Le franc suisse devrait moins bien performer en 2024

Emmanuel Garessus

3 minutes de lecture

Avec le recul de la hausse des prix, la nécessité d’un franc encore plus fort n’a plus de sens aux yeux de la BNS, selon Luc Luyet de Pictet & Cie.

Luc Luyet, stratégiste sur les taux de change auprès de Pictet Wealth Management, vient de publier une note qui signale un léger affaiblissement des soutiens au franc suisse. La politique monétaire de la Banque Nationale Suisse (BNS) devrait par exemple moins favoriser un franc fort. L’établissement prévoit  un euro à 0,95 franc d’ici 3 mois et 0,99 franc d’ici 12 mois. Le dollar devrait un peu s’apprécier à 0,91 franc dans 3 mois et 0,90 dans 12 mois.  Luc Luyet répond aux questions d’Allnews sur le franc:

L’euro est tombé de 1,17 franc en 2018 à 0,945 franc actuellement. Est-ce que vous prévoyez la fin de la tendance haussière du franc?

Non. Je n’annonce pas la fin de la tendance haussière du franc, mais celui-ci perdra certains de ses principaux soutiens en 2024.

Le franc profite de mouvements de capitaux très positifs. L’excédent commercial de la Suisse est structurellement positif. Ces flux ne sont pas entièrement recyclés en investissements de portefeuille parce que le franc est une valeur refuge et les investisseurs ont, depuis la crise de 2008, un biais domestique.

Ces facteurs de hausse sont usuellement contre-balancés par les interventions de la BNS sur le marché des changes, lesquelles cherchent à réduire l’appréciation du franc.

Néanmoins, dans la perspective de sa lutte contre la hausse des pris, ces derniers mois, la BNS est intervenue pour soutenir le franc pour contrer l’inflation importée.

La dynamique d’inflation suisse pourrait être légèrement différente de celle d’autres pays, aux Etats-Unis ou en Europe.

Ma note entend montrer que ces trois éléments seront moins favorables au franc en 2024. Après avoir été très fort en 2023, le franc devrait moins bien performer. Mais cela ne signifie pas que la tendance haussière à long terme va prendre fin.

Lequel des trois facteurs pèsera le plus sur le franc?

L’action de la BNS sera l’élément le plus déterminant. L’institut d’émission utilise le franc comme un outil destiné à contrôler l’inflation. Comme la hausse des prix est tombée dernièrement en dessous de 2%, l’objectif de la BNS est proche d’être atteint. Lorsque l’inflation était élevée, l’analyse de la composition de la hausse des prix montrait qu’une bonne partie était due à l’inflation importée. Aujourd’hui, nous avons affaire à une inflation entièrement domestique. La nécessité d’un franc encore plus fort n’a plus de sens, d’autant qu’une telle politique pénalise les exportateurs. Je m’attends donc à une nette baisse des interventions de la BNS sur le marché des changes en 2024. Selon diverses indications, il semblerait qu'elle continue d’intervenir en ce moment et d’acheter du franc suisse. Une explication pourrait être que la BNS voudrait réduire son bilan, donc de vendre ses devises étrangères contre des francs. Mais elle n’a pas exprimé une telle volonté à ce jour, à l’inverse d’autres banques centrales comme la Fed.

L’inflation pourrait rebondir au début de l’année prochain en raison d’effets de base. Est-ce que de tels mouvements auraient un impact sur les taux de change ou sont-ils déjà anticipés?

Je ne pense pas que cela aura beaucoup d’impact sur les taux de changes. Les perspectives globales d’inflation suggèrent que le processus de ralentissement est bien enclenché même s’il sera lent. En Suisse, la hausse des prix pourrait remonter vers 2% l’an prochain, ce qui pourrait affaiblir la volonté de la BNS de réduire les taux directeurs. La dynamique d’inflation suisse pourrait être légèrement différente de celle d’autres pays, aux Etats-Unis ou en Europe.  De ce fait, les différentiel de taux d’intérêt pourrait devenir moins pénalisant pour le franc.

Ceci dit, l’impact de l’inflation sur les monnaies peut être analysé à l’aune des mouvements de l’an dernier quand le niveau d’inflation en Suisse était élevé mais mieux contrôlé qu’ailleurs en Europe et aux Etats-Unis. Ce différentiel d’inflation a érodé la valeur nominale de ces monnaies étrangères et favorisé l’appréciation du franc. C’est nettement moins le cas actuellement.

La BNS est très axée sur l’euro. La perspective d’une récession chez nos voisins, ou aux Etats-Unis, aura-t-elle un impact sur le franc?

Un ralentissement marqué aux Etats-Unis et une récession, probablement en début d’année, devraient permettre à une monnaie refuge comme le franc suisse de bien se comporter. C’est pourquoi je m’attends à une fermeté du franc en début d’année et à une faiblesse plutôt durant la deuxième partie de 2024. L’environnement économique, y compris dans les pays émergents, pourrait progressivement être plus favorable à la prise de risque. Le franc, une monnaie défensive, serait alors moins attractif que d’autres monnaies.

Sur un horizon à 12 mois, nous favorisons l’euro en 2024 au sien des grandes monnaies.
Les craintes de crise de la dette publique dans certains pays de la zone euro vont-elles vraiment peser sur les changes?

Elles devraient effectivement impacter certaines monnaies. Avant 2022, dans un environnement de taux extrêmement bas, il était possible de s’endetter à un faible coût. L’environnement a changé. Les taux resteront élevés si bien que la charge financière de la dette sera plus significative. A court terme, nous avons vu qu’une grande agence de notations a relevé les perspectives de l’Italie, réduisant ce risque.

D’ici 12 à 24 mois, ce thème pourrait à nouveau surgir dans la zone euro ou aux Etats-Unis et favoriser des actifs qui n’ont pas de risque de défaut, comme l’or et le franc suisse. C’est l’une des raisons qui m’amène à penser que la fermeté à long terme du franc suisse est loin d’être terminée.

Au sein des grandes monnaies, le yen semble très fortement sous-évalué. Si la monnaie japonaise devait nettement rebondir, quel en serait l’effet sur le franc suisse?

Si la Banque du Japon relève ses taux, cela pourrait légèrement peser sur le franc parce que les investisseurs attirés par le «carry» pourraient potentiellement choisir d’emprunter en franc suisse. De plus, le yen pourrait alors redevenir une valeur défensive offrant un rendement positif. Mais la monnaie japonaise demeure très sensible au différentiel de taux d’intérêts entre les Etats-Unis et le Japon. Si la Banque du Japon reste très prudente dans son processus de normalisation de sa politique monétaire et si l’on ne s’attend pas à une forte baisse des taux de la Fed, la hausse du yen pourrait rester modérée.

Quelle devrait être la meilleure monnaie parmi les principales en 2024?

Sur un horizon à 12 mois, nous favorisons l’euro en 2024 au sien des grandes monnaies.

A lire aussi...