Ça ressemble à un roman financier. Mais ce n’est pas une fiction

Cyril Gomez

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Titriser les projets cinématographiques et audiovisuels devient une réalité grâce à Barry Films et GenTwo. Le point avec Philippe Naegeli, CEO de cette dernière.

Deux acteurs sont en première ligne. Barry Films, société de production internationale basée à Los Angeles, Berlin et Zürich. Et GenTwo, fintech suisse indépendante spécialisée dans la titrisation d’actifs traditionnels et alternatifs. Le premier apporte une expérience de plus de 25 ans dans la production cinématographique. Le second ses capacités de structuration de produits d’investissement innovants. Leur projet commun baptisé Value IP Portfolio a été spécifiquement conçu pour intervenir en phase de pré-production et entend créer de la valeur en commençant par développer une idée et réunir des propriétés intellectuelles de haute qualité pouvant être produites sous forme de films ou de séries télévisées. 

Les opportunités? Celles-ci reposent sur l’augmentation constante de la demande de contenus de qualité. En 2018, aux Etats-Unis, près de 500 séries y ont été diffusées. Soit plus du double par rapport à 2009, et 871 films sont sortis en salle contre 478 durant l’année 2000. C’est également un marché global où les audiences dans toutes les régions privilégient de plus en plus le contenu en langue locale, qu’il soit sous-titré ou doublé. «Il existe d’innombrables projets de films qui pourraient être intéressants», explique Philippe Naegeli, CEO de GenTwo. «Grâce aux plateformes que nous construisons pour nos partenaires, des titrisations appropriées pourraient être réalisées facilement», poursuit le CEO, qui détaille les coulisses d’une aventure qui pourrait leur valoir le César de la finance.

«Dès qu’un projet entre en production, cela représente
déjà un succès pour la stratégie d’investissement.»
D’où est née cette idée de structurer un produit financier ayant des productions cinématographiques comme sous-jacents?

Les actifs alternatifs font aujourd’hui partie de tout portefeuille équilibré et cette tendance pourrait même s’intensifier. En période de faibles taux d’intérêt et de fortes valorisations boursières, la diversification des portefeuilles joue un rôle de plus en plus important. Celle-ci passe, en fin de compte, par la diversification des sous-jacents, ce à quoi GenTwo contribue. Nous rendons toutes les catégories d’actifs accessibles aux investisseurs professionnels. En coopération avec GenTwo, les intermédiaires financiers tels que les gestionnaires d’actifs, les family offices ou les banques peuvent ouvrir un nouvel horizon d’investissement, mettre de nouveaux actifs sur le marché et les rendre disponibles aux clients pour qu’ils investissent dans ces derniers. 

De nombreuses visions ne se réduisent plus seulement à de bonnes idées, mais peuvent désormais être effectivement transformées en réalité. Les investissements dans le private equity, la dette privée, les matières premières et tous les investissements alternatifs peuvent être facilement mis en œuvre en utilisant des produits d’investissements «banquables», sous forme de certificats. A titre d’illustration, notre thématique la plus récente est la production de films comme sous-jacent. Il s’agit d’un produit financier classique avec ISIN s’adressant à des investisseurs professionnels. Ce produit montre comment nous exploitons de nouvelles sources de rendement qui touchent à des domaines très divers de la vie. Aujourd’hui, nous pouvons non seulement nous consacrer à notre passion - par exemple pour les films - mais aussi en tirer profit en tant qu’investisseurs.

Etes-vous personnellement passionné par les films?

Absolument. J’ai même une grande passion pour le sujet, auquel je porte un grand intérêt depuis mon plus jeune âge. J’ai toujours trouvé passionnant de voir comment se déroule une production cinématographique et comment les différents éléments - acteurs, récit, images, son, etc. – s’imbriquent et déterminent ensemble de quelle façon un film devient ou non un blockbuster. Je me sens lié à l’industrie cinématographique, mais la musique et l’art me touchent aussi. Finalement, il s’agit toujours de messages et d’histoires qui arrivent au cœur des gens et leur apportent de la joie. La catégorie «Passion Investing» offre de grandes possibilités à cet égard. Après tout, je trouve que les produits financiers devraient aussi et enfin susciter de la joie - chez les investisseurs! 

