Un environnement de marché très exigeant pour les actions en 2023

Yves Hulmann

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Pour Martin Neff, chef économiste du groupe Raiffeisen, l’immobilier restera attrayant en raison des rendements réguliers que ces placements sont capables de générer.

Une récession n’est pas attendue en 2023 même si un ralentissement de la croissance du produit intérieur brut est anticipé par Raiffeisen. Alors que l’établissement table sur un chômage toujours faible cette année, les discussions à propos des limites de la croissance en Suisse ne pourront pas être ignorées, notamment au regard des infrastructures de transport et du marché du logement. Tour d’horizon avec Martin Neff, chef économiste du groupe Raiffeisen, qui a publié la semaine dernière ses prévisions pour l’économie helvétique en 2023.

Pour 2023, Raiffeisen n’anticipe pas de récession en Suisse mais seulement un ralentissement de la croissance de son produit intérieur brut (PIB) à 1% pour l’ensemble de l’année qui vient de débuter, contre 1,9% estimé pour 2022. Quand le point le plus bas pour la conjoncture helvétique devrait-il être atteint cette année?

Nous nous trouvons encore dans les répliques qui font suite à différentes crises. A savoir celle de la sortie de la pandémie de coronavirus, à laquelle est venue s’ajouter la flambée des prix de l’énergie l’an dernier. Nous sommes ainsi encore, en partie, en train de digérer ces différents facteurs qui ont pesé sur l’économie. Je pense que nous sommes assez proches du point le plus bas – qui interviendra certainement soit au cours de ce printemps, soit au début de l’été.

«Si la croissance du PIB helvétique devait descendre en dessous de 1%, cela commencera progressivement à avoir un impact négatif sur l’emploi.»
Comparé à 2022, la croissance attendue du PIB helvétique pour 2023 sera presque inférieure de moitié. A partir de quel moment ce ralentissement, assez net, pourrait-il commencer à affecter le taux de chômage attendu à 2,1% par Raiffeisen, soit le plus faible niveau de ces cinq dernières années?

Pour répondre à cette question, il faut faire un détour par ce que l’on appelle la croissance potentielle du PIB. En Suisse, on estime cette croissance potentielle à un niveau plus proche de 1% que de 2%. En d’autres termes, dès lors que la croissance effective du PIB atteint, par exemple 1,2% ou 1,3%, cela se traduit déjà par une situation de pénurie sur le marché du travail - ou du moins par certaines tensions pour recruter du personnel dans certains secteurs. A l’inverse, si la croissance du PIB helvétique devait descendre en dessous de 1%, cela commencera progressivement à avoir un impact négatif sur l’emploi. Cela ne se traduirait pas d’un coup par un chômage plus élevé mais cela freinerait quelque peu la dynamique du marché du travail.

Dans le cadre de votre présentation des perspectives, vous évoquez aussi le fait que l’importance du commerce de transit en Suisse fausse les comptes nationaux, de même que les effets exceptionnels liés aux événements sportifs internationaux. Les chiffres du PIB ne sont-ils pas présentés sous un jour plus favorable que la réalité certaines années?

Non, les chiffres du PIB tiennent compte de ces effets et ils sont présentés de manière standardisée. En 2023, le PIB suisse sera moins influencé par ces effets exceptionnels liés aux compétitions sportives. Ce sera à nouveau davantage le cas en 2024. Comparé à certaines économies comme celles des pays du Golfe, très influencées par les fortes variations du pétrole et une énorme concentration des richesses aux mains de quelques personnes, on peut considérer que le PIB demeure un bon indicateur de l’évolution de l’économie helvétique.

«Le facteur qui a l’impact le plus décisif sur l’évolution du marché de l’immobilier reste toujours le décalage entre l’offre et la demande.»
L’inflation devrait retomber à 2,3% en 2023, soit un niveau exceptionnellement bas comparé au renchérissement attendu pour la zone euro (5,5%) et les Etats-Unis (4%). Malgré tout, la BNS devrait encore relever une fois son directeur pour le porter à 1,25% en cours d’année et les rendements des obligations de la Confédération devraient progresser à 1,5% sur trois avant de légèrement décélérer à 1,4% en fin d’année, alors qu’ils étaient encore négatifs jusqu’à fin 2021. Cette situation ne va-t-elle pas finir par freiner les prix sur le marché de l’immobilier?

