Quand l’économie circulaire remplacera l’économie linéaire

Anne Barrat

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Le modèle «prendre-utiliser-jeter» perd du terrain, des opportunités s’ouvrent. Entretien avec Monika Kumar de Candriam.

Le biochimiste néerlandais Ad Lasink fut visionnaire lorsqu’il mit au point, au milieu des années 1930, une hiérarchie des déchets, dont l’objectif premier était de prévenir les déchets, de les réutiliser au maximum, de les limiter à néant ou presque. Fondée sur une conscience de la finitude des ressources naturelles, l’échelle de Lansink a nourri, à mesure que la pression démographique augmentait, les bases d’un modèle de réutilisation et de valorisation des ressources naturelles: l’économie circulaire. Explications avec Monika Kumar, manager du fonds Circular Economy & Climate Action de Candriam.

Le chemin a été long avant que l’économie circulaire devienne une alternative crédible.
Pourquoi? 

Une première raison tient à la complexité du concept. Il touche à plusieurs pans de la société et de vos vies quotidiennes, les déchets générés par nos activités humaines bien sûr, mais aussi et surtout les ressources consommées. Elle s’oppose à l’économie linéaire, en visant, contrairement à cette dernière, réintégrer dans les cycles de production les résidus issus de la production et de la consommation. Son objectif final étant de réduire l’impact anthropique sur l’écosystème.

«Nous consommons aujourd’hui environ 2,3 hectares par habitant quand nous devrions consommer entre 1,7 et 1,8 hectare par habitant.»

Une autre raison est d’ordre historique et coutumier, qui tient aux habitudes de la grande majorité des consommateurs jusqu’à une époque récente de jeter tout ce qui ne présente plus d’utilité. Sans la pression démographique – 3,1 milliards d’habitants au début des années 1960, 7,8 milliards en 2020, 9,7 milliards attendus en 2050 – qui, selon l’ONU, est le principal facteur à l’origine des besoins alimentaires, il est fort à parier que ces habitudes auraient perdurer. Mais, nécessité fait loi: nous consommons aujourd’hui environ 2,3 hectares par habitant quand nous devrions consommer entre 1,7 et 1,8 hectare par habitant. Ce qui signifie que la biocapacité terrestre, c’est-à-dire la capacité de régénération de l’écosystème planétaire susceptible d’être utilisée pour répondre aux besoins humains, ne suffit plus. La montée en puissance de l’économie circulaire vient directement de ces données alarmantes.

Quels facteurs précis ont permis cette montée en puissance de l’économie circulaire?

Ce sont avant tout des facteurs externes, d’ordre réglementaires. Le pacte vert pour l’Europe d’abord, lancé en décembre 2020, puis le Circular Economy Action Plan ratifié par le Parlement européen le 17 février 2021, ont joué un rôle clé dans la mise à l’honneur de ce qui était jusqu’ici essentiellement un vœu pieux. Les Etats européens sont désormais concrètement engagés dans la définition et mise en œuvre de mesures concrètes pour faire de l’économie circulaire une réalité. Gageons que sa croissance sera rapide: seuls 8,6% des déchets sont réutilisés, un pourcentage qui devrait idéalement passer à 100% d’ici 2050. Il ne s’agit pas seulement du recyclage des déchets ménagers – qui ont crû de 70% entre 1990 et 2020 –, mais de tous les résidus de toutes les productions, énergétiques notamment. 

Un autre facteur est lié à une volonté de plus en plus affirmée des consommateurs, qui ont pris conscience des enjeux.

Quel rôle joue la prise de conscience à l’échelle planétaire?