Dans quelles circonstances avez-vous fait la connaissance de Barry Films?

C’était il y a quelques années, lors de l’American Film Market (AFM) à Santa Monica, aux États-Unis, quand je travaillais encore dans le secteur du family office américain. À l’époque, j’avais été invité à l’un des événements annuels de Barry Films dans l’un des plus beaux bâtiments de Hollywood Hills. La villa située au 8818 Appian Way est d’ailleurs légendaire, car c’est la dernière maison que James Dean a habitée. Le cercle d’acteurs, d’animateurs et de producteurs de films présents là-bas m’a paru très différent de ce que je connaissais jusqu’à présent. Je suis entré dans un monde nouveau mais passionnant. De valeureuses conversations se sont rapidement développées et les premières bases de notre structure d’investissement dans le cinéma y ont été posées.

Quel type de produit structuré sera associé au Value IP Portfolio et quel sera son fonctionnement? S’agit-il d’un AMC? En quoi consiste plus précisément le sous-jacent et de quelle façon celui-ci génère-t-il une rémunération pour les investisseurs/souscripteurs du produit structuré?

C’est exact, il s'agit d’un actively managed certificate (AMC) basé sur la stratégie d’investissement de propriété intellectuelle de Barry Films. La particularité de cette stratégie est qu’elle se concentre sur l’énorme demande de contenus de haute qualité. La stratégie investit donc dans la phase de développement de films et de séries exceptionnels. Ce qui la distingue fondamentalement des investissements classiques dans le cinéma tels qu’ils ont existé jusqu’à présent. Les stratégies conventionnelles sont généralement basées sur le financement ultérieur de la production des films, ce qui signifie que le risque associé doit être assumé. 

«Une société de production cinématographique peut atteindre de nouveaux
groupes d’investisseurs et surtout accéder au marché financier établi.»

Si l’on se concentre uniquement sur la stratégie de développement, en revanche, seul ce qui se passe avant cette phase de production proprement dite est pertinent: la recherche de matériel, l’écriture des scénarios, le casting des acteurs, etc. Dès qu’un projet entre en production, cela représente déjà un succès pour la stratégie d’investissement – quel que soit l’accueil que le public lui réservera. Car, dès le début de la production, le montant investi et une prime définie (le potentiel revenu du projet) reviennent déjà dans la stratégie, générant des augmentations potentielles de valeur.

Pourquoi une telle stratégie maintenant?

L’activité de production de films connaît un important bouleversement, notamment en raison de l’apparition de plateformes de streaming telles que Netflix et Amazon. Le durcissement de la concurrence qui en résulte entraîne une demande de contenu sans précédent. Cela génère un marché vendeur qui peut être particulièrement intéressant pour un investisseur. Et c’est exactement là que la stratégie de Barry Films entre en jeu. Le but: générer des revenus par le développement de matériaux. C’est aussi pourquoi GenTwo a contribué à la mise sur le marché de ce que l’on appelle le Value IP Portfolio de Barry Films. Le produit d’investissement lancé offre aux investisseurs professionnels l’accès facile au marché de l’audiovisuel.

A quel moment du cycle de vie d’un film (de la production à la distribution, en passant par le financement et le packaging) GenTwo est-il impliqué? Autrement dit, y a-t-il des étapes non-financières dans lesquelles GenTwo pourrait également être impliqué?

Toutes les phases de la production cinématographique pourraient également être prises en compte dans les stratégies d’investissement. En fin de compte, c’est la conception de la stratégie qui compte, car le sous-jacent détermine si un produit d’investissement est potentiellement attractif. La stratégie doit être conçue de manière à en effet pouvoir générer un potentiel de rendement. En ce qui concerne notre thème cinématographique, il est également envisageable, par exemple, de titriser le financement juste d’un seul projet du Value IP Portfolio, dans le cas où le profil de risque s’avèrerait attrayant grâce à ses éléments constitutifs, que ceux-ci soient matériels ou touchent la réalisation et les acteurs. Il serait également possible de titriser des paquets de projets provenant de zones géographiques spécifiques.

