Le soutien aux marchés privés suisses reste insuffisant

Nicolette de Joncaire

2 minutes de lecture

Adam Said de ACE & Company: «Trop de capital se dirige encore vers les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou la Chine. Il n’y a pas encore de réel soutien à l’écosystème local».

La 7e édition du Global Investment Forum se tenait en fin de semaine dernière à Genève avec en vedette l’ancien président de la République française, François Hollande. Une présence qui pouvait surprendre si l’on se remémore sa vindicte contre le monde de la finance lors de l’élection présidentielle de 2012. Comme l’année précédente avec Yanis Varoufakis, l’initiateur du forum, Adam Said, était certain que les débats n’en seraient que plus vivaces. Quelques questions en marge de la manifestation consacrée aux marchés privés.

Quels sont à votre sens les traits les plus saillants de cette 7e édition du Global Investment Forum?

Les Etats-Unis ne sont plus le seul centre de l’attention. Les discussions portent davantage sur l’Europe, sur sa place face à la Russie, face à la Chine, sur un avenir qui se dessine encore de manière incertaine au terme d’une année bien difficile. Beaucoup de technologie toujours, avec l’accélération des prouesses de l’intelligence artificielle, un univers qui reste dominé par les grands noms – Microsoft, Google, Tesla – et non par des nouveaux venus comme on l’entend souvent. On parle aussi beaucoup de «climate tech» mais au-delà des belles histoires, il faut constater que peu d’acteurs sont profitables et que les subventions prendront fin un jour ...

Pourquoi avez-vous invité François Hollande qui ne tient pas la finance en haute estime?

Parce qu’il est toujours intéressant d’avoir un point de vue de haut vol sur les relations internationales et qu’un ancien président a toute liberté d’exprimer ses vues ce qui n’est pas vrai d’un homme politique en exercice. Et puis tout débat doit s’ouvrir à des opinions différentes. Nous avons par le passé invité Nigel Farage ce qui ne fait pas de nous des «brexiteers».

Trop de capital a été dirigé vers le capital-risque en sous-estimant les risques.
L’accès aux marchés privés a beaucoup évolué notamment celui au capital-risque. On parle aujourd’hui de démocratisation. Comment voyez-vous la situation actuelle?

Commençons par dire que le marché du private equity a énormément grandi avec une capacité de déploiement qui se mesure aujourd’hui en milliers de milliards et qui s’est beaucoup démocratisée. On constate que les marchés secondaires ont récemment témoigné d’un afflux de ventes de positions de médiocre qualité datant de 2020-2021 car le capital-risque reste un domaine où l’asymétrie creuse un abîme entre les spécialistes et le public. Contrairement aux marchés publics, l’information y est peu ou mal régulée. Ceci dit, la désintermédiation du secteur est en marche. Alors qu’on voyait couramment jusqu’à 6 intermédiaires entre investisseurs et entreprises il y a quelques années, ce nombre est passé à 2 ou 3.

Que dire de la gestion passive dans ce contexte?

A mon sens, elle est mal adaptée au moment car il existe une grande disparité de performances entre les entreprises d’un même secteur. A titre d’exemple, regardez la différence entre Uber et Lyft.

Quelles sont, selon vous, les opportunités les plus intéressantes sur les marchés privés à l’heure actuelle et pourquoi?

Je citerais la transition énergétique, la désintermédiation financière et les services aux entreprises mais, encore une fois, le secteur n’est pas l’essentiel. Il faut se concentrer sur les entreprises qui génèrent du cash et sont en position de racheter leurs concurrents; ceux qui jouent le rôle de consolidateurs. Alors que les investisseurs s’intéressaient auparavant aux comptes de perte et profit, ils se concentrent aujourd’hui sur le bilan des entreprises et sur leur capacité à élargir leur part de marché.

La raréfaction des IPO réduit-elle les opportunités du capital-risque?

Oui, sans aucun doute. En 2021, 2500 milliards de titres privés se sont échangés alors que la moyenne des années précédentes était de 500 milliards et que cette année nous sommes tombés à 300 milliards. Beaucoup de valeur s’est évaporée mais le capital-risque reste intéressant en raison du fort potentiel innovateur qu’il peut couvrir. Côté pile, c’est la fin de l’exubérance; côté face, les valorisations sont bien meilleures pour les acquéreurs. A condition de faire preuve de discernement.

Est-il vrai que la dette privée vole la vedette au private equity comme l’avancent certains?

Ce n’est pas faux. Trop de capital a été dirigé vers le capital-risque en sous-estimant les risques. Avec la remontée des taux, une obligation corporate peut aisément rapporter 10% et la dette privée reprend une part de marché importante. Mais sur le long terme, l’investissement en capital est bien plus profitable.

Vous constatiez l’an dernier que la place de Genève restait faible sur les marchés privés malgré de nets progrès de la Suisse en général. Qu’en est-il cette année?

Les mentalités évoluent mais il n’y a pas encore de réel soutien à l’écosystème local. Trop de capital se dirige encore vers les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou la Chine. Les banques investissent auprès des grands fonds de VC internationaux et négligent des investissements suisses largement plus performants. Regardez l’engouement pour Robinhood (et son effondrement) alors que Swissquote ne cesse de prendre de la valeur.

A lire aussi...