Un cercle vertueux est en train de s’installer: l’écologie, qui plaide pour l’économie circulaire quelle que soit l’orientation politique, prend de plus en plus de place chez les particuliers, qui exercent une pression sur les pouvoirs publics; de nouvelles réglementations voient le jour; consommateurs et entreprises changent leurs habitudes. L’exemple du plastique est à cet égard très parlant: de nombreux acteurs de la société civile ont tiré des sonnettes d’alarme, de nombreuses ONG notamment, sur l’effet délétère pour la biodiversité des 13 millions de tonnes de plastique jetées dans les océans, sans parler de leur impact du plastique sur la santé. Ces alertes ont payé: la directive européenne plastique de 2019 interdisait de nombreux plastiques à usage unique d’ici à juillet 2021, un objectif de collecte des bouteilles en plastique de 90% d’ici 2029 et de plastique recyclé d’au moins 25% d’ici 2025. D’autres initiatives ont été prises dans le monde, toutes concourent à pousser la mise en pratique de l’économie circulaire.

En tant qu’investisseur, comment contribuer le plus efficacement possible à l’essor de l’économie circulaire?

Notre approche bottom up consiste à sélectionner deux types d’acteurs essentiels pour la promotion de l’économie circulaire: d’une part les «enablers», c’est-à-dire les entreprises qui mettent au point des technologies innovante, d’autre part des «transformers» qui adoptent l’économie circulaire dans leur chaîne de valeur, aussi bien de production que de logistique. Dans le camp de «enablers» on trouve par exemple des entreprises de dépolymérisation, procédé permettant un recyclage infini du plastique. Dans celui des «transformers» figurent de grosses entreprises du secteur de la grande distribution qui s’engagent sur l’utilisation de 100% de contenants (sacs, sachet, paquets, etc.) biodégradables ou recyclés d’ici 2030. 

«Ne sont retenues que les entreprises qui ont un score satisfaisant au regard des Key Environmental Issues.»

Plutôt que de privilégier des thèmes, une démarche qui serait réductrice tant l’économie circulaire est en devenir et en croissance. Une croissance où la R&D est clé. Chaque jour apportant de nouvelles directions, nous regardons si les entreprises contribuent aux 4 R: remplacer (énergies renouvelables par exemple); réutiliser (augmenter la durée de vie d’un produit); rationaliser (accroître les opportunités d’utilisation d’un produit, par exemple le co-voiturage); enfin, recycler.

Dans tous les cas, ne sont retenues que les entreprises qui ont un score satisfaisant au regard des Key Environmental Issues (KEI), les indicateurs clés (KPI) adaptés au processus de sélections de l’économie circulaire.

Faut-il exclure des entreprises qi ne remplissent pas les critères ou au contraire les inclure pour les transformer? Quelle méthodologie appliquez-vous?

Nous appliquons une méthodologie complémentaire de l’analyse ESG, qui reste le 1er filtre. Nous travaillons main dans la main avec les équipes ESG. Notre approche nous conduit à exclure de l’univers du fonds (150 valeurs) des entreprises qui, pour chacun des KEY présente des manques (circular economy gaps) par rapport aux meilleures pratiques de leur industrie, par rapport à la moyenne de leur secteur, etc. Pour celui du plastique, nous utilisons 6 KEY, pour celui de la consommation une quinzaine. Prenons l’exemple d’un fabricant de shampoing: les points de sélection comprennent aussi bien la présence d’huile de palme, le type de plastique utilisé pour la flacon, les possibles controverses de l’entité de la maison mère,… ainsi que les évolutions et mesures prises pour améliorer la conformité du produit à l’économie circulaire. Donner une chance à chacune des entreprises 60 à 65 du fonds est très important à nos yeux. De même que l’est la volonté de donner une grille de lecture claire des critères de l’économie circulaire aux entreprises et à leurs les consommateurs et d’éviter des différences d’une entreprise à l’autre.

Pensez-vous qu’à (long) terme, l’économie circulaire remplacera l’économie linéaire? Quelles conditions devront-être réunies pour que ce soit le cas?

Nous irons incontestablement vers plus de circularité, non seulement parce que nous n’avons pas le choix, mais aussi parce qu’un écosystème favorable à la transition vers l’économie circulaire est là, qui va du cadre réglementaire à la pression des consommateurs en passant par l’émergence d’entreprises innovantes qui proposent des solutions disruptives pour accélérer la transition. A quand les 100%? La question reste ouverte.

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