L’incertitude s’est déplacée de l’inflation à la croissance

Sébastien Gyger, BCV

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Les doutes sur la vigueur de l’activité économique pour la fin de l’année et le début de l’an prochain expliquent notamment un positionnement proche de neutre envers le marché des actions.

L’image est forte. Mis côte à côte, les exercices 2022 et 2023 composent un bel effet miroir. Alors que toutes les classes d’actifs, ou presque, étaient en rouge l’an dernier, le vert domine cette année. Les marchés se sont fait l’écho de la résilience de l’économie mondiale, du recul de l’inflation et son corollaire, l’approche de la fin de la hausse des taux, ou encore des résultats de sociétés meilleurs qu’attendu. Ainsi, à fin juin, l’indice de la volatilité VIX, mesure du niveau de risque, a glissé à son plus bas depuis 2020.

Des risques envolés

Cette image n’est-elle pas trop optimiste? Les marchés ne considèrent plus l’évolution des prix avec anxiété. Or, l’incertitude s’est déplacée de l’inflation à la croissance. L’activité évolue en mode faible, voire hésitant. Certains risques baissiers ont été écartés, comme la crise de liquidité, le relèvement du plafond de la dette aux États-Unis ou la crise de l’endettement privé. D’autres sont bien présents. Ainsi, l’économie chinoise s’essouffle déjà après sa reprise post-COVID et le pays peine à retrouver la confiance des investisseurs tant étrangers que domestiques. Le marché de l’emploi aux États-Unis – véritable socle de la résilience de l’activité cette année – montre, au gré des statistiques, tantôt ses premiers signes de faiblesse, tantôt une solidité répétée. En zone euro, la locomotive habituelle, l’Allemagne, inquiète.

Activité divergente

L’économie européenne vit, par ailleurs, une tendance de fond observée depuis plusieurs trimestres: une croissance en K. Les services présentent une croissance robuste, alors que l’industrie manufacturière subit le contrecoup de plusieurs crises – énergie, fin des programmes de soutien, ralentissement de l’économie, etc. – et craint pour ses carnets de commandes. Ce K laisse planer le doute quant à l’endurance de la croissance.

Cette dynamique pose ainsi la question de savoir quand le cycle de restockage démarrera. La réponse n’est, pour l’heure, pas fournie par les indicateurs avancés qui se détériorent globalement, sans toutefois donner, tous, le même signal. Le resserrement des conditions de crédit constitue une autre incertitude à prendre en considération pour l’évaluation de la vigueur de l’activité. Il va peser encore sur les dépenses d’investissement.

La qualité est à rechercher dans des sociétés aux marges bénéficiaires solides, aux revenus stables et peu endettées.
Reflux de l’inflation

Les observateurs gardent aussi un œil sur l’inflation. Dans les scénarios macroéconomiques de l’an dernier, les points d’interrogation entouraient l’évolution de la courbe de la hausse des prix. Désormais, elle est aussi pentue à la montée qu’à la descente, autre effet miroir. Si l’inflation sous-jacente reste rigide – en raison notamment du fait qu’elle provient surtout des services –, elle devrait à son tour reculer. La question demeure de savoir à quelle vitesse la baisse des prix va continuer et, donc, où elle va s’arrêter.

Le reflux de l’inflation laisse entrevoir la fin de la hausse des taux. Cela dit, l’objectif d’inflation à 2% demeure lointain. Les banques centrales ne relâchent ainsi pas leur vigilance face au risque de deuxième vague inflationniste, comme celle qui a marqué les années 1970-1980. Mais, le choc énergétique de 2021-2022 peut difficilement être comparé à celui d’alors. Après le choc pétrolier, les prix du baril sont restés élevés. Or, depuis l’an dernier, les prix de l’énergie ont baissé, c’est notamment vrai pour les prix du gaz qui ont retrouvé des niveaux proches de ceux d’avant-crise. Par ailleurs, les utilisateurs ont pu diversifier leurs sources d’approvisionnement et d’énergie. Enfin, autre différence: les règles d’indexation des salaires à l’inflation ne sont plus aussi étendues que dans les années 1970.

Taux: une pause plutôt longue?

Si la fin du mouvement de hausse des taux se rapproche, le début de celui de baisse s’éloigne. Attention, tout d’abord, à ce que l’on souhaite: une baisse rapide et marquée des taux serait induite par une chute sévère de l’activité économique. Reporté de trimestre en trimestre aux États-Unis depuis le début de l’année, le risque de récession semble s’éloigner vers 2024. Soutenant le scénario d’un maintien prolongé du statu quo par la Fed. Historiquement, six à huit mois s’écoulent en moyenne entre la dernière hausse et la première baisse des taux américains. Mais des différences importantes existent entre les périodes concernées par une récession.

Actions: la qualité avant tout

Ainsi, la croissance mondiale hésite entre récession faible ou expansion retenue. Dans ce contexte, nous adoptons un positionnement proche de neutre envers le marché des actions. Les valorisations ne sont pas excessives, mais les perspectives bénéficiaires, même revues à la baisse, semblent encore trop optimistes au vu des incertitudes conjoncturelles. Surtout que les taux restent relativement élevés. Pour les investisseurs et les investisseuses, les mots-clés devraient être diversification et qualité.

La qualité est à rechercher dans des sociétés aux marges bénéficiaires solides, aux revenus stables et peu endettées. Les valeurs de croissance peuvent présenter ce profil, mais attention à trop concentrer ses positions sur un petit nombre de titres très recherchés. À noter encore que, s’il est trop tard pour s’exposer aux secteurs liés à l’inflation, il est trop tôt pour surpondérer les segments les plus cycliques.

Le rôle retrouvé des obligations

Le réservoir de performance s’est reconstitué dans un autre segment important, le marché des titres à revenus fixes. Les obligations peuvent à nouveau remplir leur rôle dans les portefeuilles. L’environnement actuel plaide pour un positionnement sur la partie courte à moyenne de la courbe des rendements avec une once de risque de crédit. Le niveau des taux d’intérêt permet de penser aussi à une diversification dans l’immobilier indirect suisse, qui peut compter sur des fondamentaux solides pour offrir un complément aux obligations de la Confédération à 10 ans – qui sont, elles, chères. Une prudence et une flexibilité utiles pour constituer un coussin de sécurité en cas de vents contraires. Pas forcément en cas de tempête, mais ce n’est pas notre scénario principal.

Et s’il fallait encore une image pour illustrer le fait que nous vivons une période de transition, il suffit de jeter un coup d’œil aux courbes des rendements des liquidités, des obligations et des actions en juin aux États-Unis: elles convergent toutes vers le même rendement (5,5%)… Une première depuis plusieurs décennies.

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