L’histoire ne se répète pas toujours...

Alan Mudie, Woodman Asset Management

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Malgré la reprise boursière, il est imprudent de négliger l’impact de la guerre en Ukraine sur l’économie.

Les marchés peuvent se remettre rapidement des chocs géopolitiques. En 2021, l’indice Stoxx 600 avait perdu 15,4% de sa valeur dans les dix jours suivant les attentats du 11 septembre, valeur qu’il avait ensuite retrouvé un mois après. Cette fois-ci, il n’aura fallu que 17 jours de bourse pour que l’indice retrouve son niveau d’avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mais est-il pour autant sage, en tant qu’investisseur, d’ignorer ainsi l’impact de cette guerre?

Le contexte macro favorise les marchés actions

Pour l’heure, le contexte macroéconomique est favorable aux marchés actions. L’indice de surprises économiques de Citi continue d’afficher des résultats dépassant les prévisions. La confiance des entreprises reste solide avec un indice des directeurs d’achat resté fermement en territoire d’expansion en Europe et aux Etats-Unis au mois de mars. Les marchés du travail, eux, sont tendus. Ainsi, aux Etats-Unis, le taux de chômage a atteint 3,6% au mois de mars, soit 0,1 point de pourcentage seulement au-dessus des niveaux d’avant pandémie. Quant à la zone euro, le taux de 6,8% du mois de février a été le plus bas depuis le lancement de la monnaie unique.

De nombreuses chaînes d’approvisionnement restent perturbées, accentuant encore les pressions inflationnistes.

Il est néanmoins imprudent de sous-estimer l’impact de la guerre sur l’économie, en particulier en Europe étant donné sa proximité et sa dépendance à l’égard du pétrole et du gaz russes. Les sanctions imposées à Moscou et la pression de l’opinion publique pour réduire les importations en provenance de Russie risquent fortement de restreindre l’offre énergétique et de faire grimper encore les prix. En outre, de nombreuses chaînes d’approvisionnement restent perturbées, accentuant encore les pressions inflationnistes. Certaines entreprises, par exemple, tentent de réacheminer une partie des 1,5 million de conteneurs transportés chaque année par fret ferroviaire depuis la Chine vers l’Europe, via la Russie. Environ la moitié du néon utilisé pour les lasers servant à fabriquer les puces à semi-conducteurs est, quant à lui, produit par deux entreprises ukrainiennes.

Ces facteurs nourrissent une inflation qui continue de surprendre à la hausse aux Etats-Unis et surtout en Europe. Selon les derniers chiffres, cette dernière a atteint 7,9% en glissement annuel aux Etats-Unis contre 7,5% dans la zone euro. Une situation qui pèse lourd sur les ménages à faible revenu dont une partie importante du revenu disponible est destinée aux dépenses en produits de première nécessité. En conséquence, les travailleurs continuent d’exiger des salaires plus élevés. Aux Etats-Unis, le salaire horaire moyen a augmenté de 5,6% en glissement annuel au mois de mars, soit bien plus que la moyenne de 2,4% enregistrée avant la pandémie. Les salaires restent cependant à la traîne de l’inflation, ce qui tire la confiance des consommateurs vers le bas. L’enquête de l’Université du Michigan pour le mois de mars a indiqué une chute plus importante que prévu de cette confiance, qui enregistre son niveau le plus bas depuis 2011.

Un environnement nouveau

Le contexte actuel est radicalement différent de celui des années qui ont suivi la crise des subprimes et la Grande Récession. L’inflation globale y était alors faible, avec une moyenne de 1,6% aux Etats-Unis entre 2009 et 2019 et de 1,3% dans la zone euro. Cela avait permis aux banques centrales de maintenir des taux d’intérêt extrêmement bas, voire négatifs, et d’utiliser leur pouvoir d’achat pour procéder à de vastes achats d’actifs. L’effet combiné a extrêmement favorable aux propriétaires d’actifs financiers (Wall Street), mais moins aux ménages moyens (Main Street). Ceux qui ne détenaient pas de gros portefeuilles d’investissement se sont ainsi sentis de plus en plus laissés pour compte alors que les «riches» continuaient à s’enrichir.

Il est devenu impossible pour les gouvernements et les banques centrales d’ignorer les appels à maîtriser les prix.

La réponse politique à la pandémie a été radicalement différente. Les mesures de relance budgétaire ont en effet rejoint la politique monétaire afin d’atténuer la pression sur les ménages. Aux Etats-Unis, les administrations Trump et Biden ont adopté la stratégie de la «monnaie hélicoptère», en délivrant plusieurs chèques de relance directement aux consommateurs et stimulant ainsi la masse monétaire et l’épargne des ménages. En Europe aussi, les gouvernements ont œuvré à alléger les difficultés des ménages en instaurant des programmes de protection des salaires et de l’emploi, tels que le chômage partiel. Plus récemment, ces derniers se sont concentrés sur le contrôle des prix ou sur la compensation de la hausse des prix de l’énergie. En France, par exemple, les taxes sur le carburant ont été réduites de 18 centimes par litre le 1er avril.

La politique budgétaire expansive a maintenu la demande à un niveau élevé pendant la pandémie. Les confinements ont empêché une grande consommation de services, de sorte que les consommateurs riches en liquidités ont augmenté leurs dépenses en biens, ce qui a porté les ventes au détail aux Etats-Unis bien au-delà de la tendance. Et, compte tenu de la prévalence des perturbations et des goulets d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement, ces dépenses n’ont fait qu’exacerber les pressions inflationnistes.

Aujourd’hui, avec l’inflation qui frappe durement, il est devenu impossible pour les gouvernements et les banques centrales d’ignorer les appels à maîtriser les prix. Mais la politique monétaire n’a aucun impact sur l’approvisionnement énergétique ou en denrées alimentaires, ni même sur les goulets d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement. Cette dernière a, en effet, plutôt tendance à peser sur la demande pour maîtriser l’inflation.

Tout ceci résulte en un environnement macroéconomique difficile pour les marchés. Tant que l’inflation ne montrera pas des signes d’apaisement, les banques centrales n’auront guère d’autre choix que de continuer à relever les taux. Et si les dépenses budgétaires continuent de soutenir la demande, il n’est pas certain que ces hausses parviennent à faire baisser les prix, du moins dans un premier temps. Cela suggère que les attentes inflationnistes pourraient s’enraciner et que nous pourrions être confrontés, au moment du ralentissement, à un épisode de stagflation. Dans l’ensemble, une allocation neutre aux marchés d’actions semble, pour le moment, appropriée.

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