La dominance budgétaire s’installe

Jean-Christophe Rochat, Banque Heritage

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Dans un contexte géopolitique incertain, l’expansionnisme budgétaire devrait rester de mise, laissant planer le risque d’un déséquilibre des marchés.

La dominance budgétaire, bien que favorisant la reflation à court terme, représente un risque macroéconomique important dans une situation où les niveaux de dette publique et d'inflation sont élevés. Les récentes hausses du prix de l'or reflètent ces craintes, mais aussi celles de «debasement» (dévalorisation) monétaire. S'agit-il d'un signal d'alarme avant le retour de la vigilance des marchés obligataires?

Dans les coulisses des cercles de pouvoir, les dirigeants politiques affichent une assurance réconfortante tandis que les banquiers centraux célèbrent la disparition des taux d'intérêt négatifs et la diminution de l'inflation. Pourtant, des signes indiquent que la normalisation des politiques économiques dans les pays développés demeure un objectif lointain, voire incertain. Dans une perspective similaire, la Chine se trouve embourbée dans les méandres d'une bulle immobilière insidieuse, s'écartant discrètement du dogme de l'orthodoxie monétaire.

Le déclin de l’orthodoxie monétaire

Un retour en arrière s'impose. Pendant plus de trois décennies, l'orthodoxie monétaire a été jetée aux oubliettes. Les taux d'intérêt négatifs, emblèmes d'une répression financière extrême, ont même été instaurés pendant quelques années. Dans un monde capitaliste désorienté, le temps et l'incertitude semblaient avoir perdu leur pertinence, subordonnés à l'objectif d'éviter la déflation et de stimuler la consommation en créant un effet de richesse dans le secteur privé. Cependant, avec la fin de la pandémie et le retour de l'inflation, cette doctrine du «tout monétaire» a progressivement perdu de sa prépondérance. Sommes-nous sur la voie de la normalisation?

Quel que soit le résultat des prochaines élections, l’équilibre délicat entre les politiques monétaires et budgétaires sera difficile à maintenir, et les risques ne peuvent être ignorés.

L'administration Trump a marqué le début de ce que certains ont qualifié d'ère de l'incontinence fiscale. Sous l'administration Biden, cette tendance s'est accentuée, donnant naissance à ce que l'on pourrait désigner comme une dominance budgétaire. Cette évolution a été facilitée par l'adhésion à la thèse de la théorie monétaire moderne (TMM), qui prône une approche «dépensière» des politiques économiques. Depuis lors, les largesses budgétaires sont devenues monnaie courante, tant aux Etats-Unis qu'en Europe, où des mesures telles que le «quoi qu'il en coûte» en France ont temporairement relégué au second plan l’esprit de rigueur traditionnel.

Les justifications avancées pour ces dépenses massives sont multiples, de la pandémie au changement climatique en passant par les impératifs de réarmement stratégique, renforcés dans le contexte de la guerre en Ukraine. Les besoins de financement des gouvernements sont devenus gargantuesques, contraignant les politiques monétaires à les soutenir, même si cela implique en fin de compte une monétisation des dettes.

Vers une nouvelle dynamique géopolitique?

L'initiative pour la Recherche et l'Innovation Américaine (IRA) a été le catalyseur de ces changements. Depuis son adoption en 2021, les Etats-Unis ont été au cœur d'une transformation bipartisane majeure. Le plan de relance fédéral comprend 1,2 billion de dollars de dépenses d'infrastructure, avec 369 milliards provenant de l'IRA pour des projets d'énergie propre et 39 milliards de la loi sur les semi-conducteurs, visant à relocaliser la production de puces électroniques.

L'Europe envisage des mesures de rétorsion contre l'IRA, et les tensions entre les deux continents pourraient s'intensifier, surtout en cas de retour au pouvoir de Donald Trump. N'est-il pas révélateur qu'Apple ait récemment été sanctionné par la Commission européenne pour des pratiques anticoncurrentielles, alimentant ainsi les soupçons de conflit économique entre les géants technologiques américains et les autorités de l’UE?

Les marchés obligataires ont récemment montré des signes de tension, alimentant les craintes d'une éventuelle difficulté dans le financement du Trésor. Cependant, au cours des derniers mois, la Secrétaire au trésor américain et ancienne présidente de la Réserve fédérale (Fed) Janet Yellen a manœuvré avec habileté pour reconstituer les réserves du Trésor américain, le fameux Trésor de Guerre (TGA), bénéficiant de la bienveillance de cette institution financière. Cette stratégie donne à l'administration une marge de manœuvre accrue avant les élections à venir.

Quel que soit le résultat des prochaines élections, cet équilibre délicat entre les politiques monétaires et budgétaires sera difficile à maintenir, et les risques, aussi nombreux qu’ils soient, ne peuvent être ignorés. Le prix de l’or a presque doublé en 5 ans. Troublante coïncidence?

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