Comment l’ensemble des participants (producteurs, réalisateurs, scénaristes, promoteurs, fonds d’investissement, asset managers et autres investisseurs) peuvent-ils bénéficier de la titrisation d’un actif alternatif comme le cinéma? Peut-elle contribuer à faciliter les levées de fonds pour le financement de films?

Bien sûr, la collecte de fonds est beaucoup plus facile pour une société de production cinématographique si elle a la possibilité de lancer une stratégie d’investissement via un AMC. Enfin, les produits financiers facilitent l’accès à ce thème plutôt exotique pour les investisseurs institutionnels du secteur établi. Ainsi, une société de production cinématographique peut atteindre de nouveaux groupes d’investisseurs et surtout accéder au marché financier établi, composé de gestionnaires d’actifs, de family offices et de banques. 

«La liquidité a également été prise en compte dans le processus
de structuration, afin de répondre aux besoins des investisseurs.»

Les produits financiers avec ISIN facilitent également un processus d’investissement transparent (grâce à la standardisation incluse) et l’égalité de traitement d’investisseurs dont l’un accès au placement est, en phase initiale, différent. Il s’agit d’une démocratisation. Les instruments avec code ISIN mènent même à la création d’une nouvelle catégorie d’investissements alternatifs sur notre marché. Le thème cinématographique est également attrayant du point de vue du rendement, précisément parce qu’il était auparavant difficilement accessible pour la plupart des investisseurs. Avec un profil risque/rendement intéressant, il n’est pas corrélé aux actifs traditionnels d’un portefeuille.

De quel ordre de grandeur parle-t-on en termes de production de films? Des films à gros, moyen, petit budget?

En principe, l’AMC avec son sous-jacent cinématographique peut être appliqué à chaque ordre de grandeur. Les possibilités sont illimitées. La stratégie spécifique de Barry Films donne accès à tous les segments de production. La phase de développement représente une part relativement faible du budget total d’un film ou d’une série. Ainsi, un investissement stratégiquement bien placé peut générer de la propriété intellectuelle et même servir de base à un blockbuster. L’objectif moyen de la stratégie est d’investir dans du matériel de haute qualité à potentiel international, qui peut être proposé aux streamers (Netflix, Amazon, HBO Max, Disney+, Hulu) mais aussi aux acheteurs traditionnels (studios, chaînes de télévision, etc.). 

Les projets les plus récents de Barry Films, qui sert ce marché depuis dix ans déjà, illustrent l’étendue de ce champ d’applications: Inherit The Viper, un thriller mettant en vedette Josh Hartnett et Bruce Dern, qui a été vendu au Studio Lions Gate aux États-Unis, ou A Perfect Ennemy, une co-production européenne de langue anglaise, qui sortira en Europe l’année prochaine. Une série télévisée basée sur une trilogie de romans sera également produite cette année en coopération avec un streamer.

Quels ont été les défis à relever pour assurer transparence et sécurité vis-à-vis des investisseurs finaux, ceux-ci étant essentiellement institutionnels?

Avant tout, il est important de préciser que les frais ne sont en moyenne pas plus élevés que pour les investissements dans des classes d’actifs mieux connues. Les coûts sont de 1% en termes de frais de gestion et de 10% s’agissant des commissions de performance par an. La stratégie d’investissement est clairement compréhensible en termes de processus et a été décrite et définie en détail. La liquidité a également été prise en compte dans le processus de structuration, afin de répondre aux besoins des investisseurs. En ce qui concerne le portefeuille, cette stratégie cinématographique permet une diversification intéressante.

En fin de compte, le plus grand défi est que la plupart des investisseurs professionnels ont peu ou pas d’expérience dans les investissements cinématographiques en tant que classe d’actifs alternative. Raison pour laquelle, malgré leur attrait évident, les investissements cinématographiques sont naturellement traités avec un certain respect. Une analyse plus approfondie des opportunités et des risques pour une plus grande compréhension mérite par conséquent d’être réalisée.