Conjuguer croissance économique, performances financières et climat est possible

Vincent Juvyns, J.P. Morgan Asset Management

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Plus de 140 pays et nombre d’entreprises, couvrant 88% de émissions mondiales se sont déjà engagés à réduire leurs émissions à zéro au cours des décennies à venir.

Si les causes et la manière de remédier au changement climatique font encore souvent débat, il est en revanche communément admis que le climat se réchauffe et que la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère en est l’une des principales causes.

C’est pourquoi 194 pays se sont engagés dans le cadre de l’accord de Paris (COP21) à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degrés au-dessus de l’ère préindustrielle. Pour atteindre cet objectif, la communauté scientifique estime qu’il est nécessaire de réduire les émissions de gaz à effet de serre à zéro d’ici 2050. Par conséquent, plus 140 pays et nombre d’entreprises, couvrant 88% de émissions mondiales se sont déjà engagés à réduire leurs émissions à zéro au cours des décennies à venir.

Ceci est toutefois plus facile à dire qu’à faire puisque pour atteindre zéro émission, les gouvernements doivent déployer un arsenal de mesures pas toujours populaires et parfois contraignantes sur le plan économique et doivent donc trouver un juste équilibre entre la «carotte» et le «bâton» afin de ne pas casser la croissance économique et de conserver l’adhésion de la population.

Si l’augmentation significative des investissements publics en matière de transition énergétique et les incitants fiscaux divers soutiennent la croissance et sont généralement bien perçus par la population, le renforcement des législations environnementales et l‘augmentation de la fiscalité sur le carbone suscitent en revanche davantage d’opposition dans certains cercles économiques et dans la population. Le mouvement des gilets jaunes en France en est la parfaite illustration, faisant dire à certains qu’il ne faut pas «opposer la fin du monde à la fin du mois».

L’Europe continue à se démarquer par des prix du carbone plus élevés que chez la plupart de ses partenaires commerciaux dotés ou non d’un ETS, ce qui affecte négativement la compétitivité de ses entreprises.

La fiscalité sur le carbone, ou plus généralement le «signal prix», est pourtant un outil efficace pour réduire notre consommation d’énergies fossiles et réduire nos émissions. La crise énergétique qu’a traversé l’Europe en 2022 en est sans doute le meilleur exemple puisque l’augmentation spectaculaire du prix du gaz a conduit à une réduction de sa consommation par les européens de plus de 15% en 2022 et 2023 par rapport à la moyenne 2019-2021.

L’Europe n’a toutefois pas attendu 2022 pour en prendre conscience puisque dès 2005, elle a mis en place un système d’échange de droits d’émissions (ETS: Emission Trading Scheme). Les prix du CO2 y sont déterminés par la loi de l’offre et de la demande et sont par ailleurs poussés artificiellement à la hausse en raison de la baisse graduelle du nombre de droits d’émissions octroyés. Ce système a depuis fait des émules puisqu’aujourd’hui 38 pays  ont mis en place un ETS et que plus de 20% des émissions de CO2 mondiales sont aujourd’hui couvertes par un tel système contre seulement 5% en 2005.

Cependant, l’Europe continue à se démarquer par des prix du carbone plus élevés que chez la plupart de ses partenaires commerciaux dotés ou non d’un ETS, ce qui affecte négativement la compétitivité de ses entreprises. Pour corriger cela, l’Europe a mis en place le 1er octobre 2023 un mécanisme de correction aux frontières (Carbon Border Adjustement Mechanism) qui devra lever des droits de douane sur les produits importés en fonction de leur intensité carbone et de l’éventuel écart de prix du carbone entre celui pratiqué en Europe et dans le pays de l’exportateur. Pour l’instant, il ne s’agit que d’une phase test mais dès le 1er janvier 2026, ce système devrait commencer à collecter les premiers droits de douane et l’on peut donc raisonnablement estimer que les prix du carbone en Europe deviendront une référence mondiale, au moins auprès de nos partenaires commerciaux.

Si ces mesures devraient aider l’Europe à atteindre ses objectifs climatiques, certains craignent cependant que l’augmentation du prix du carbone et la baisse concomitante de l’intensité carbone de nos économies ne pèsent sur la croissance économique et sur la performance de nos entreprises. Si ces questions sont légitimes, les performance économiques et financières des pays et des entreprises qui ont réduit leur intensité carbone ces dernières années devraient toutefois rassurer les investisseurs.

Au niveau international, la Suède illustre notamment qu’il est possible de conjuguer lutte contre le changement climatique et croissance économique. En effet, bien que cette dernière ait imposé la taxe carbone la plus élevée au monde en 1991 et rejoint le mécanisme européen de tarification des émissions de CO2 en 2005, la croissance de son PIB par habitant entre 1990 et 2022 a été similaire à celle observée aux Etats-Unis, pourtant nettement moins ambitieux sur le plan climatique et qui produisent trois fois plus de CO2 par habitant que les Suédois.

Sur les marchés financiers, la performance relative d’indices, comme le JPMAM Carbon Transition Global Equity Index , ayant pour objectif de réduire l’intensité carbone par rapport à des indices classiques comme le MSCI World, est également encourageante. En effet, depuis le lancement en 2016 de cet indice, sa performance s’est élevée à 10,5% (contre 10,3% pour le MSCI World) et sa volatilité à 16,3% (contre 16,6% pour le MSCI World) tandis que la moyenne pondérée de son intensité carbone a baissé de 73% par rapport à l’indice MSCI World. Réduire l’intensité carbone de son portefeuille n’affecte donc pas négativement la performance, au contraire même!

Si l’on ne peut inférer ces résultats à l’ensemble des pays et des marchés financiers, ils n’en sont pas moins encourageants en ce sens qu’ils illustrent que conjuguer croissance économique, performances financières et climat est possible!

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