Makor Securities: une année pour les «surfers»

Cyril Gomez

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Pour Stéphane Barbier de la Serre de Makor Capital, 2019 ressemblera probablement à «un sas hyperbare pour les marchés».

À moins d’être un habitué des vagues ou un tacticien hors-pair, l’investisseur souffrant actuellement du syndrome de l’écrasement (‘crush injury’), consécutif à l’effondrement des marchés en décembre dernier, pourrait ne pas s’en remettre en 2019. Pour Stéphane Barbier de la Serre, stratégiste macro chez Makor Securities, à Genève, l’année en cours a de grandes chances d’être ponctuée de rebonds inattendus, suivis de rechutes imprévisibles.

Les FAANG ne devraient d’être d’aucun secours, du moins à court terme. Sur les marchés des taux et des changes, mieux vaut ne pas avoir de certitudes. Sauf peut-être dans le cas de la livre sterling… Quant aux actions suisses, rien ne change: on ne peut pas se permettre de ne pas en détenir en portefeuille, quel que soit l’environnement. Explications de Stéphane Barbier de la Serre.

Pensez-vous que 2019 sera une année de forte activité de trading? Nous faisons référence, notamment, à votre call acheteur – et gagnant – du 20 décembre, suivi de votre recommandation de prises partielles des bénéfices à fin janvier?

S’il fallait résumer en un mot les marchés en 2018, ce serait: pression. Pression politique, macroéconomique et sociale, pressions géopolitiques, pressions sur les taux d’intérêt, compression des indicateurs de sentiment puis des marges, aboutissant dès lors mécaniquement à une dépression, non pas économique, mais des prix des actifs. 2019 ce sera pour nous l’année de la décompression: une sorte de sas hyperbare pour les marchés, qui permettra de réoxygéner les tissus économiques et financiers. Cette phase de décompression pourrait en outre être accompagnée d’une répression, par les banques centrales, des tentations baissières des marchés; répression qui semble s’esquisser voire se dessiner.

On peut comparer les grandes valeurs technologiques
à des idoles déchues.

Concrètement, après avoir recommandé tout au long de l’année dernière de vendre les rebonds sur l’ensemble des marchés actions, nous nous sommes repositionnés à l’achat sur ces derniers, particulièrement le marché américain, le 20 décembre. Après un rebond littéralement wagnérien, les signes de complaisance commencent à se multiplier, nous conduisant logiquement à recommander à nouveau de s’alléger sur les actifs à risque en général et les actions en particulier. Hybris et Némésis, flux et reflux, vague baissière après vague haussière, excès après excès, tel sera 2019. Une année pour les traders, pour ne pas dire les surfers…

Que dire du secteur technologique? Je vois que les FAANG ont nettement rebondi (et le Nasdaq) depuis le 24 décembre. Mais les marges d'Alphabet (qui investit beaucoup dans des projets futuristes) déçoivent. Le sort d'Alphabet est-il représentatif du secteur en général?

On peut comparer les grandes valeurs technologiques à des idoles déchues. Déchues car, ayant affiché une trop grande vulnérabilité, elles ne font plus rêver désormais, même au sein des cohortes de leurs plus aveugles zélateurs. Les modèles de développement de ces sociétés sont par ailleurs parfois remis en cause et à juste titre. Et le fait qu’elles ne soient pas en tête de peloton dans le très fort rebond des actions américaines depuis la fin décembre est à cet égard assez révélateur. Il appartiendra à ces valeurs de rassurer dans un premier temps et de redéfinir leur projet dans un second. Mais, par essence, cela prendra du temps. Nous restons donc sous-pondérés sur ce secteur pour l’heure.

Quelle est actuellement votre allocation globale entre les principales classes d’actifs?

Comme souligné précédemment, notre allocation sera cette année résolument placée sous le double sceau du pragmatisme et de la flexibilité; pour l’heure, le virage rhétorique en épingle à cheveux actuellement négocié par la Fed renforce notre sentiment que, sur les compartiments des taux et du change, la meilleure conviction est de n’en nourrir aucune…Nous sommes donc aussi neutres qu’il est possible de l’être sur ces deux versants, à l’exception notable de la livre sterling, qui nous parait avoir un très fort potentiel de rebond si nos anticipations d’un inévitable second referendum sur le Brexit se concrétisent.

Sur les actions d’une manière générale, nous sommes raisonnablement constructifs, essentiellement pour deux raisons: d’une part, beaucoup de mauvaises nouvelles sont d’ores et déjà intégrées dans les cours et, d’autre part, les marchés nous semblent sous-estimer les chances d’une prochaine embellie conjoncturelle, dont quelques bourgeons pointent déjà ici ou là. A très court terme toutefois, nous nous allégeons aux niveaux actuels sur fond de multiplication des signes de complaisance ou autres signaux de surachat.

Le ratio Bull/Bear revient à grandes enjambées vers la zone des 20,
signe classique d’immixtion de la complaisance dans la psyché des marchés.

Sur les matières premières, le fait que le plafond de verre des taux ait actuellement tendance à baisser pourrait mécaniquement soutenir le secteur. Pour autant, les fondamentaux de la plupart des grandes commodities demeurent peu engageants d’une part et la visibilité macroéconomique est limitée d’autre part. Ces marchés devront donc être analysés davantage sous le mode du trading dynamique que sous celui du positionnement à moyen terme.

Quels sont les indicateurs que vous privilégiez (au-delà de vos échanges avec d'autres professionnels de l'investissement) pour mesurer le sentiment des investisseurs?

En matière de mesure ou d’appréciation du sentiment des investisseurs, nous considérons que les indicateurs les plus pertinents sont généralement les plus simples, pour ne pas dire les plus simplistes. Dans cet ordre d’idées, nous conservons toujours un œil sur les indicateurs Bull et Bear sur les actions américaines fournis chaque semaine par l’American Association of Individual Investors (AAII). On notera d’ailleurs qu’après avoir gravité autour de zéro tout le mois de janvier (illustrant la désorientation des investisseurs) le ratio Bull/Bear revient à grandes enjambées vers la zone des 20, signe classique d’immixtion de la complaisance dans la psyché des marchés.

Auriez-vous éventuellement une opinion sur les actions suisses en général? Dans quelle mesure seraient-elles plus ou moins concernées par le Brexit, par exemple?

Les actions suisses présentent aujourd’hui un profit intéressant en matière de risque/rendement. En forçant à peine le trait, on pourrait dire que, dans le contexte actuel, les valeurs helvétiques surperforment nettement dans les phases de stress (de tous les grands indices européens, le SMI est le seul qui affiche encore une performance positive (+1,9%) en glissement annuel) et ne sous-performent pas dans les phases d’euphorie comme c’est le cas depuis le début de l’année. Que demander de plus?... Nous demeurons donc surpondérés sur ce solide versant, qui pourrait de surcroit bénéficier, par capillarité, des incertitudes liées au Brexit, ne fût-ce que temporairement.