L’Inde impressionne, la Chine déçoit

Emmanuel Garessus

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La Chine est devenu un pays dangereux. Mieux vaut privilégier l’Inde, affirme Ashish Chugh, de Loomis Sayles.

Loomis Sayles est un gérant d’actifs basé à Boston, la plus grande filiale de Natixis Investment Managers aux États-Unis. Ses actifs sous gestion atteignent 310 milliards de dollars au 30 juin 2023, dont les deux tiers en obligations et un tiers en actions. Il se caractérise par son approche à long terme et une concentration sur des actions dits de qualité, une faible rotation du portefeuille. Son style est donc proche du private equity. Ashish Chugh, gérant de fonds en actions émergentes de Loomis Sayles, présente une surperformance sur trois ans, mais, «en raison de l’absence d’exposition dans l’énergie, une sous-performance en 2023.» Son équipe d’analystes est basée à Boston, Londres, New-York, donc à l’extérieur des marchés émergents «parce que cela permet de mieux gérer une exposition globale», indique-t-il. Ashish Chugh répond aux questions d’Allnews:

Quelles sont les conséquences de la guerre au Proche-Orient sur les marchés émergents?

La hausse des cours du pétrole a été la principale conséquence directe du conflit au Moyen-Orient. Elle pénalise les pays émergents importateurs d’or noir, comme l’Inde, un pays sur lequel nous sommes très haussiers. Mais le niveau du baril est trop bas pour causer des dommages majeurs à ces pays. De plus, l’OPEP peut toujours agir sur l’offre pour influencer les prix.

Le conflit, aussi triste soit-il, produit des effets financiers positifs dans le sens où il conduit à une fuite vers la qualité, en l’occurrence à une hausse des bons du Trésor américain. Il en résulte une baisse des taux d’intérêt aussi bien américaine que globale. Nous avons ainsi assisté à un rallye en actions et en obligations depuis l’éclatement du conflit.

Nous limitons l’exposition aux pays en conflits à un maximum de 10% du portefeuille
Les conflits armés se multiplient, après l’Ukraine et l’Arménie, c’est aujourd’hui le tour d’Israël. Comment gérez-vous ces risques géopolitiques?

Nous limitons l’exposition aux pays en conflits à un maximum de 10% du portefeuille, par exemple à la Russie, la Turquie, le Pakistan. Nous incorporons aussi un risque souverain dans le calcul du coût des fonds propres. En raison du risque politique, je pense ainsi que la Chine est devenu un pays difficile pour les investisseurs.

Pourquoi?

Les raisons sont à la fois fondamentales et économiques que géopolitiques. La Chine est passée d’un système centré sur un seul parti à celui d’un seul homme.

L’ouverture économique des 40 dernières années a sorti des centaines de millions de personnes de la pauvreté. Le parti communiste chinois s’est concentré sur l’accélération de la croissance économique afin de maintenir la stabilité et la sécurité politique. Le système de parti unique incluait des contrôles et un équilibrage du pouvoir qui ont permis à l’économie de progresser au profit de tous. Mais depuis 5 ans, Xi Jinping s’est transformé en «empereur». Il a accumulé tous les pouvoirs et le détient à vie. Le Congrès du parti, en octobre dernier, s’est traduit par la promotion de ses fidèles et non pas des plus compétents. Son but n’est pas la croissance économique mais le contrôle politique.

Les prises de décisions d’un système centré sur un seul homme conduisent à maximiser les intérêts de cette seule personne. Finalement, elles deviennent irrationnelles, comme l’a révélé la politique de 0 covid. La 2e économie au monde a été confinée plus de deux ans et elle a refusé les vaccins occidentaux. La Chine a été forcée d’abandonner cette politique en raison des protestations internes.

J’ajouterai que, à mon avis, le risque d’invasion de Taïwan s’est accru à la suite de cette concentration du pouvoir. Il est d’autant plus élevé que la situation économique domestique est insatisfaisante. La croissance est atone, l’immobilier (40% du PIB) est en grandes difficultés et les banques sont incapables de stimuler l’économie. Comme le risque souverain chinois s’est fortement accru dans nos modèles si bien que le rendement théorique des entreprises chinoises a lourdement chuté.

Pourquoi êtes-vous aussi haussier sur l’Inde, votre principale exposition?

L’Inde se porte extrêmement bien, tant sur le plan structurel que conjoncturel. Depuis l’arrivée de Narendra Modi au pouvoir, les infrastructures numériques et physiques se sont fortement développées. La politique d’inclusion financière fonctionne si bien que chaque personne désirant avoir un compte bancaire peut l’obtenir grâce au UPI (Unified Payments Infrastructure). La conséquence est majeure: de plus en plus d’individus sortent de l’économie informelle et gagnent un accès au crédit. Les recettes fiscales sont en hausse à la suite d’une réforme qui a permis d’harmoniser les taxes entre les Etats.

