Le Japon et la Chine se toisent… dangereusement!

Jean-Christophe Rochat, Banque Heritage

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Alors que les investisseurs ont les yeux rivés sur les Etats-Unis, l’évolution des relations entre le Japon et la Chine pourrait avoir des implications financières majeures.

La Chine interroge, voire inquiète. Après les craintes géopolitiques, c’est l’économie qui suscite la crainte: mauvaise gestion de la pandémie, démographie, immobilier, frilosité croissante des ménages, voire déflation... Cette confluence de problèmes sérieux embarrasse un pouvoir qui se réfugie dans l’autoritarisme croissant. Certains craignent que ce contexte délétère ne pousse Xi à la fuite en avant (Taiwan, etc.). Sur le même continent, l’autre géant, le Japon sort d’une tranquillité longue de plusieurs décennies. Le destin des deux pays, «ennemis» stratégiques et concurrents économiques et financiers, est intimement lié. Alors que la Chine tente de temporiser, le Japon se met en mouvement, et amorce un important virage dans sa politique économique. Le réchauffement des relations avec la Corée du Sud en 2023 est un autre symbole visible de ce réveil. Cette nouvelle dynamique nippone rajoute une source d’incertitude pour la Chine. Le conflit sino-américain - qui n'est pour l'instant qu'une guerre commerciale et technologique - représente en effet déjà une menace majeure pour la politique intérieure de la Chine.

le japon: entre dilemmes économiques et réponses politiques

Depuis plusieurs décennies, le Japon est le laboratoire des pays riches occidentaux : vieillissement de la population, baisse de la productivité, mise en place d’une politique économique extravagante et difficulté à implémenter des réformes structurelles. En 2013, le premier ministre Abe, en coordination avec la Banque du Japon (BoJ), avait fixé l’objectif du retour à un taux d'inflation (moyen) de 2% et lancé, dans la foulée, une politique d’assouplissement quantitatif et qualitatif (QQE). Le taux d'inflation était alors redevenu positif, le yen s’était fortement déprécié, le cours des actions était monté, et la situation des entreprises s’était améliorée. Mieux, on avait assisté à une vertueuse baisse du chômage.

Le chemin à parcourir est semé d'embûches pour le Japon. La glissade de sa devise, couplée au lent dévissage des taux longs l’attestent.

Mais les Abenomics ont fait leur temps et les grandes forces adverses ont rapidement regagné du terrain. Ces dernières années, deux chocs extérieurs, la pandémie et la géopolitique, ont soudainement bouleversé le contexte économique. L'inflation a notamment atteint 4%, un taux très élevé selon les normes japonaises. La réponse des décideurs nippons, lente et graduelle, n’en a pas moins été spectaculaire: ils se sont résolus au changement. La première étape de la normalisation de la politique monétaire au Japon s'est déroulée sans encombre, sans réaction négative des marchés ni trop forte dépréciation du taux de change. Mais le véritable déclic s’est probablement produit en début d’année lorsque la saison des augmentations de salaire s’est traduite par des hausses substantielles, permettant au conseil d’orientation de la BoJ d’engager la première étape de la normalisation, le resserrement monétaire.

Le chemin à parcourir est semé d'embûches pour le Japon. La glissade de sa devise, couplée au lent dévissage des taux longs l’attestent. Premièrement, si les taux d'intérêt longs augmentaient fortement, il en résulterait une fragilisation des institutions financières. Certes, un scénario à l’américaine, à l’image de Silicon Valley Bank, semble très peu probable, la plupart des banques japonaises étant bien capitalisées. Toutefois, leur propension à octroyer des prêts serait affectée, ce qui ultimement pèserait sur la croissance. Deuxièmement, une hausse des taux augmenterait les coûts du service de la colossale dette nationale. Ce qui impliquerait une réduction des dépenses de sécurité sociale, politiquement très difficile au Japon, où l'âge médian frise 50 ans. Un troisième risque concerne les bénéfices de la BoJ qui deviendraient nettement négatifs. Une détérioration de son bilan serait, comme partout ailleurs, à l’origine de tensions multiples.

LA CHINE À LA CROISÉE DES CHEMINS

Du côté de la Chine, il faudra attendre quelques années pour savoir si le pays réussira à redresser la barre sur le plan macro-économique. Elle ne s’en cache pas, il lui faut trouver une nouvelle recette pour stimuler sa croissance. Libérer la croissance domestique… Or, depuis longtemps la consommation des ménages chinois est très insuffisante, une situation exacerbée par la pandémie. De facto, la contribution de la Chine à la croissance mondiale est retombée à ses niveaux d'avant 2008. Selon le FMI, cette contribution devrait encore diminuer, pour ne plus atteindre qu’environ 22% d'ici 2027-2028. Les dividendes de la mondialisation, et de la délocalisation de la production, cèdent définitivement la place au phénomène de la «délocalisation amicale». Ce découplage partiel est un réveil particulièrement brutal pour la Chine. Ce que la mondialisation a donné, elle le reprend.

Reste la productivité! La théorie économique est claire: pour maintenir la croissance du PIB avec moins de travailleurs, il faut extraire plus de valeur ajoutée de chacun d'entre eux. En février, M. Xi a défini les nouvelles forces productives comme celles «favorisées par des percées technologiques révolutionnaires, une allocation innovante des facteurs de production, une transformation et une profonde mise à niveau des industries». Projet complexe, voire inatteignable, car il s'appuie sur les entreprises publiques à faible productivité, tandis que l’esprit d’entreprise du secteur privé à plus forte productivité est soumis à une forte pression réglementaire. Les chiffres sont sans appel: la tendance récente de la productivité est à la baisse.

Dans ce contexte, on assiste depuis quelques semaines à l’intensification des tensions sino-japonaises. L’effondrement du yen met en péril la compétitivité de la Chine sur les marchés extérieurs (notamment régionaux) où les deux pays sont concurrents. Le moment est mal choisi. Est-ce la goutte d’eau pour Pékin avant une dévaluation (comme en 2015)? Pour l’heure, Tokyo s’emploie unilatéralement à calmer l’hémorragie. Mais pour combien de temps? Ses chances de succès sont minces si l’on se réfère à l’histoire monétaire. Une remontée accélérée des taux nippons ne manquerait pas de provoquer des secousses en raison du rapatriement de la masse considérable de capitaux japonais, et du dénouement des énormes opérations de portage où le yen a été utilisé comme devise de financement. A moins que les banques centrales de Taiwan, Séoul (et Washington) ne se mobilisent… 

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