Nous ne prévoyons ni krach ni récession globale

Emmanuel Garessus

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Le défi de la fin de l’été consistera à inciter les clients privés à réintégrer du risque en portefeuille, affirme Nicolas Faller, Co-CEO d'UBP AM.

L’Union Bancaire Privée (UBP) a procédé à une acquisition dans le domaine de l’asset management au Japon et a indiqué, dans son communiqué sur les résultats semestriels, vouloir renforcer ses équipes. Nicolas Faller, Co-CEO Asset Management à l’UBP, répond aux questions d’Allnews à ce sujet, ainsi que sur les perspectives de marché et le développement de la Banque.

Comment avez-vous traversé les difficultés du marché au premier semestre et comment vos actifs sous gestion ont-ils évolué?

Le premier trimestre a été plutôt difficile pour l’Asset Management, moins en raison de la tendance des marchés que du comportement des investisseurs institutionnels. Ceux-ci ont été attirés par le niveau de rendement des obligations de sociétés «investment-grade» et, par ricochet, ils ont été peu friands d’actions, de hedge funds et de marchés privés. Ils ont donc alloué peu de capitaux aux gérants d’actifs. Les clients privés ont aussi profité de taux sans risque attractifs et sont restés souvent positionnés en cash. Le paysage s’est modifié ce printemps. Les clients institutionnels ont davantage investi dans le haut rendement et les obligations des marchés émergents tandis que les clients privés sont, pour la plupart, demeurés encore calmes.

«Nous avons regardé GAM comme tout le monde, mais le dossier ne nous a pas convaincus.»
Les actifs sous gestion de l’Asset Management de l’UBP ont légèrement progressé au premier semestre grâce à une bonne collecte de fonds en avril, mai et juin. Quelle a été votre performance de gestion?

Elle a été plutôt bonne dans les obligations, assez bonne dans les actions suisses – où plusieurs fonds ont surperformé les indices –, et en ligne avec les benchmarks dans les actions internationales. Nous avons quelque peu souffert dans les fonds d’impact (hors pays émergents). Néanmoins, il faut rappeler que l’univers d’investissement dans ce domaine est restreint et peut difficilement être comparé à un indice global. De plus, l’intérêt des marchés s’est concentré sur la technologie et le luxe, autrement dit des branches d’activité souvent absentes des thématiques d’impact.

Est-ce que vos clients sont, en cette fin d’été, davantage prêts à prendre des risques?

Les investisseurs n'ont pas assez profité de la bonne tenue des marchés de ce début d’année. En termes de crédit, les portefeuilles ont généré des performances correctes, même si, en termes de duration, la situation était plus difficile. Les clients institutionnels ne sont plus en mode ‘risk-off’ et cherchent à redéployer des capitaux. Le défi de la fin de l’été consistera à inciter les clients privés à réintégrer du risque en portefeuille et à revenir vers les fonds en actions.

La tendance des marchés sera-t-elle positive ces prochains mois?

Elle ne devrait pas être défavorable sur les marchés d’actions, ni sur ceux du crédit. Le second semestre devrait être plutôt positif pour les investisseurs. Il faut les aider à tirer parti de ce contexte, idéalement avec des stratégies permettant de capturer la hausse tout en assurant une certaine protection en cas de retournement.

Warren Buffett a vendu pour USD 8 milliards d’actions et Michael Burry, l’homme du ‘Big Short’, est persuadé qu’un krach va survenir. Quel est le risque de chute des actions?

Nous ne croyons pas à un krach parce qu’en termes d’environnement de taux d’intérêt, le plus dur est passé. Les taux courts vont peut-être encore un peu monter, mais l’inflation commence à être sous contrôle. Le niveau de taux sera donc relativement stable. Les entreprises ont, elles, bien digéré le contexte économique. Elles ont réalisé de nouveaux gains de productivité et présentent des modèles d’affaires généralement sains. Nous ne sommes pas dans un scénario de récession globale, ni de krach de marché.

Historiquement, vous avez beaucoup investi dans les hedge funds. Que représentent-ils encore dans vos investissements?