L’impact de la hausse des taux intervient toujours avec un décalage. Aujourd’hui encore, certaines personnes paient des taux plus chers que ceux des nouvelles hypothèques, car il s’agit parfois d’hypothèques qui ont été souscrites il y a dix ans ou davantage. Pour les personnes qui financent leur logement avec des hypothèques basées sur le Saron, l’adaptation a été immédiate mais ce taux reste extrêmement bas d’un point de vue historique, avec des coûts de l’ordre de 1,5% pour les emprunteurs en incluant la marge des banques. Nous sommes donc encore très loin des 5% qui sont pris en compte dans le cadre du calcul de la capacité financière des clients. Donc, je pense que nous sommes encore très loin d’une situation où l’on pourrait assister à des faillites privées en série de propriétaires qui n’arrivent plus à payer les traites de leurs hypothèques comme au début des années 1990. De plus, les gens comparent toujours entre les coûts d’un loyer s’ils sont locataires et leurs charges en tant que propriétaires. Actuellement, les conditions restent toujours plus favorables pour les propriétaires. D’autant plus que le taux d’intérêt de référence qui influe sur les loyers pourrait être adapté en cours d’année en raison de l’inflation.

Le facteur qui a l’impact le plus décisif sur l’évolution du marché de l’immobilier reste toujours le décalage entre l’offre et la demande. La demande reste soutenue par l’immigration toujours importante en Suisse, ainsi que par le fait qu’il y a toujours de personnes qui vivent seules dans un ménage. L’offre, elle, ne s’adapte pas au même rythme.

«Les questions liées à l’immigration et à la croissance de la population en Suisse reflètent un malaise dans la société.»
Dans vos prévisions, vous tablez sur une croissance démographique et une immigration toujours importante. Ne faut-il pas aussi tenir compte des possibles mesures qui pourraient être réclamées sur le plan politique, un peu comme l’initiative dite «Contre une immigration de masse» au milieu de la dernière décennie?

Effectivement, l’acceptation de l’initiative contre une immigration de masse date d’il y a moins de huit ans et elle n’a été mise en œuvre que partiellement par le Conseil fédéral. Je pense que les questions liées à l’immigration et à la croissance de la population en Suisse reflètent un malaise dans la société. Les discussions sur les limites à la croissance se sont de plus en plus sentir, notamment eu égard aux infrastructures de transport et à propos du marché du logement. De plus, j’ai aussi l’impression que beaucoup de gens ne croient plus vraiment au conte de fée sur la société multiculturelle longtemps prônée par certains partis. Certes, la Suisse est loin de connaître des événements tels que ceux qui se sont passés à Berlin durant la nuit du Nouvel-an. Toutefois, ce genre de situations montrent à quel point la situation peut rapidement déraper dans certains endroits. La Suisse, qui est le pays qui compte la plus forte immigration en Europe après le Luxembourg, ne peut pas se soustraire à cette discussion uniquement parce que la situation est sous contrôle et parce que l’économie prospère. S’il devait y avoir une crise économique sérieuse, la Suisse ne peut pas ignorer la discussion sur les limites de sa croissance.

Le franc évolue aux alentours de la parité (1 franc pour un euro). Si le franc devait à nouveau s’apprécier en cours d’année, à 95 centimes par euro d’ici comme l’attend Raiffeisen sur 12 mois, cela risquerait-il de pénaliser certaines branches comme le tourisme ou l’industrie?

Un renforcement du franc face à l’euro pénaliserait surtout des secteurs qui sont structurellement déjà affaiblis. En ce qui concerne le tourisme, on observe que cette branche a plutôt profité récemment de la réouverture après la pandémie par effet de rattrapage. Les Allemands sont par exemple nombreux à revenir en Suisse même si les vacances sont plus chères ici. Quant à l’industrie, les entreprises ont réussi à s’adapter aux vagues successives de renchérissement.

En termes de placement, quelles catégories d’actifs sont à favoriser en 2023?

Tout dépend du niveau de risque que l’on est prêt à encourir. Les obligations ne sont pas la catégorie de placement la plus attrayante actuellement, mais il est possible de trouver des obligations d’entreprise qui offrent des rendements intéressants. S’agissant des actions, nous restons plutôt réservés – je ne m’attends pas à un boom des actions cette année. L’environnement de marché restera très exigeant pour les actions en 2023. Quant à l’immobilier, cette catégorie d’actifs ne sera pas attrayante en termes d’appréciation des prix. Elle le sera davantage en raison des rendements réguliers, de l’ordre de 3 à 4%, que les placements immobiliers sont capables de générer.

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