Eau: s’adapter aux contraintes d’une ressource limitée

Yves Hulmann

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Selon Arnaud Bisschop de Thematics AM, le marché des technologies et services liés à l’eau pèse quelque 700 milliards de dollars de revenus annuels.

L’accès à l’eau est une thématique qui gagne constamment en importance, aussi bien dans les pays industrialisés que émergents. Thematics Asset Management, une filiale de Natixis Investment Managers, gère quelque 3,2 milliards d’euros d’actifs, dont 260 millions sont affectés à un fonds qui investit dans des sociétés qui fournissent des technologies ou des services  liés à l’eau. Entretien avec Arnaud Bisschop (A.B.) et Simon Gottelier (S.G.), gérants de portefeuille senior du fonds consacré à l’eau chez Thematics Asset Management.

La gestion de l’eau est une thématique très vaste qui touche à des aspects à la fois environnementaux, économiques ou sociétaux. En tant que gérants de fonds, comment définissez-vous l’univers d’investissement des entreprises qui ont un lien avec l’eau?

A.B.: Nous ne limitons pas notre choix de titres à quelques secteurs donnés mais sélectionnons des entreprises qui accordent de l’importance à cette thématique, sous une forme ou une autre. Ainsi, il peut arriver que nous incluions dans notre fonds des grands groupes largement diversifiés, dont seule une petite part du chiffre d’affaires se rapporte à la gestion de l’eau, mais qui investissent réellement dans des activités ou techniques liées cette thématique. 

«Une entreprise doit avoir une exposition ‘matérielle’ à des activités liées à l’eau,
ou faire preuve de ‘leadership’ dans des activités en lien avec ce domaine.»

Plutôt que de fixer un seuil minimal de chiffre d’affaires réalisé grâce à des activités qui ont un lien avec l’eau, nous avons préféré retenir deux critères. L’entreprise doit avoir une exposition «matérielle» à des activités liées à l’eau. Si ce n’est pas le cas, l’entreprise doit faire preuve de «leadership» dans des activités ou technologies en lien avec ce domaine. Enfin, notre processus de sélection prévoit aussi certains critères d’exclusion. Une entreprise active dans des secteurs très polluants et qui développerait un segment d’activité en rapport avec la gestion de l’eau ne sera pas nécessairement intégrée dans le fonds.

Dans les activités liées à l’énergie, c’est parfois le cas. Comment faire le tri?

A.B.: Effectivement, cela peut arriver. Par exemple, si nous prenons le cas de l’entreprise chinoise Guangdong Investment, celle-ci développe, d’un côté, des activités intéressantes dans le domaine de l’approvisionnement en eau. De l’autre, elle utilise aussi du charbon pour produire de l’électricité. Nous avons néanmoins décidé de ne pas l’exclure de notre univers d’investissement pour le moment, mais avons entamé une phase de dialogue, ou d’« engagement » comme on le dit en anglais, avec cette entreprise.

La même question se pose également pour Veolia. D’un côté, le groupe français propose des services de gestion du cycle de l’eau et a développé des techniques intéressantes dans ce domaine. De l’autre, il opère aussi des systèmes de chauffage collectif qui fonctionnent, en partie, encore avec des centrales au charbon en Europe Centrale, mais que le management s’est engagé à remplacer progressivement par des centrales de cogénération à la biomasse. Nous n’avons de ce fait pas exclu Veolia de notre univers d’investissement.

«Ce marché se caractérise par une offre limitée – la quantité d’eau potable
ne peut pas être augmentée – tandis que la demande va, elle, continuer à croître.» 
Vous soulignez les importantes opportunités d’investissement en lien avec l’eau. Peut-on les chiffrer et quelles sont les principales tendances à attendre dans ce domaine?

S.G.: Dans l’ensemble, le marché des technologies et services liés à l’eau est estimé à quelque 700 milliards de dollars en termes de revenus annuels. Son taux de croissance annuel est élevé, de l’ordre de 6 à 8% par année. Cette croissance est supportée par une particularité de ce marché, qui se caractérise par une offre limitée – la quantité d’eau potable ne peut pas être augmentée – tandis que la demande va, elle, continuer à croître, notamment sous l’effet de la pression démographique dans les pays émergents.

Dans les pays développés aussi, il y aura d’importants investissements à réaliser pour mettre à jour des infrastructures devenues trop vétustes. Et il y a en sus tous les aspects liés au changement climatique qui obligeront à revoir les infrastructures d’approvisionnement en eau et les modes de consommation dans de nombreux pays dans les années à venir. S’y ajoute aussi une réglementation qui devient de plus en plus stricte pour ce qui concerne l’eau. Enfin, beaucoup de grandes entreprises elles-mêmes sont totalement dépendantes de l’accès à l’eau. Coca-Cola ne pourrait rien produire sans une eau de qualité, par exemple. Tous ces facteurs supportent donc le marché des technologies et services liés à l’eau, et favorisent l’émergence d’innovations, notamment en matière de collectes de données et de leur analyse («data and analytics»). Enfin, c’est aussi un domaine où l’on peut s’attendre à une activité de fusion et acquisitions (M&A) intense au cours des prochaines années.

Si l’on revient au montant de 700 milliards de dollars évoqué, comment se répartit-il par secteurs?

S.G.: On peut le répartir schématiquement en trois principaux domaines. Premièrement, il y a le segment appelé «Efficience de la demande» qui comprend des entreprises qui vendent des technologies et des services pour optimiser l’utilisation de la ressource par les différents acteurs : les consommateurs particuliers, les industriels et les agriculteurs. Les revenus de ce segment sont estimés à plus de 250 milliards de dollars avec un taux de croissance estimé entre 6 et 15% par an d’ici à 2023. Geberit, une société bien connue en Suisse, s’inscrit dans ce segment. En proposant, par exemple, des systèmes de WC douche (bidet), l’entreprise permet de réduire la consommation de papier de toilette. L’obstruction des canalisations d’évacuation des eaux usées par des amas de graisses et de déchets est un enjeu pour les sociétés qui exploitent ces réseaux, comme l’illustre l’exemple récemment observé au Royaume-Uni avec un «fatberg» de plus d’un kilomètre de long découvert en avril dans le sud-est de l’Angleterre.

«Je ne serais pas étonné que Geberit fournisse, dans quelques années, des toilettes
équipées de sondes capables de réaliser certaines analyses médicales.»

Deuxièmement, il y a le segment appelé «Contrôle de la pollution» dont les revenus annuels sont estimés à plus de 200 milliards de dollars, avec un taux de croissance annuel estimé entre 6 et 9%. Ce segment inclut notamment les sociétés qui fournissent des technologies et services pour la mesure de la qualité de l’eau, et celles qui se focalisent sur la gestion des déchets.

Troisièmement, il y a aussi le segment «Infrastructures liées à l’eau», dont les revenus annuels sont estimés à plus de 250 milliards de dollars avec des taux de croissance annuels situés entre 3 et 8%.

Vous avez aussi évoqué l’importance croissante de la collecte et de l’analyse de données également dans le domaine de l’eau. De quelle façon?

A.B.: Aujourd’hui déjà, plusieurs villes ont mis en place des systèmes d’analyse des eaux usées qui permettent de suivre l’évolution de la concentration en du nombre de cas de personnes infectées par le COVID-19. On peut s’attendre à ce que les infrastructures liées à l’eau intègrent toujours davantage des capteurs et autres systèmes d’analyse à l’avenir. Si l’on reprend l’exemple de la société Geberit, je ne serais pas étonné que ce groupe fournisse, dans quelques années, des toilettes équipées de sondes capables de réaliser certaines analyses médicales.

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