Nous sommes convaincus que les hedge funds méritent d’avoir une place significative dans l’allocation d’actifs. Ils ont très bien fonctionné l’an dernier et n’ont pas de mauvais résultats en 2023. Ils ont souffert entre 2015 et 2021 en raison d’un marché inondé de liquidités et davantage propice à la gestion passive qu’à la recherche d’inefficiences de marché.

«Nous préférons donc des acquisitions dans la gestion de fortune, ceci en nous réservant le droit de procéder à des rachats ciblés dans la gestion d’actifs.»

Contrairement à d’autres acteurs, nous avons maintenu notre équipe dédiée durant cette période difficile et l’avons même renforcée ces deux dernières années. Elle compte aujourd’hui 26 personnes et gère USD 16 milliards d’actifs. Nous sommes idéalement positionnés pour conseiller les clients privés et institutionnels sur cette classe d’actifs.

Nous entrons dans un environnement dans lequel les liquidités seront plus contraintes. Les banques centrales ne feront pas baisser les taux d’intérêt rapidement, même si la croissance ralentit. Elles ont aussi l’occasion de corriger une anomalie et de rester axées sur leur objectif de stabilité des prix après avoir été accusées d’avoir, au sortir de la période covid, réagi trop tard face à l’inflation. Dans un environnement plus volatil et moins liquide, les hedge funds devraient pouvoir saisir de nombreuses opportunités. Je pense surtout aux fonds «global macro», à l’arbitrage de crédit, ainsi qu’au segment «long/short equity».

Le domaine de l’asset management semble en mouvement. L’OPA sur GAM a, par exemple, été le feuilleton de l’été. Est-ce que vous êtes tentés par une acquisition?

Nous ne visons pas une croissance externe qui se matérialiserait par une acquisition d’ampleur dans l’asset management. Nous avons regardé GAM comme tout le monde, mais le dossier ne nous a pas convaincus. Nous avons par contre évalué des structures très spécialisées sur une classe d’actifs qui puisse nous apporter une capacité que nous n’offrons pas et qui aurait toute sa place dans notre modèle. Nous avons ainsi acquis Angel Japan AM, un partenaire de longue date sur le segment des petites capitalisations (‘small caps’) japonaises car nous pensons qu’il y a un gisement majeur dans ce domaine.

Une acquisition dans la gestion d’actifs n’est pas comparable avec celles que nous avons réalisées dans la gestion privée. Avec une banque privée, il faut trouver des complémentarités, réunir le savoir-faire, et proposer une plateforme attractive. Si ces conditions sont réunies, les clients seront enclins à rester fidèles à leur banquier. Dans l’asset management, d’autres paramètres s’ajoutent. Les doublons sont par exemple plus fréquents. Les styles de gestion sont parfois très, voire trop, différents et nécessitent de faire des arbitrages difficiles. Le goodwill réside davantage dans les équipes de gestion que du côté des clients – à l’inverse de la gestion de fortune.

Dans l’histoire, on dénombre davantage d’acquisitions dans l’asset management qui ont détruit de la valeur que de rachats qui en ont créé.

Nous préférons donc des acquisitions dans la gestion de fortune, ceci en nous réservant le droit de procéder à des rachats ciblés dans la gestion d’actifs.

Est-ce que le rachat d’Angel Japan AM traduit aussi l’attente d’une hausse durable du Japon?

Nous connaissons Angel Japan par cœur. C’est l’une des meilleures structures sur le marché des ‘small caps’ japonaises sur 3, 5 et 10 ans. Mais elle n’avait que peu de clients et aucune capacité de distribution; le fondateur voulait céder son entreprise en s’assurant de sa continuité, notamment en garantissant ses effectifs et en développant son modèle. C’est une pépite que nous pouvons aider à faire croître, forts de notre équipe de 18 professionnels au Japon et de nos équipes de vente en Europe. Les ‘small caps’ japonaises représentent le 2e plus grand marché au monde. Les petites et moyennes entreprises constituent un moteur majeur de l’innovation japonaise. Beaucoup d’investisseurs institutionnels européens se détournent des grandes valeurs japonaises pour se concentrer sur les ‘small caps’. Angel Japan affiche CHF 1,3 milliard d’actifs sous conseil et le chiffre pourrait s’élever à CHF 4 à 5 milliards.

