«Les marchés ne peuvent pas monter continuellement»

Yves Hulmann

3 minutes de lecture

Bernhard Hodler, nouveau directeur de Julius Baer, ne doute pas que la banque atteigne ses objectifs 2018. Côté numérisation, il croit davantage au potentiel des «assistants robots» qu’à celui des «conseillers robots».

Jusque-là inconnu du grand public, Bernhard Hodler, le nouveau directeur de Julius Baer, s’est retrouvé du jour au lendemain sous le feu des projecteurs des médias en novembre dernier suite au départ inattendu de son prédécesseur Boris Collardi, parti rejoindre la banque Pictet. Mercredi, à l’occasion de sa première apparition publique en tant que directeur de Julius Baer, le Biennois d’origine, qui a passé l’essentiel de sa carrière au sein de l’établissement zurichois, a d’abord insisté sur le fait qu’il n’était pas un directeur par intérim. Ce message passé, celui qui était chef du risque chez Julius Baer depuis 2001, souligne son intention de recentrer les activités du groupe sur son cœur de métier. S’il se montre optimiste quant au potentiel de croissance de la banque en 2018, il s’attend aussi à davantage de volatilité au cours des six à douze prochains mois. Entretien.

En 2017, Julius Baer a vu ses actifs sous gestion augmenter de 16% pour atteindre 388 milliards de francs. Les afflux nets d’argent ont atteint 22,2 milliards, soit un taux de progression de 6,6%, supérieur à la fourchette de 4 à 6% visée par la banque. Sera-t-il possible de continuer de croître à un tel rythme en 2018 également?

2017 a été une année exceptionnelle en ce qui concerne la croissance des afflux nets d’argent. Deux facteurs y ont contribué: d’une part, nous avons engagé l’an dernier un nombre supérieur à la moyenne de conseillers qui ont pu travailler au front avec les clients. D’autre part, nous avons bénéficié d’un environnement de marché extrêmement favorable, caractérisé par une hausse constante des marchés durant douze mois. Personnellement, je ne suis pas complètement sûr que nous allons voir à nouveau une telle évolution des marchés durant douze mois d’affilée sans effets de yoyos. Néanmoins, je suis tout à fait confiant que Julius Baer parvienne à afficher un taux de croissance des afflux nets d’argent situé dans la fourchette de 4 à 6%, conformément aux objectifs que nous nous fixons.

«Nous observons déjà davantage de volatilité sur les marchés actuellement.»
Concernant les perspectives pour les marchés en général, vous vous montrez plus prudent, estimant qu’il faut compter avec une «petite correction» de l’ordre de 5 à 10%. Pourquoi?
Je travaille dans cette branche depuis déjà longtemps et je sais que les marchés ne peuvent pas monter continuellement. Nous observons déjà davantage de volatilité sur les marchés actuellement. Les évaluations se situent à des niveaux sportifs. A l’inverse, les fondamentaux économiques restent sains. L’évolution des bénéfices des entreprises reste, elle, aussi favorable. Malgré tout, je n’exclurais pas que nous assistions à une correction des marchés de l’ordre de 10% durant les six à douze prochains mois.
Julius Baer ambitionne de recruter 80 conseillers à la clientèle par année. Est-ce un objectif réaliste dans un marché devenu extrêmement compétitif, sans risquer de devoir surpayer les nouveaux conseillers?

C’est sûr que le marché est actuellement très compétitif. Nous bénéficions toutefois d’une excellente réputation et nous avons aussi une bonne plateforme à mettre à leur disposition. De par notre présence globale à travers le monde, nous avons aussi des avantages à faire valoir par rapport à beaucoup de nos concurrents, y compris ceux qui sont situés à Genève. Les prix ne sont certes pas bon marché pour recruter des spécialistes. Toutefois, notre approche en matière de rémunération est liée à la réalisation de certains objectifs. Chaque nouveau conseiller à la clientèle doit présenter un plan d’affaires. S’il a atteint de très bons résultats, il sera très bien payé, sinon, il le sera moins. Cela limite nos risques en termes de coûts. Je suis confiant que nous parvenions à trouver de bons conseillers à la clientèle.

