Trump, Buffett: des champions de la communication authentique

Emmanuel Garessus

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L’authenticité estl’ingrédient essentiel d’une bonne communication, avance Stefan Bannwart. Dans son livre, il le démontre et invite les dirigeants à tomber le masque.

 

Les équipes de communication se multiplient, notamment sous l’effet des nombreux canaux et instruments intermédiaires, si bien que l’authenticité se perd. C’est, avec les Fake News, l’une des deux perversions du système dénoncées par Joseph Deiss, l’ancien président de la Confédération dans la préface que s’ouvre le livre de Stefan Bannwart: «Être soi pour convaincre» (First Éditions Paris, 2025, 176 pages). 

L’ouvrage de Stefan Bannwart entend mieux comprendre pourquoi l’authenticité importe comme facteur essentiel d'une communication convaincante, comment elle se développe, et comment peut-on rendre authentique sa propre communication – très important pour les dirigeants, financiers, économiques ou politiques. 

La lecture est facilitée par la construction de l’ouvrage en chapitres courts que terminent de brefs résumés. Elle l’est aussi par de nombreux exemples et anecdotes divertissants qui s’étendent du cinéma au sport en passant par la philosophie, la psychologie, le monde de l'entreprise et l'expérience professionnelle de l'auteur. 

L’expert en communication s’appuie notamment sur les travaux du psychanalyste Carl Gustav Jung et sur le concept d’individuation, lequel permet de devenir authentique en visant une «essence intérieure». On trouve ainsi une application particulière du célèbre précepte pré-socratique «Connais toi toi-même». L’individu est invité à enlever son masque. En société, il se présente généralement dans les habits de sa fonction professionnelle, celui d’une apparence extérieure que Jung nomme la persona. En réalité l’individu compte plusieurs sous-personnalités. Stefan Bannwart invite chacun à ne pas trop s’identifier à sa persona mais à parler vrai, à être authentique, à se porter vers une congruence entre ce que l’on exprime et à la manière dont on l’exprime. Le livre donne également une multitude de conseils concrets sur la manière de rendre sa communication authentique et convaincante au quotidien. Stefan Bannwart répond aux questions d’Allnews:

Est-ce qu’une piètre communication est une cause d’échec d’un CEO suisse? 

En cas d’échec d’une stratégie, la communication est souvent déficiente. La communication se fait à 360 degrés et elle porte sur l’ensemble des stakeholders. Un leader qui n’atteint pas ses objectifs signifie souvent qu’il n’a pas pu encourager suffisamment ses équipes à le suivre ou qu’il n’a pas satisfait ses clients et d’autres groupes. Dans la sphère financière, une mauvaise réputation peut conduire à une baisse de confiance et au pire à une panique bancaire.

Est-ce l’absence d’une communication authentique, thème de votre ouvrage, qui est en cause?

L’authenticité est l’ingrédient le plus important d’une bonne communication. Si je ne peux pas convaincre, on ne me croit plus ou on ne croit plus à mon message, si bien que l’entreprise n’est plus crédible. 

Dans un cas extrême comme une faillite bancaire, les causes sont toutefois pluridimensionnelles et ne se limitent pas à un manque d’authenticité de la communication. L’échec ne conduit pas nécessairement à la faillite, c’est le cas plus extrême. Plus fréquemment il se traduit par le mal-être des employés, l’absence d’une culture d’entreprise, une sous-performance.

«L’authenticité peut se définir comme la congruence entre l’extérieur et l’intérieur d’une personne ou d’une entreprise.»

Comment définissez-vous l’authenticité?

L’authenticité peut se définir comme la congruence entre l’extérieur et l’intérieur d’une personne ou d’une entreprise. La marque et les produits d’une entreprise représentent l’extérieur, ce que l’on montre aux clients. Pour le dirigeant, l’extérieur correspond à la persona, ce qu’il représente aux yeux du monde extérieur - à distinguer de l’être conscient-. Personne ne croit ou ne peut travailler avec quelqu’un qui s’exprime en employant systématiquement la langue de bois. Le dirigeant doit exprimer une vérité qui nous engage. Comment peut-on faire confiance à quelqu'un quand on ne ressent pas l’être humain derrière le rôle?

