Depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015, l’objectif climatique mondial était connu, répété et surtout chiffré: il convenait de limiter le réchauffement à +1.5°C (par rapport à l’ère préindustrielle) si l’on souhaitait pouvoir minimiser ses effets, la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes, la fonte des glaces ou encore l’élévation du niveau des océans.
Cet objectif, ce n’est un secret pour personne, avait du plomb dans l’aile à mesure que les records de chaleurs se multipliaient, mois après mois, années après années. Il a fini par voler en éclat. C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude scientifique publiée au mois de juin. Elle montre que le budget carbone dont dispose encore l’humanité avant de ne franchir la barre des +1.5°C est de désormais 130 gigatonnes de CO2, soit trois années au rythme actuel des émissions. Autrement dit, que l’objectif fixé pour 2050 risque d’être dépassé en 2028 déjà.
Alors évidemment il est toujours temps d’agir avant qu’il ne soit trop tard, même si ce trop tard ne cesse de se rapprocher. Les auteurs de l’étude soulignent d’ailleurs que le rythme de l'augmentation des émissions semble ralentir grâce au déploiement des technologies propres. Ils affirment que des réductions rapides et strictes des émissions sont plus importantes que jamais et que chaque fraction de réchauffement que nous pouvons éviter se traduira par moins de dommages et moins de souffrances pour les populations, particulièrement les plus pauvres et les plus vulnérables.
Pour cela il faudrait pouvoir compter sur les gouvernements pour renforcer les règles. Or, c’est tout le contraire qui se passe. Sans évoquer les Etats-Unis, le Conseil européen a décidé d’aller plus loin que la proposition de la Commission dans son projet «Omnibus» de simplification de la réglementation en matière de durabilité. La CSRD ne s'appliquerait ainsi plus qu'aux entreprises de plus de 1000 salariés et 450 millions d'euros de chiffre d’affaires, là où la Commission proposait 50 millions d'euros. Quant à la CS3D, elle ne serait applicable qu'aux entreprises de plus de 5000 salariés et 1,5 milliard d'euros de chiffre d'affaires, soit 997 entreprises en Europe et une réduction de près de 70% par rapport aux propositions de la Commission.
Le Conseil fédéral, comme à son habitude, n’est pas beaucoup plus ambitieux. Le 25 juin 2025, il a décidé de suspendre provisoirement la révision de l’ordonnance relative au rapport sur les questions climatiques des entreprises, en attendant de voir ce qu’il ressort de l’Omnibus européen. En d’autres termes, pendant que le dérèglement climatique s’accélère et que ses effets se font toujours plus violents, le règlement des activités humaines, lui, peut bien attendre encore un peu.
LE POINT SUR L'ACTU
Peu de temps après la tragédie de Blatten durant laquelle le monde entier a pu constater en direct les effets du dérèglement climatique, L’Office fédéral de l’environnement a actualisé son analyse des risques climatiques à l’échelle de la Suisse et leur évolution jusqu’en 2060. Accentuation des fortes chaleurs, accroissement de la sécheresse estivale, danger d’incendie en forêt accru, crues d’ampleur, inondations, mouvements de terrain, grêle et tempêtes, hivers peu enneigés, dégradation des écosystèmes. Le constat est sans appel: sur les 34 risques analysés, 12 sont d’ores et déjà jugés élevés ou très élevés.
Une autre étude publiée en juin et toujours très attendue est celle de Swiss Re sur les risques émergents susceptibles d’impacter l’industrie de l’assurance. Pour cette édition 2025, les auteurs se sont notamment concentrés sur les coûts liés aux chaleurs extrêmes. Et là aussi le constat est implacable. On y apprend par exemple que 480’000 décès sont attribués chaque année aux vagues de chaleur, soit plus que ceux causés par les inondations, les tremblements de terre et les ouragans combinés. Ou que les incendies de forêt amplifiés par la sécheresse et les températures élevées ont causé 74 milliards de dollars de pertes aux assurances entre 2014 et 2023.
Si les risques liés au changement climatique sont désormais connus de tous, il ne faut malheureusement pas (trop) compter sur les banques pour les atténuer. Le rapport «Banking on Climate Chaos 2025», qui analyse le financement des énergies fossiles par les 65 plus grandes banques mondiales, révèle qu’elles ont accordé 869 milliards de dollars de prêts aux entreprises du secteur des énergies fossiles en 2024, soit 23% de plus qu’en 2023. Et ce n’est pas que la faute des Américaines. Sur les 24 banques européennes couvertes, 13 ont augmenté leur financement aux énergies fossiles l’année dernière.