Le gouvernement Modi soutient la croissance et encourage l’arrivée des investisseurs internationaux. C’est aussi un allié important des Etats-Unis. Narendra Modi est devenu un leader global. Il a présidé au G20, qui fut une grande réussite.

Les problèmes de la Chine ont d’ailleurs conduit de nombreuses entreprises à chercher des alternatives. Apple fabrique des iPhones en Inde. Foxconn investit des centaines de millions de dollars en Inde. AMD, dans les semi-conducteurs, en prend aussi le chemin.

«Elle est devenue une superpuissance économique et d’ici 2 ou 3 ans, ce sera la 3e plus grande économie au monde.»
Pourquoi avez-vous investi dans les financières en Inde, comme Star Health Insurance, ICICI et Bajajaj?

Nous avons une forte exposition aux financières, mais elle résulte d’une approche fondamentale et non pas sectorielle. Nous avons accru nos investissements durant le covid. En mars 2020, les actions ont chuté et les financières indiennes parfois de plus de 50%. Comme nous connaissons très bien ces sociétés, depuis des années, nous avons vu qu’à ce très bas niveau, ces actions offraient une opportunité unique. Elles représentent un fort contributeur à notre performance.

L’Inde ne profite-t-elle pas de ses achats de pétrole russe qui rendent l’économie indienne plus compétitive?

L’Inde est un grand importateur de pétrole puisque l’or noir représente 25% des importations. Elle achète du pétrole russe en raison de son faible prix, qui pourrait ne pas être bien accueillie par les Etats-Unis. Elle défend avant tout ses propres intérêts et ceux de ses habitants. Elle est géopolitiquement neutre. Malgré cela, tout le monde veut s’attirer les faveurs de l’Inde en raison de sa croissance et de ses atouts démographiques. Elle est devenue une superpuissance économique et d’ici 2 ou 3 ans, ce sera la 3e plus grande économie au monde.

L’Inde est la star des analystes. N’existe-t-il pas une bulle sur l’Inde?

Non, je ne le pense pas. Les statistiques parlent d’elles-mêmes, en matière de croissance, de productivité et d’augmentation des bénéfices. Les fondamentaux sont impressionnants, à la différence de la Chine.

La comparaison entre la Chine et l’Inde a démarré il y a 20 ans. A cette époque, la Chine était en position de force face à l’Inde. Manmohan Singh a estimé que cette situation n’était que temporaire et qu’elle serait différente deux décennies plus tard. Avec raison, il a fait confiance au régime démocratique plutôt qu’à une concentration du pouvoir sur une seule personne. Cela lui profite aujourd’hui. L’Inde dispose d’une séparation des pouvoirs que ne connaît pas la Chine.

Vous avez aussi investi dans Titan Company, un groupe de luxe indien. Pourquoi est-ce préférable à Richemont, LVMH ou Swatch?

Titan est une société indienne créée en 1984. Elle appartient au groupe Tata. Tous deux nous plaisent par leur excellente gouvernance d’entreprise. La marque Titan est très connue pour ses bijoux en or et la qualité de ses produits. Titan présente une forte croissance parce qu’elle s’adresse à la classe moyenne et non pas au segment de prix de Hermès ou Rolex. Les LVMH ou Richemont ne sont d’ailleurs guère présents dans les bijoux en or. Titan est aussi un horloger, mais il ne concurrence pas les grands groupes suisses.

Quel est le dernier titre que vous avez accumulez en portefeuille?

Il s’agit de Jupiter Hospital, un groupe d’hôpitaux indien de la région de Maharashtra. Nous l’avons visitée cet été. La qualité de ses services aux patients est excellente et elle est capable d’attirer les meilleurs médecins. Le rendement du capital investi (ROIC) de ce groupe est très élevé. L’esprit entrepreneurial du management nous plaît particulièrement.

La société, qui vient d’entrer en bourse, nous permet aussi de détenir un titre dans la santé, un secteur dans lequel nous n’avions aucune position jusqu’ici.

Vous avez une position en Argentine. Que pensez-vous des actions argentines à la veille des élections?

Nous détenons des titres de MercadoLibre, dans le commerce électronique, et Despegar, un voyagiste en ligne dont l’essentiel des affaires proviennent du Brésil.

L’inflation dépasse 100% en Argentine et le peso a chuté. Le marché boursier s’est toutefois très bien comporté parce que les habitants y ont placé leur épargne plutôt que de le garder en cash en peso. La situation est très incertaine. Lors des prochaines élections, un candidat dont les positions sont extrêmes est très apprécié par les électeurs. Son programme conduit à une dollarisation du pays et à la suppression de la banque centrale. C’est probablement ce dont le pays a besoin pour sortir de ses crises structurelles. Son élection pourrait très bien s’avérer bénéfique pour le pays. S’il gagne, nous resterons attentifs à la mise en oeuvre de ses promesses.

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