Lorsqu’un homme politique ne convainc pas par son message, on dit souvent qu’il ne fait que de la «comm» et qu’il n’est pas crédible. La communication n’est-elle pas devenue suspecte en elle-même?

Si tel est le cas, l’homme politique a perdu la confiance des gens.

La communication n’est-elle pas en soi un masque?

Non, pas du tout. Il arrive que dans certaines entreprises personne ne croit plus à la «Corporate communication». Ce constat est toutefois terrible et signifie que la communication a perdu son authenticité et son sens. Quand on communique, on s’engage et on échange des idées. C’est de la communication vraie et cela devrait être la réalité de l’entreprise. Une bonne communication interne et externe exerce des effets positifs pour l’entreprise.

En une génération, les effectifs des départements de communication ont explosé. Est-ce que les effets de ce développement sont positifs? Est-ce que les leaders sont devenus plus authentiques?

Le nombre de professionnels engagés dans la communication n’est en rien synonyme d’une communication authentique. Ce développement résulte d’une multiplication des chaînes de communication. Il est impossible à un dirigeant de consacrer son temps à la gestion de tous les canaux de communication. Je pense par exemple aux réseaux sociaux. La communication intègre des technicités qui ne peuvent être gérées que par des spécialistes.

La communication sur les réseaux sociaux ne traduit-elle pas l’importance croissante de l’image?

Ce domaine est effectivement devenu plus important, à l’image également de l’événementiel. En plus, un nombre croissant d’entreprises soignent leur identité visuelle. Les progrès sont réels.

«Au niveau du leadership, l’authenticité se joue sur le plan de la personne et dans l’entreprise sur celui d’une boîte à outils stratégique.»

Comment un directeur d’entreprise peut-il se former s’il entend que sa communication soit authentique?

J’ai d’ailleurs créé un programme de formation à cette fin. Il est le fruit de mes expériences et de mes réflexions. Différents aspects se complètent ici. Au niveau du leadership, l’authenticité se joue sur le plan de la personne et dans l’entreprise sur celui d’une boîte à outils stratégique. 
L’authenticité peut s’apprendre. Cela suppose que l’on sache d’où vient cette idée, comment elle fonctionne et pourquoi elle porte ses fruits. Mon livre multiplie les exemples à ce sujet, notamment sur le succès de certains acteurs. Tom Cruise est l’une des plus grands stars du cinéma et il se maintient au sommet depuis des décennies. En réalisant lui-même ses cascades spectaculaires, il se met en scène personnellement comme héros de ses films. Il réussit parce qu’il incarne parfaitement son personnage. 

Les éléments clés de l’authenticité doivent être détaillés et compris. J’évoque ici le rôle de la persona, un concept créé par Carl Jung, qui fait référence au rôle lié à la fonction incarnée dans la vie professionnelle. Un dirigeant doit jouer un rôle, mais il ne faut pas qu’il s’identifie uniquement à lui, parce qu’il ne représente qu’une partie de lui. Un CEO ne se résume pas à sa fonction. Il est aussi un homme ou une femme, avec ses propres buts et ses propres valeurs. 

Un leader est convaincant auprès de ses employés et de ses clients dès que l’on ressent une harmonie entre la fonction et la personne. Les très grands entrepreneurs ont réussi parce que leur personnalité a clairement émergé. Le public comprend très vite s’il ne s’agit que d’un masque. 
En politique, il est frappant de constater l’absence de personnalité de certains chefs d’état. Qui est vraiment Emmanuel Macron, par exemple? Qui sait ce qu’il pense vraiment? Personne n’a la réponse tant il change d’avis et donne l’impression de s’éloigner du réel.

Est-ce que Donald Trump est un communicateur authentique? A-t-il encore des zones d’ombre?