Là encore, il ne faut pas trop compter sur les autorités pour régler le problème. Aux Etats-Unis, la SEC a laissé tomber une série de règles qui visaient à lutter contre le «greenwashing» en encadrant davantage l’usage de terminologies telles que «ESG» et «durables» dans le nom et la stratégie des fonds d’investissement. En Europe, la Commission a annoncé son intention de retirer la directive sur les allégations environnementales, qui visait elle aussi à lutter contre le «greenwashing» en exigeant des entreprises qu’elles prouvent et fassent vérifier leurs affirmations écologiques. Cette décision, prise à un stade avancé des négociations, a surpris nombre d’observateurs et est perçue comme un nouveau recul du Pacte vert.
LE POINT SUR LA SAISON DES AG
La saison des assemblées générales (AG) touche à sa fin, notamment en Suisse où 193 des 204 entreprises cotées couvertes par Ethos ont déjà organisé leur rassemblement annuel. Comme l’avait laissé craindre le début de saison, et sans spoiler les résultats d’une étude qui sera publiée par Ethos à la rentrée, on a assisté en 2024 à une hausse moyenne des rémunérations des dirigeants. Les actionnaires sont cependant restés critiques sur ce sujet puisque les rapports de rémunérations ont été approuvé avec, en moyenne, 86.1% des voix. Trois entreprises (Leonteq, Tecan et Temenos) ont même vu leur rapport ou l’enveloppe de rémunération être refusé par une majorité de leurs actionnaires. A chaque fois Ethos avait recommandé de votre contre ces points de l’ordre du jour.
Il n’y a pas qu’en Suisse que les hauts salaires font grincer les dents. Aux Etats-Unis, où il n’est pas rare de voir certaines rémunérations dépasser les 50 millions de dollars, des votes contestataires ont eu lieu durant cette saison des AG 2025. Plusieurs rapports de rémunération ont ainsi été refusés, ce qui marque une opposition croissante des actionnaires aux plans perçus comme excessifs ou non-alignés avec la performance de l’entreprise. L’un des plus révélateur est certainement le «Say on Pay» de Warner Bros Discovery qui n’a obtenu que 41% des voix. Les actionnaires n’ont apparemment pas apprécié que le CEO reçoive près de 52 millions de dollars, dont 1 million en frais de sécurité personnel, tandis que dans le même temps son entreprise enregistrait une perte de 11.5 milliards de dollars.
Si d’autres rapports ont été rejetés, notamment à l’AG d’Otis World, la contestation a semblé particulièrement forte dans le secteur de la finance. Le «Say on Pay» de Goldman Sachs n’a ainsi obtenu que de 66%, contre 86% l’année précédente. Cette baisse est principalement attribuée à des primes de rétention de 80 millions de dollars qui ont été accordées au PDG David Solomon et au président John Waldron et qui ont été jugées comme excessives et insuffisamment liées à la performance par les actionnaires, selon un article payant du Financial Times. Le «Say on Pay» de BlackRock n’a quant à lui obtenu que 67% des voix, légèrement mieux qu’en 2024 (59%).
GOOD NEWS
Heureusement, quelques bonnes nouvelles sont à rapporter en ce mois de juin 2025. Ainsi, selon l’enquête ESG 2025 de BNP Paribas, la grande majorité des investisseurs institutionnels reste attachée à l’investissement durable même s’ils semblent faire preuve de plus de retenue en matière de communication que ces dernières années. 87% des sondés affirment ainsi que leurs objectifs en matière d’ESG restent inchangés, tandis que 84% pensent que le rythme de progression vers la durabilité se poursuivra ou accélérera d’ici 2030.
Le fonds de pension néerlandais ABP, l’un de plus importants en Europe avec plus de 500 milliards d’euros d’actifs sous gestion, a quant à lui sondé ses membres et ses assurés sur sa politique d’investissement et le résultat est limpide: 78% d’entre eux souhaitent que l’institution de prévoyance investisse de manière durable et responsable, contre 66% lors d’un sondage similaire réalisé il y a deux ans.
Enfin, si l’on est adepte du verre à moitié plein, une bonne nouvelle est peut-être venue de Nice où s’est tenue la troisième conférence des Nations Unies sur l’océan. Plus de 170 Etats, à l’exception notoire des Etats-Unis, ont adopté une déclaration publique, qualifiée généralement d’ambitieuse par la presse, engageant la communauté internationale à agir d’urgence pour préserver les océans. Il est notamment question de lutter plus fermement contre la pollution plastique et de créer davantage de zones maritimes protégées à l’avenir. Pour les adeptes du verre à moitié vide, inutile de rappeler que dans le même temps le président des Etats-Unis a lancé une mission de prospection minière dans les grands fonds marins…
LE CHIFFRE DU MOIS
Le volume total des investissements liés à la durabilité en Suisse a augmenté de 13% l’année dernière pour atteindre 1881 milliards de francs au 31 décembre 2024 selon l’étude annuelle du marché suisse de l’investissement durable publiée par «Swiss Sustainable Finance». Pour l’association faîtière, qui souligne qu’il s’agit d’une nette reprise après la hausse plus modérée enregistrée en 2023, cela démontre que le «backlash ESG» ne semble pas avoir atteint la Suisse.