Mieux vaut ne pas anticiper une baisse linéaire des taux US

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

La Fed devra tenir compte d’un risque de résurgence de l’inflation par excès de la consommation. Entretien avec Vincent Chailley de H2O Asset Management.

Deux facteurs peuvent compliquer la tâche de la Réserve fédérale dans sa politique de réduction des taux. Le premier est une reprise excessive de la consommation, un «choc de la demande». Le second est un emballement des marchés de capitaux. Dans un contexte de consensus peut-être trop optimiste, les mauvaises surprises peuvent prendre les investisseurs de court avec pour corollaire une volatilité accrue. Pour protéger les portefeuilles Vincent Chailley de H2O propose quelques thèmes peu exposés et des protections par le marché des changes. Entretien.

Inflation descendante aux Etats-Unis et ailleurs, taux directeurs en baisse, le consensus est presque unanime. Qu’en pensez-vous?

Notre opinion n’est pas différente de celle du consensus avec toutefois un bémol. En Europe, en Asie, l’inflation est le résultat d’un choc d’offre. Cela signifie, à notre sens, qu’une fois l’inflation stabilisée, le risque de rechute est faible. Aux Etats-Unis, l’inflation est le résultat d’un choc d’offre et d’un choc de demande dû à une forte consommation, elle-même fruit des mesures prises au moment du Covid. La situation y est donc moins claire. Si la banque centrale américaine baisse les taux, l’inflation peut ressurgir et, la deuxième fois, elle deviendrait bien plus difficile à maitriser si elle s’ancrait dans la tête des agents économiques, devenant ainsi endémique. En conséquence, la Fed doit tenir compte de ce risque de réapparition d’inflation par excès de demande dans sa politique d’évolution des taux. D’autant que ce n’est pas le seul danger. L’économie américaine étant peu intermédiée, il existe également un risque qu’avec une baisse des taux, les marchés de capitaux s’emballent. En conséquence, alors que le consensus semble anticiper une baisse linéaire des taux US sur l’année, nous sommes plus prudents et envisageons que chaque baisse sera suivie d’un temps de réflexion destiné à ce que la Fed observe l’impact de la réduction avant de passer à l’intervention suivante. Qui pourrait être une autre baisse si tout va bien ou, a contrario, une remontée en cas d’emballement. C’est ce qui s’est passé dans les années 1990. La bonne nouvelle est que l’équilibre économique parait solide ce qui laisse à la Fed le temps de réfléchir après chaque décision.

Vous évoquez un emballement sur les marchés actions mais n’existe-t-il pas déjà une bulle avec une forte concentration sur certains titres?

Effectivement les marchés actions ont gagné environ 15% depuis octobre et les conditions de crédit se sont assouplies mais la Fed démarrera quand même une politique de réduction car les taux réels sont à des niveaux restrictifs. Et puis la trajectoire de la dette publique est telle que son poids deviendrait rapidement insupportable. Si on ne fait rien la dette des US dépassera bientôt celle de l’Italie. Même si cela ne fait pas partie de son mandat officiel, il est probable que la réserve fédérale discute ces questions avec le trésor.

Dans ces circonstances, quel est votre scenario?

Nous pensons que la Fed va baisser les taux mais que si la situation dérape, elle s’arrêtera tout de suite. Il faut donc faire attention aux anticipations des agents financiers qui, trop optimistes, risquent de trop en attendre. Les réactions pourraient alors entraîner de la volatilité. Un consensus aussi fort ne laisse pas de place aux surprises. Trop de consensus, trop de concentration, la moindre contrariété peut exacerber la réponse des acteurs du marché. Il faut donc gérer les portefeuilles différemment et mettre de la distance avec le consensus.

Comment vous y prenez-vous?

En construisant sur des thèmes peu exposés et en introduisant des protections. En voici quelques exemples. Un premier thème peu exposé est celui de certains pays émergents, en Europe de l’Est et en Amérique du Sud. Avec le rapatriement de la production dans des zones proches de l’Europe et des Etats-Unis, la Pologne, la Hongrie, le Mexique, le Brésil, et dans une moindre mesure, la Colombie et le Chili, offrent une belle indexation au cycle économique. Les valorisations y sont modestes, la profitabilité bonne et les risques en baisse. Ces pays n’ont plus de besoin de capitaux étrangers et ont une balance des capitaux positive, ainsi que des déficits publics relativement faibles. Une volatilité élevée dans les pays développés n’y aurait que peu d’impact. Depuis quelques semaines, nous nous intéressons aussi à l’Afrique du Sud. La dette locale de certains pays - dont le Mexique – nous parait également attractive. Plus personne ne s’y intéresse depuis 10 ans. Un second thème est celui des crédits européens, en particulier les subordonnés bancaires, bien améliorés depuis la crise de Credit Suisse l’an dernier. Ils offrent de belles primes et peu de risque. Et le secteur bancaire est souvent sous-exposé dans les portefeuilles en raison de sa forte volatilité passée. Enfin, certains risques souverains sont particulièrement attractifs, notamment l’Italie.

Et quels types de protection utilisez-vous?

Le monde des changes offre de belles protections contre la volatilité, notamment au Japon. A l’heure actuelle, les investisseurs sont vendeurs de yen et il est de ce fait très décoté. Une décote aussi extrême est d’ailleurs unique dans l’histoire du G10 depuis l’abandon de l’étalon-or. S’il y a un vrai mouvement de volatilité, les agents économiques japonais rapatrieront leurs capitaux et nous assisterons à une réévaluation. A contrario, avec plusieurs centaines de milliards de capitaux à intégrer chaque année, la livre sterling s’affaiblirait sans doute. En bref, nous vendons la livre et achetons le yen. Nous privilégions également la dette locale de certains pays émergents dont j’ai parlé plus haut, qui devrait bien se comporter en cas de scénario adverse.

Et le franc suisse?

La Suisse n’a pas besoin de capitaux, au contraire, et donc le change est structurellement fort. Dans les deux dernières années, la Banque nationale suisse a vendu des réserves pour soutenir le franc et éviter l’inflation mais maintenant qu’il n’y a plus d’inflation et elle commence à revendre du franc suisse pour soutenir l’économie. Donc mieux vaut être vendeur. D’autant que le franc rapportera de moins en moins au fur et à mesure que la banque centrale va baisser les taux.

Quels choix sur le plan des secteurs?

Selon notre logique de gestion, la volatilité va venir des Etats-Unis donc nous préférons nous en éloigner. Nous étions exposés aux «7 magnifiques» jusqu’à récemment et leur reconnaissons des fondamentaux solides mais elles deviennent trop spéculatives. Nous leur préférons certaines actions européennes très décotées avec une belle indexation au cycle. Entre dividendes et rachats d’actions, le secteur bancaire européen rapporte 12% par an et présente des caractéristiques très solides. Décote, prime, risque, tout converge pour en faire un excellent investissement. Les constructeurs automobiles sont également robustes ainsi que le secteur de l’énergie dans son ensemble. 

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