaires afin de construire sa base de clientèle et d’assurer l’attractivité de ses contenus – elle a raflé plus de  Grammy Awards en 2021 que tout autre réseau. Cette échelle dans le contenu et la base d'abonnés constitue une barrière d’entrée importante et très peu de concurrents pourraient répliquer son succès. De plus, elle dispose d'un pouvoir de fixation des prix sur la durée et nous pensons que l'entreprise peut doubler sa base d'abonnés sur notre horizon d'investissement. Lorsque l’on bénéficie d’une telle envergure, les marges suivent.

Vous avez également acheté Boeing lors de la crise liée à la pandémie (et donc de l’aviation). Racontez-nous.

Nous avons effectivement bondi sur le titre au premier trimestre de 2020 après avoir suivi l'entreprise durant une décennie. Nous avons patiemment attendu un prix d'entrée attractif. Avec COVID-19 qui nous a obligés à nous enfermer à la maison - partout dans le monde - la plupart des analystes pensaient que plus personne ne voyagerait jamais! Le prix de l’action a chuté de 400 dollars en décembre 2019 à 100 dollars en mars 2020. Mais nous n'étions pas d’accord et nous attendions à ce que le cycle de l’aviation reprenne fortement durant la prochaine décennie, notamment grâce à l'augmentation du revenu discrétionnaire.  Nos recherches montrent que le premier endroit où les gens aiment dépenser leur supplément de revenus est le voyage.  Nous pensons que rien qu'en Chine, 200 à 300 millions de personnes qui n'ont jamais pris l'avion auparavant voyageront au cours de la prochaine décennie. Airbus, qui constitue pour l’instant le seul concurrent sérieux de Boeing, devrait le rester. Certains compétiteurs chinois tentent d'entrer dans la course, mais il faut beaucoup de temps et d’investissement pour égaler le niveau technologique de Boeing. Nous monitorions également l’effet du retour des voyages sur le prix de l’action. Boeing a souffert de quelques troubles dans la production, des retards de livraison, et du ralentissement de sa chaine de production, comme tant de secteurs d’activité. Mais l’avionneur américain a maintenant renoué avec une forte croissance des flux de trésorerie disponibles. À ce jour, la société est l'un des meilleurs contributeurs à notre portefeuille.

Quel regard portez-vous sur les plans de licenciement massifs annoncés par certaines sociétés technologiques?

Nous avons vu des licenciements dans une variété d'industrie: les cycles d’affaires restent inévitables, surtout après un long marché haussier. Lors du confinement, les sociétés technologiques ont dû embaucher pour faire face à une demande inédite. Lorsque le rythme s’est normalisé, elles ont prouvé qu’elles sont capables de gérer leurs coûts et maintenir une discipline financière. Leur potentiel à long terme reste intact.

Que pensez-vous des fabricants de voitures électriques?

Soutenu par des réglementations favorables et la demande des consommateurs soucieux du climat, ce secteur pourrait être la tendance technologique la plus importante et la plus rapide jamais observée. Nous pensons que son taux de pénétration à long terme dépassera celui du commerce en ligne et par smartphone. La transition vers les véhicules électriques ("VE") peut être un défi pour les constructeurs automobiles traditionnels, car elle pénalise leurs modèles commerciaux: le consommateur n'a plus besoin de réparations à forte marge, car l'entretien des VE est minime - uniquement les pneus, les essuie-glaces et les mises à jour des softwares. Bien que les constructeurs automobiles traditionnels entrent aussi dans la course des véhicules électriques, ce modèle commercial totalement différent et interactif pourrait entraver leur profitabilité à court terme.

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