La BCE continue de jouer la montre

Jan Viebig, ODDO BHF

2 minutes de lecture

La BCE, dont la mission est de garantir la stabilité des prix, doit passer à l’acte.

Les dés sont jetés. La Banque centrale européenne se dirige vers la première hausse des taux d'intérêt depuis 11 ans. Dans un article publié sur le blog de la BCE le 23 mai, Christine Lagarde, présidente de la BCE, a expliqué le programme de la politique monétaire. Les achats d'obligations dans le cadre du programme général d'achat (PGA) devraient donc être interrompus début juillet, de sorte qu'une première hausse des taux d'intérêt de 0,25 point de base pourrait être décidée lors de la réunion du conseil des gouverneurs en juillet. Une deuxième augmentation, selon Lagarde, pourrait alors être effectuée en septembre et porter le taux de dépôt à zéro.

Il faut passer à l’acte

Une normalisation progressive de la politique monétaire, pour un rapprochement du «taux neutre», serait appropriée, à condition qu'une stabilisation de l'inflation à 2% soit visible à moyen terme. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, évoque toutefois les risques pour la croissance, qui influencent le rythme et l'ampleur des ajustements.

En avril déjà, il était évident que le taux d'inflation allait «crever le plafond» face à l’inflation des prix de l'énergie. Malgré cela, la BCE s'en est tenu au plan déjà en place, mais non contraignant d'un point de vue économique, de ne procéder à des augmentations de taux qu'après la fin des achats d'obligations. Ainsi, la première hausse des taux d'intérêt a été retardée jusqu'à la deuxième quinzaine de juillet. A cela s'ajoute le fait que la BCE renonce pour l'instant à réduire son portefeuille d'obligations. En outre, elle semble vouloir se limiter à de «petites» augmentations de taux de 0,25 point de base. Par rapport au taux d'inflation de 8,1% (mai 2022), cela ne semble pas très ambitieux.

L'une des raisons de cette retenue est sans doute la crainte que des hausses rapides des taux d'intérêt ne contribuent à une augmentation disproportionnée des rendements obligataires dans les pays «périphériques» de la zone euro. La BCE parle ici du risque de «fragmentation» du marché des capitaux, qui pourrait nuire à l’application de la politique monétaire. Certains membres du conseil des gouverneurs de la BCE demandent explicitement que celle-ci dispose d'un outil efficace lui permettant, le cas échéant, d'empêcher une divergence des rendements obligataires.

Malgré tous ces égards, la BCE devrait veiller à ne pas perdre le fil de sa politique monétaire. Si l'on prend le niveau des taux d'intérêt réels à court terme comme indicateur de l'impulsion de la politique monétaire, celle-ci est de loin la plus expansionniste de la décennie écoulée.

Bien que la BCE ait revu à la hausse ses prévisions d'inflation l'année dernière, elle ne procède qu'à des ajustements modérés de sa politique monétaire. Il est probable que la hausse des prix à la consommation dans la zone euro puisse atteindre ou même dépasser 7% en moyenne annuelle en 2022. Le taux d'inflation ne devrait fléchir quelque peu qu'à l'automne 2022 et montrer un ralentissement plus net à partir du printemps 2023.

Prendre le risque de la récession

Le maintien d'une dynamique générale des prix élevée dépend essentiellement de l'évolution future des salaires. Il est frappant de constater que le marché de l'emploi de la zone euro se porte plutôt bien malgré les risques accrus pour la croissance. Le taux de chômage de l'UEM se situe à 6,8% (avril 2022), son niveau le plus bas depuis le début de l'union monétaire, et le nombre de chômeurs continue de baisser légèrement. Cela renforce le pouvoir de négociation des travailleurs et facilite la compensation de l'augmentation du coût de la vie par des accords salariaux plus élevés. L'indicateur de l'évolution des salaires montre en tout cas déjà une tendance à la hausse des accords salariaux pour le premier trimestre 2022 (+2,8% en glissement annuel, après 1,6%). L'Allemagne, où d'importantes négociations salariales sont prévues, devrait donner le ton.

Le danger que l'inflation devienne un phénomène autonome s'accroît. La BCE, dont la mission est de garantir la stabilité des prix, doit passer à l’acte. Toutefois, le resserrement de la politique monétaire a un prix. Il continue de freiner la croissance, déjà mise à mal par les pertes de pouvoir d'achat due au choc énergétique, à une incertitude accrue et une demande extérieure plus faible. Le risque de récession est indéniable, d'autant plus que le rythme de base de la croissance dans la zone euro est plutôt faible.

Cependant, au premier trimestre 2022, la zone euro a enregistré une petite hausse du produit intérieur brut réel de 0,3%, et le deuxième trimestre pourrait être similaire. C'est en tout cas ce que suggèrent les résultats des enquêtes, par exemple les indices des directeurs d'achat ou, pour l'Allemagne, le climat des affaires de l'Ifo. Certes, le secteur industriel évolue plutôt faiblement, mais le carnet de commandes dans l'industrie reste positif et le secteur des services, qui profite de l'assouplissement progressif des restrictions Corona, compense certaines faiblesses.

A lire aussi...