Garder le cap en se concentrant sur des thèmes bien définis

Yves Hulmann

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Pour Matthieu Rolin, gérant chez Thematics Asset Management, l’investissement thématique permet d’être moins dépendant des cycles économiques à court terme.

L’intelligence artificielle et la robotique, la sécurité, l’économie de l’abonnement, l’eau et le bien-être sont quelques-uns des thèmes d’investissement définis par Thematics Asset Management, complétés aussi par une stratégie de sélection de différentes valeurs européennes. Au-delà de ces thèmes spécifiques, quels sont les atouts et les défis spécifiques liés à l’investissement thématiques? Le point avec Matthieu Rolin, gérant de portefeuille chez Thematics Asset Management, une société qui appartient à Natixis.

Quelles sont vos impressions concernant le rebond des marchés au cours du premier semestre 2023, qui contraste passablement avec le discours de crise qui prévalait encore au début de cette année au sujet de l'inflation ou suite aux tensions dans le secteur bancaire en mars dernier?

Il faut rappeler tout d’abord qu’on est sorti d’une année 2022 très compliquée, marquée à la fois par l’éclatement de la guerre en Ukraine puis par une accélération rapide de l’inflation. Partant de cette situation, le rebond des marchés survenu en 2023 s’explique par plusieurs facteurs: il y avait eu des excès à la baisse, les valorisations de certains secteurs étaient dès lors redevenues plus attrayantes, tandis que beaucoup d’entreprises n’étaient pas encore trop impactées par les politiques monétaires plus restrictives des banques centrales.

En quoi le fait d’adopter une approche d'investissement thématique peut-elle aider à «naviguer» dans contexte marqué par de fréquents changements de cap des marchés?

Un des atouts de l’investissement thématique est justement qu’il permet de ne pas être trop affecté par l’émotion des marchés du moment. Nous mettons l’accent sur la croissance séculaire qui est observée dans certains domaines. Parmi ces facteurs déterminants, il y a la démographie, la globalisation – avec ses phases d’arrêt ou d’accélération –, l’innovation et la rareté des ressources. Si l’on prend l’exemple du premier facteur mentionné, on observe par exemple que la classe moyenne des pays émergents croît rapidement, ce qui se traduit aussi par de nouvelles habitudes dans le domaine alimentaire. Davantage d’aliments à base de protéines implique une plus grande consommation d’eau, ce qui fait que la gestion de l’eau deviendra un facteur essentiel. Et c’est l’un des thèmes que nous abordons avec l’un de nos fonds.  

«Nous mettons l’accent sur la croissance séculaire qui est observée dans certains domaines. Parmi ces facteurs déterminants, il y a la démographie, la globalisation, l’innovation et la rareté des ressources.»

Par ailleurs, on ne peut pas parler d’innovation sans évoquer l’accélération des développements dans l’intelligence artificielle (IA) qui entraîne à la fois des besoins nouveaux mais qui créée aussi des opportunités d’investissement. Donc, en concentrant son attention sur des thèmes spécifiques, cela permet d’être moins dépendant des cycles économiques à court terme et d’orienter ses investissements dans des domaines qui disposent de leur propre dynamique de croissance, indépendamment des variations à court terme de la conjoncture.

Les thèmes principaux qui sont suivis par Thematics AM, comme l’intelligence artificielle ou la robotique, sont des domaines qui connaissent certes un développement rapide mais qui s’exposent aussi à des revers en cas de déception des marchés. Comment est-il possible de minimiser les risques encourus lorsque l’on mise sur des thèmes aussi spécifiques?

Certaines personnes associent investissement thématique uniquement à des domaines de forte croissance. Ce n’est pas nécessairement le cas. D’un côté, il y a effectivement des investissements thématiques avant tout orientés croissance, comme l’IA ou la robotique. De l’autre, il y a aussi des thèmes qui présentent des caractéristiques beaucoup plus défensives, à l’exemple de la gestion de l’eau ou l’économie des abonnements. Avec ce dernier thème, l’accent est placé sur des entreprises qui ont un modèle d’affaires qui leur permet d’avoir plus de visibilité au niveau de leur revenus. De leur côté, les consommateurs peuvent avoir accès à des produits et services à moindres coûts. Aujourd’hui, une personne ou une petite PME n’a plus besoin de dépenser près de 1000 euros pour avoir accès à la suite MS Word dans sa version complète – il suffit de payer un abonnement de quelques dizaines de francs par mois ce qui permet aussi aux utilisateurs de lisser leurs dépenses sur la durée. Pour leur part, les prestataires disposent aussi d’une plus grande prévisibilité même en période de crise ou d’accélération de l’inflation: l’abonnement, c’est ce que les gens coupent en dernier. On préfère annuler une sortie au cinéma plutôt que de résilier son abonnement à Netflix.

Concernant l’intelligence artificielle, l'évolution très rapide dans ce domaine est considérée à la fois comme une menace dans certains secteurs, qui voient leurs modèles d’affaires être concurrencés ou devenir obsolètes, mais également comme un potentiel à exploiter pour d'autres branches. Comment faire le tri?

On établit souvent un parallèle entre l’IA et d’autres révolutions technologiques qui l’ont précédé comme le moteur à vapeur, l’électricité ou l’arrivée d’Internet. Certains métiers vont disparaître tandis que d’autres apparaîtront. En tant qu’investisseur, il est important de pouvoir s’appuyer sur des personnes qui disposent de compétences extrêmement spécialisées pour identifier certains développements en lien avec l’IA ou le thème de la sécurité par exemple et réfléchir aux sociétés qui proposeront l’innovation de demain. Il s’agit toujours de se situer très en amont du cycle d’innovation et de développement des produits.

Ce qui implique aussi une importante prise de risque?

Parfois, le moteur de la demande d’un produit ou d’un service ne vient pas nécessairement d’une évolution technologique proprement dite mais il peut aussi résulter de changements sur le plan de la réglementation. Nous avons, par exemple, investi dans une société spécialisée dans les services de sécurité et l’inspection des installations anti-incendie. Dans ce cas, la demande accrue pour ses prestations résulte des exigences réglementaires accrues destinées à prévenir les incendies. Même si une entreprise voit son chiffre d’affaires ralentir un peu en raison de la conjoncture, elle aura quand même besoin de faire appel à cette société pour faire inspecter ses détecteurs d’incendie. Elle présente donc un caractère plutôt défensif.

Y a-t-il parfois des secteurs ou thèmes qui vous paraissent prometteurs mais dont vous préférez vous tenir à l’écart car leurs valorisations vous paraissent excessives?

C’est déjà arrivé dans certains cas. Il y a quelques années, il y avait, par exemple, un fort engouement pour les plateformes qui proposaient des solutions de paiement dites BNPL («Buy now, pay later»). On a préféré rester à l’écart des entreprises actives dans ce domaine car elles ne correspondaient pas aux critères requis par nos modèles d’évaluation. Je pense que les investisseurs font confiance à la robustesse de nos processus d’investissement et qu’ils comprennent quand nous renonçons à investir dans certaines sociétés, même lorsque celles-ci sont actives dans un domaine qui apparaît prometteur.

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