Bern, we have a problem!

Martin Neff, Raiffeisen

3 minutes de lecture

Alors que le marché des biens immobiliers de luxe s’emballe et que les prix s’envolent, le marché des logements bon marché semble déserté.

Mon plus jeune fils ne veut pas étudier et a opté pour l’apprentissage. Sa principale motivation: «gagner de l’argent!» Le simple fait de percevoir un salaire était plus important à ses yeux que toutes les incantations lui rappelant qu’il pourrait aussi le faire beaucoup plus tard et qu’il gagnerait alors davantage. Comme son frère aîné qui étudie à Zurich. Comme chacun sait, la jeunesse a de nombreuses facettes et au final, ils doivent eux-mêmes savoir où les mènera leur parcours.

Le marché immobilier suisse compte en revanche moins de facettes. Mon fils aimerait bien sûr aussi emménager bientôt dans son propre appartement, de préférence une colocation avec un copain. Mais la confrontation à la réalité montre qu’il s’agit d’une entreprise rudement compliquée. Son emploi est pourtant loin de se trouver dans un point chaud du marché. Mais avec un budget limité, la situation se complique très vite, même en province, ce qu’il commence entre-temps à comprendre douloureusement. Le loyer pour les deux ne devrait pas excéder 1500 francs. Celui qui connaît le marché sait que c’est une entreprise difficile. Ou alors il faut faire des compromis quant à la qualité du logement. Mais tant que le fait d’avoir son propre logement reste l’entreprise prioritaire et non le niveau d’aménagement ou le maximum d’espace, les garçons devraient finir par trouver leur bonheur.

Cela sera plus difficile pour son frère. Celui-ci occupe un logement étudiant extrêmement avantageux à Zurich. Son amie vit en colocation et ils veulent désormais emménager ensemble. On fait fausse route quand on pense qu’il est plus simple de passer de deux à un et que la fondation d’un ménage commun est au final plus avantageuse. Tous deux devront au minimum débourser le double et il n’est pas certain que cela suffise. A Zurich, la situation se complique encore par la difficulté à trouver un logement. Sans «relations», rien n’est possible dans cette ville. Celui qui cherche sur le marché libre est perdu d’emblée.

A Baar où je vis, seuls huit logements sont actuellement proposés à la location. Aucun ne serait envisageable pour moi. Ils sont tous trop chers ou trop petits, à l’exception de cette jolie petite maison individuelle pour 8400 francs par mois. Je dois dire qu’il s’agit là d’une coquette somme. De façon générale, on écume sec ici quand il s’agit d’espace habitable, Baar étant en effet la commune la plus favorable de Suisse sur le plan fiscal. Il faut alors faire des concessions par ailleurs. Mais soyons francs: combien de personnes ont encore les moyens de payer de telles sommes? Pratiquement plus aucune! Celui qui a besoin de trouver un nouveau logement pour des raisons personnelles ou professionnelles perçoit la dureté du marché comme aucun autre. Globalement, nous sommes bien sûr très satisfaits de notre situation individuelle en matière de logement, ce que les milieux politiques se plaisent à rappeler dans le débat sur la pénurie de logements, mais cela ne vaut «que» pour les conditions de logement existantes. Mais gare à vous si des changements se dessinent: le divorce, le mariage, un enfant à naître, un changement d’emploi ou seulement une volonté de downsizing révèlent radicalement les limites du marché suisse. Alors que le marché des biens immobiliers de luxe s’emballe et que les prix s’envolent, le marché des logements bon marché semble déserté.

Nous souffrons d’une pénurie de logements en Suisse, ce que nous critiquons depuis longtemps, mais Berne somnole. Un solde migratoire de 65'000 personnes auquel s’ajoutent à peu près autant de «réfugiés» ukrainiens – j’utilise des guillemets, car certains d’entre eux sont justement en train de visiter la petite maison individuelle à Baar – et un pipeline de demandes de permis de construire prévoyant la construction d’au plus quelque 45'000 logements, n’offrent pas de bonnes perspectives à la création future de logements en Suisse. S’ajoutent à cela des sociétés qui cherchent désespérément de la main-d’œuvre qui viendra sans doute de l’étranger et qui pèsera donc aussi sur le marché du logement à l’avenir. Nous-mêmes, nous aimerions aussi toujours plus de pièces, davantage de surface et de préférence la possibilité de vivre seuls ou tout au plus avec un partenaire, mais surtout sans enfants, et c’est ainsi qu’une demande foisonnante rencontre une offre totalement exsangue. La conclusion est évidente. Les loyers proposés vont continuer à progresser, le taux d’intérêt de référence va bientôt augmenter et cela fera également grimper les loyers existants. Le pays des superlatifs, la patrie de tant de gens riches et beaux, le pays qui possède l’une des meilleures compétitivités au monde et un emplacement de qualité exceptionnelle a un problème pour offrir des logements appropriés aux personnes à revenu moyen. La politique se contente plus ou moins de regarder comment ces gens normaux se marginalisent, sont évincés des centres-villes vers l’agglomération ou la périphérie pour ensuite se retrouver coincés dans les bouchons ou dans des transports publics saturés afin de rejoindre leur lieu de travail lointain. La propriété serait-elle une alternative? Fausse alerte! Non seulement, le législateur a fait en sorte que les obstacles soient pratiquement insurmontables pour les gens normaux, mais il pénalise en outre les nouveaux acquéreurs au plan fiscal en leurs imposant une valeur locative arbitraire. Cette mesure n’avait-elle pas autrefois une finalité différente? Ce qui était initialement conçu comme une incitation fiscale pour les propriétaires s’est transformé pour eux en pénalité à une époque où les taux d’intérêt sont bas et pire encore: la Confédération et les cantons semblent apprécier cette manne fiscale inespérée dont ils profitent grâce à la BNS.

Quand commencerons-nous enfin en Suisse à discuter des limites de la croissance? Et si nous ne le voulons pas, nous devons réfléchir sérieusement à la manière dont nous allons faire sortir de terre comme par magie, avec une célérité tout sauf helvétique, quelque 50'000 logements pour que cessent enfin les pleurnicheries autour de la pénurie de main-d’œuvre. Ne faire ni l’un ni l’autre comme précédemment n’est plus possible. Je vois déjà les jeunes redescendre dans la rue comme autrefois pour scander non à la pénurie de logements. La pénurie de logements ne sera pas aussi facile à régler que la pénurie énergétique. Elle deviendra même la thématique n°1 de la politique sociétale dans un proche avenir. Il est temps de s’en préoccuper.

A lire aussi...