Vous avez évoqué vos concurrents à Genève. Considérez-vous les principales banques privées genevoises, à l’exemple de Pictet ou Lombard Odier, comme les véritables concurrents de Julius Baer, davantage que les deux grandes banques helvétiques?

Tous nos concurrents sont à prendre au sérieux ! Genève et les grandes banques privées disposent d’une longue tradition dans la gestion de fortune et bénéficient d’excellentes marques. Je pense néanmoins que notre présence véritablement globale, y compris dans les marchés émergents, est un grand atout en termes de croissance. C’est particulièrement le cas pour les clients ultra-fortunés («UHNW»). Ces personnes, parfois actives à plusieurs endroits, qui apprécient le fait que Julius Baer dispose de relais aussi bien à Londres qu’à Singapour, par exemple, et ait un savoir-faire local.

«Je vois l’Amérique latine comme l’Asie d’il y a six ou sept ans.»
Vous avez annoncé fin janvier le rachat du gérant d’actifs Reliance Group, basé à Sao Paulo. Voyez-vous l’Amérique latine comme un marché de croissance comparable à l’Asie pour Julius Baer?

En ce qui nous concerne, je vois l’Amérique latine comme l’Asie d’il y a six ou sept ans. Le Brésil, notamment, représente un grand potentiel de croissance pour Julius Baer. Suite aux possibilités de déclaration fiscale proposées par plusieurs gouvernements, de nombreux clients, avec des avoirs déclarés, ont des besoins sophistiqués en matière de gestion de fortune, ce qui est intéressant pour un établissement comme le nôtre.

En Suisse, Julius Baer ambitionne-t-elle de procéder à des acquisitions dans le secteur de la gestion de fortune?

Oui, mais le prix et la qualité doivent correspondre à nos attentes. Actuellement, il y a davantage d’acheteurs que de vendeurs en Suisse, ce qui rend un achat plus difficile.

Au début de la décennie, Julius Baer a ouvert en Suisse des filiales dans de nombreux endroits situés en dehors des grands centres, y compris dans des localités comme Verbier ou Crans Montana concernant la Suisse romande. Cette tendance va-t-elle se poursuivre?

Je pense que Julius Baer est désormais bien représentée partout. Nous ne prévoyons pas d’ouvrir de nouvelles filiales en Suisse.

«Julius Baer ne prévoit pas d'ouvrir de nouvelles filiales en Suisse.»
Au sujet de la numérisation dans le secteur bancaire, vous avez déclaré vouloir utiliser des «assistants robots», plutôt que des «conseillers robots». Cela signifie-t-il que ne croyez pas à l’essor tant médiatisé des «conseillers robots» permettant une gestion quasiment entièrement automatisée?

Je crois fortement aux possibilités offertes par les nouvelles technologies. La complexité des marchés est devenue telle qu’il est impossible pour un gérant de se passer des nouveaux outils existants. Cependant, je pense que les possibilités offertes par les « conseillers robots » sont surtout intéressantes pour les segments de la clientèle de détail ou affluente. En revanche, elles sont plus limitées pour les clients plus importants. Ceux-ci souhaitent toujours pouvoir contacter une interface humaine dans la gestion de leurs affaires.

A la tête de Julius Baer depuis trois mois et vous soulignez avoir l’intention d’en rester le directeur. Quelles sont vos priorités pour l’année 2018?

J’en profite pour réaffirmer que le conseil d’administration m’a choisi comme CEO et me soutient dans cette fonction. Mes priorités sont d’optimiser notre modèle d’affaires et de renoncer à des activités superflues. Julius Baer doit se focaliser davantage dans certains domaines. Nous devons davantage nous concentrer sur notre cœur de métier – sans s’étendre dans de nouveaux domaines qui n’en font pas partie, comme la gestion d’actifs, par exemple – ainsi que sur nos marchés les plus importants.