Comment avez-vous évolué dans votre gestion en investissement responsable?

Cela dépend de la signification du terme «évoluer». Nous n’avons pas changé, mais nous avons renforcé notre dispositif et l’avons encore professionnalisé. Nous sommes convaincus que l’ESG et l’impact sont loin d’être un effet de mode. Mais, et on l’a de nouveau vu en 2022, les actions liées aux énergies fossiles performent bien. Le défi consiste donc à identifier ce que nous appelons les «transitionneurs», c’est-à-dire les sociétés pétrolières, par exemple, susceptibles de faire évoluer leur modèle d’affaires, une très grande partie de leurs revenus étant encore issus de sources d’énergies non renouvelables.

«Nous sommes convaincus que les hedge funds méritent d’avoir une place significative dans l’allocation d’actifs.»

Nous cherchons par ailleurs à améliorer notre engagement auprès des sociétés. Lorsqu’une entreprise fait des promesses sur ses services, nous la suivons de près et si elle n’est pas à la hauteur de ses engagements, nous vendons ses actions. Nous avons aussi un objectif de gestion pour les clients institutionnels qui demandent à ce qu’on leur propose un portefeuille «net zero» et nous développons notre reporting pour répondre à leurs besoins.

Est-ce que vous avez l’objectif d’être «net zero» dans vos investissements?

Cet objectif a été pris dans l’Asset Management de l’UBP pour l’horizon 2030 et nous nous en approchons, mais il ne concerne pas la clientèle privée, parce qu’elle n’est pas encore prête à cela. Il est difficile de convaincre nos clients privés de l’importance de la gestion d’impact quand il s’agit de se priver de la performance du luxe ou de certaines valeurs technologiques. Les clients institutionnels ont toujours été en avance en termes d’impact et d’ESG, et le resteront. Les programmes d’investissement et les capitaux iront de plus en plus vers l’investissement responsable. Toutefois, l’effet concret sur les flux et les marchés prendra du temps à se matérialiser. Nous avons eu relativement peu de nouveaux apports dans ce domaine en 2022, mais nous n’avons pas non plus enregistré de décollecte. Ceux qui ont investi dans nos fonds par conviction leur restent fidèles, même si le rendement est moindre à court terme.

N’est-on pas à un tournant dans l’ESG à l’heure où l’on voit Vanguard et BlackRock suivre avec réticence les propositions ESG des activistes lors des assemblées générales?

Ces grands gérants passifs ont un business à protéger. Par définition, si Shell et Total forment 3% d’un indice, ils sont tenus de les détenir en portefeuille. Ils se disent interventionnistes face à un conseil d’administration, mais ne peuvent pas, en guise de sanction, désinvestir des entreprises qui ne satisferaient pas leurs engagements. Nous n’avons pas ce problème puisque nous sommes des gérants actifs.

Dans votre communiqué, vous dites que vous prévoyez de renforcer vos équipes. Pouvez-vous nous en dire plus?

Au sein de l’Asset Management, nous suivons une approche très opportuniste et cherchons à nous renforcer à différents niveaux, tout d’abord dans les équipes commerciales, afin d’être capables de vendre l’ensemble de nos produits, que ce soit sur les classes d’actifs traditionnelles ou sur le segment de l’alternatif. Nous souhaitons d’ailleurs former une équipe de vente spécialisée sur les marchés privés car les cycles de vente y sont très particuliers. Nous avons aussi développé nos équipes de gestion centrées sur la dette des marchés émergents et l’impact, ainsi que nos équipes de reporting.

Au niveau du Groupe, nous nous renforçons toujours de manière très sélective, mais avons quand même recruté plus de 150 personnes, depuis le début de l’année, ce qui témoigne de l’attractivité de notre établissement.

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