Quelques pistes de réflexion pour la rentrée

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
 
Jackson Hole

Nous n’attendions pas grand-chose de Jackson Hole et comme le plus souvent la montagne a accouché d’une souris. On a tout de même retiré deux enseignements: la BCE va passer la vitesse supérieure (enfin diront certains, qui se fichent du spread du BTP!) et la Fed ne va pas changer son biais hawkish d’un iota parce que le CPI a connu un frémissement de détente après un pic à +9,1%. Certains ont saisi l’occasion pour critiquer ou se moquer plus ou moins gentiment de Jay Powell en ressortant avec ironie ses déclarations de 2021. Nous trouvons cela sévère et injuste. Qu’aurait-il dû dire l’année dernière? L’inflation est transitoire sauf si Poutine attaque l’Ukraine dans six mois? La Fed s’est adaptée plutôt rapidement et après avoir nié l’existence d’une composante structurelle dans le CPI, elle la combat désormais avec force. La Fed va poursuivre sa politique car nous sommes toujours loin du compte: CPI à 8,5% et Fed funds à 2,5%, cela donne des Fed funds réels à -6%!

Notre vision de l’inflation est la suivante: le CPI va tourner autour de 8% et pour redescendre à 2%, il faudra passer par deux phases. Une première phase assez «facile» sera le passage de 8% à 5%, correspondant à (grosso modo) 3% d’inflation conjoncturelle mais ensuite, les -3% suivants, pour passer de 5% à 2% seront beaucoup plus difficile à mettre en œuvre car ils correspondent à une inflation plus structurelle qui s’est installée pour un bon moment. Aujourd’hui, selon nous, la Fed a en ligne de mire ces fameux -3% pour passer de 5% à 2% et non les premiers -3% qui disparaîtront tôt ou tard. C’est pour cela qu’il faut surveiller le QT: arrêtons de nous focaliser sur les taux et prenons le temps de suivre le raisonnement brillant de Solomon Tadesse (Head of Quant Equity Strategies chez SocGen New York) qui transforme les montants de QT en «équivalent hausse de taux» pour atteindre un niveau de Fed funds virtuel qui est en réalité le «vrai» niveau à prendre en compte. Cela veut dire que si les Fed funds en taux réels sont toujours aujourd’hui à -6%, il n’est pas question pour la Fed de relever ses taux d’autant mais de passer son taux directeur au-dessus de 4% et de compléter à travers un QT agressif pour atteindre ce fameux taux réel Fed funds à 0%. En résumé, il faut s’attendre à encore 2% de tightening sur les taux et de 4% supplémentaires obtenus indirectement grâce à la réduction drastique de la taille du bilan.

Récession

La récession est inévitable et c’est tant mieux! Comment voulez-vous entrer en guerre totale contre l’inflation, pour la faire plonger de 8,5% à 2% en deux ans sans une politique hyper agressive qui détériore croissance et emploi? Plus vite la récession arrive, plus vite la bataille contre l’inflation sera gagnée et la croissance reviendra sur des bases saines et solides. Mi- juillet, avant de prendre une pause estivale qui permet de remettre les idées en place et de prendre un peu de hauteur (dans un scénario idéal), nous constations que l’inversion de la courbe des taux Treasuries ne nous donnait pas entière satisfaction. Certes, le 2-10, le 2-30 et le 5-10 ans étaient inversés mais l’inversion qui correspond le mieux à un scénario d’anticipation de récession, le 5-30 ans, n’était pas au rendez-vous. C’est chose faite! Aujourd’hui, nous avons évité la récession de justesse car l’économie américaine est notamment soutenue par des niveaux de résultats des grandes entreprises exceptionnellement robustes compte tenu de la situation. Cela risque de ne pas se prolonger éternellement!

Conclusion: pour cette rentrée, nous sommes plutôt bear spreads de crédit (et plus le beta est élevé plus le risque d’écartement est grand) et plutôt bull taux longs. Si nous sommes inquiets sur le marché des crédits, c’est que pour l’instant le marché a été relativement «gentil» avec eux. C’est dû en grande partie à la bonne tenue des marchés actions. L’écartement des spreads viendra en même temps qu’une correction à Wall Street. Sur les taux, nous verrions bien une partie courte autour de 4% (tenant compte du niveau des Fed funds) et une partie longue à 3% (Fed funds + QT = récession). Tout peut aller très vite dans ce monde en ébullition et nous sommes évidemment prêts à changer rapidement notre fusil d’épaule si nécessaire.

En bonus: une question

Si vous avez la réponse, cela nous intéresserait de la connaître. Pourquoi, lorsqu’un événement exceptionnel (le dernier en date, COVID en mars 2020) force les banques centrales à baisser violemment leurs taux, ces dernières n’hésitent pas à se réunir en meeting urgent en dehors de l’agenda prévu et jamais dans le cas inverse, lorsqu’un événement exceptionnel les force à durcir fortement leur politique monétaire? Les extra-meetings sont donc réservés aux baisses de taux? Doit-on envisager l’apparition d’extra-meetings hawkish cet automne? Bonne rentrée à tous!

 

Rédigé le 2 septembre 2022

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