Investir dans la nouvelle route de la soie - Première partie

Salima Barragan

3 minutes de lecture

Un projet chinois estimé à près de 800 milliards de dollars. Eclairage sur le cadre géographique.

©Keystone

L’initiative dite de la Route de la Soie (Belt and Road Initiative - BRI), lancée en 2013 sous l’impulsion du président Xi-Jinping, est un projet d’infrastructures d’une ampleur sans précédent. Le plan Marshall n'en pesait que le quart. Ce projet ambitionne de connecter physiquement à la Chine, l’Asie du Sud-Est, l’Asie Centrale, l’Europe mais aussi l’Afrique, par voies routières, ferroviaires et maritimes.

L’ancienne route de la soie assura pendant des siècles, d’est en ouest, le commerce d'une soie chinoise et d'épices dont raffolaient les Européens. Elle acheminait, d’ouest en est, esclaves et armes de guerre.

L’initiative, inspirée de l’ancien tracé, s’articule autour d’un nouvel axe commercial principal doté de plusieurs confluents  et prévoit la création de nombreux couloirs économiques. Le parcours, entre mer et terre, dessine une ceinture inter-régionale exprimant une vision chinoise de l’intégration économique. A l’heure des montées protectionnistes américaines, cette initiative qui se veut celle d’un commerce équitable, rencontre des échos favorables de la part des peuples appelés à y participer.

Ce premier épisode se consacre à son cadre géographique. Dans un second, nous nous intéresserons aux pays y participant et aux rouages complexes de son financement. Enfin, les opportunités économiques et les possibilités d’investissements seront identifiées lors d’un troisième et dernier épisode.

Des ponts entre les pays

Selon un rapport de la CNUCED (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), la ceinture économique imaginée par la Chine, représente un gigantesque marché de 68 pays, pour une population totale d'environ 4,5 milliards d'habitants (62% de la population mondiale), et un PIB total d'environ 23’000 milliards de dollars US, soit le tiers du PIB mondial. Pour cette organisation, une demande de coopération régionale entre les pays en développement a émergé afin de favoriser un ajustement de l’économie mondiale et du système de chaîne d'approvisionnement. Voies routières, réseaux ferroviaires et installations portuaires commencent déjà à sortir de terre dans les pays en recherche de financement, en Asie, en Afrique et en Europe de l’Est.

Un train à grande vitesse reliera
Pékin à Londres en moins de 48 heures.

Ce réseau d’infrastructures dédié au transport de marchandises - et de personnes - se décompose en trois dimensions. Un axe routier principal part de l’ouest de la Chine et traverse l’Asie centrale (le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan), Téhéran puis Istanbul pour déboucher en Europe. Deux autres itinéraires sont également envisagés: un premier passant par le Kazakhstan et la Russie et un deuxième traversant le Kazakhstan via le port de Kuryk, sur la mer Caspienne. L’initiative progresse aussi sur la création de six couloirs dynamiques visant à stimuler la croissance économique régionale. Le plus important étant le corridor sino-pakistanais.

La nouvelle route de la soie

Les lignes ferroviaires eurasiennes pour le transport du fret ne sont pas nouvelles. La première, qui date de juillet 2011, reliait déjà Chongqing à Duisburg (Allemagne) en 16 jours. Elles sont plus rapides et plus sûres que les voies maritimes dont les embarcations peuvent être victimes de tempêtes, de blocus, voire de piraterie. Elles sont évidemment bien moins couteuses que les voies aériennes. D’ailleurs, c’est dans un effort de réduction des coûts, que les entreprises automobiles et électroniques ont donné l’impulsion à ces longues dessertes. VW, Audi et BMW y acheminent déjà leurs composants vers les usines d'assemblage situées en Chine. Apple, HP et Acer les utilisent pour rapatrier leur production «made in China» vers leurs centres de distribution européens. En 2013, un première trajet, lancé dans le cadre de la BRI, a relié Zhengzhou à Hambourg en moins de 20 jours. En 2015, Nanchang a desservi Rotterdam en 17 jours, après avoir traversé la Russie, la Biélorussie, la Pologne et l’Allemagne. Enfin, depuis 2016, des wagons remplis de marchandises chinoises débarquent à Lyon. Un projet de train à grande vitesse, prévu pour 2026, viendra compléter ce réseau. En prolongation de l’actuelle ligne Lanzhou-Urumqi, il permettra de relier Pékin à Londres, via le tunnel sous la manche, en moins de 48 heures. 

La Route de la Soie permettra à la Chine de sécuriser ses approvisionnements,
mais aussi d’accroître son influence dans l’arrière-cour russe et au-delà.

Des projets d’installations portuaires et de plateformes de traitement du fret sont prévues dans l’Océan Indien, au nord-est de l’Afrique et en Europe à l’instar des sites de Bakou en Azerbaïdjan et de Gwadar au Pakistan. Les navires partent du sud de la Chine, sillonnent le sud-est asiatique, le sous-continent indien et parcourent l’océan Indien pour rejoindre la Tanzanie. Par la mer Rouge et le Canal de Suez, ils continuent leur voyage en direction d’Athènes pour voguer jusqu’à Venise, bouclant ainsi la ceinture. 

Enfin, la phase ultime du projet sera la mise en place d’un réseau de fibre optique permettant le transit des données informatiques le long de ces axes commerciaux. 

Des considérations géoéconomiques

La Route de la Soie permettra non seulement à la Chine de sécuriser ses approvisionnements, mais aussi d'accroître son influence dans l’arrière-cour russe et au-delà. Néanmoins, certaines régions en Asie centrale sont toujours sous tension. En Ouzbékistan, au Cachemire et au Baloutchistan, l’évolution des conflits est difficilement prévisible. 

Bien plus qu’une liste de projets disparates, la Belt and Road Initiative émane d’une vision stratégique globale comprenant plusieurs niveaux d’intérêt non seulement pour la Chine mais aussi pour les autres pays participants. Bien évidemment, c’est une manière de mettre à l’épreuve l’ordre mondial établi, sous influence américaine. D’ailleurs, le plan Marshall post-seconde guerre mondiale fut un premier type de modèle d’intégration économique. La différence fondamentale entre ces deux modèles, est que le système américain préconisait l’intégration via des traités commerciaux (qui sont d’ailleurs en train de s'effondrer les uns après les autres), alors que la BRI privilégie la connectivité physique. In fine, au-delà des aspects commerciaux, la Chine pourra étendre sa sphère d’influence géostratégique tout en écoulant ses excédents de production - notamment d’acier - en direction les marchés africains et européens. Nous aborderons, dans une prochaine chronique, le rôle des pays participant à l’initiative et quelles sont ses sources de financement.