Que cela plaise ou non, Donald Trump est un bon exemple d’authenticité même s’il joue parfois avec son public. Je ne parle pas de son programme, mais de son authenticité. Il croit à ce qu’il exprime, et ça se voit. Au cours de son premier mandat, il a parfois lu des textes qui avaient manifestement été écrits pour lui, et son visage le trahissait immédiatement quand il avait un désaccord avec leur contenu.

La question de la véracité revêt bien sûr une grande importance dans la communication politique. L’expression même de «politiquement correct» signifie «mentir» et elle a été créée par le régime soviétique lorsqu’il s’est évertué à montrer que pour des raisons politiques certaines vérités ne pouvaient être dites.

Qu’en est-il des dirigeants politiques suisses?

Le Conseil fédéral s’exprime en tant que groupe si bien que le représentant d’un parti doive parfois défendre la position du Conseil fédéral qui peut être différente de la sienne. L’authenticité en souffre. L'ancien conseiller fédéral Joseph Deiss, auteur de la préface de mon livre, y écrit à ce sujet qu’un référendum est voué à l’échec si le Conseil fédéral n’est pas uni. Mais les petites dimensions du pays et des cantons sont un atout. Le Conseiller fédéral est plus proche des gens. Il est plus abordable que dans d’autres pays. Il se déplace comme chacun de nous. Et - c’est un atout- un changement de Conseiller fédéral ne se traduit pas par un changement de politique.

En finance, Warren Buffett incarne-t-il aussi l’image d’une personnalité authentique, en l’occurrence celle d’un milliardaire modeste et économe, même à l’égard de sa famille, et celle d’un travailleur acharné?

Cette image de frugalité plaît à certains groupes particuliers, mais il est vrai qu’il donne l’image d’une personne très authentique, qui dit ce qu’il pense, et qui vit en accord avec ses principes et ses investissements. Il refuse par exemple d’investir dans des domaines qu’il dit ne pas maîtriser, par exemple dans la technologie.

Le problème ne tient-il pas souvent à l’écart entre les valeurs de l’entreprise et le vécu?

Effectivement. Cest pourquoi je parle d’une congruence entre l’intérieur et l’extérieur. Le terme authentique vient du grec et signifie «vrai». Quand on est vrai, on est convaincant.

«Les très grands entrepreneurs ont réussi parce que leur personnalité a clairement émergé».

Pourquoi avoir besoin de suivre des cours de formation pour dire ce qui est vrai?

Il faut d’abord comprendre pourquoi l’authenticité est cruciale. En général, c’est l’aboutissement d’un développement personnel. La connaissance de soi arrive en priorité dans ce parcours, complété d’une boîte à outils stratégique. Aujourd’hui, pour un dirigeant, et pas seulement pour un CEO, on accorde trop peu d’intérêt au développement personnel. Il s'agit ensuite de comprendre tous les mécanismes et concepts psychologiques qui rendent la communication authentique, dont nous avons déjà abordé certains aspects, comme la Persona.

Aujourd’hui, avec l’ESG et d'autres réglementations, on est en train de réguler à l’extrême notre économie. A chaque problème, une autorité doit s’exprimer et réglementer. Des règles sont nécessaires, mais il en va d’abord de la responsabilité individuelle et de l’éthique des dirigeants. Le code de la route ne rend pas responsable tous les automobilistes. La responsabilité est du ressort de chacun.

Est-ce qu’un guide est nécessaire pour être authentique?

Je ne donne pas de cours de moralité. J’explique des mécanismes qui rendent la communication et la perception authentiques et j’offre des outils de développement personnel parce que la psychologie a développé de nombreux instruments pour mieux se connaître soi-même. 
Le CV d’un CFO révèle par exemple d’énormes connaissances en matière de finance mais très peu en communication. A côté de l’authenticité et du développement personnel, des éléments de technicité sont aussi importants et font partie de mon enseignement, par exemple pour utiliser la communication de manière stratégique, la communication en public, le storytelling, la rhétorique et la communication en cas de crise.

Ne cherche-t-on pas à éviter que l’émotion ne transparaisse dans la communication d’un dirigeant?

L’utilisation de émotions peut être à double tranchant. L’accès du public aux émotions est extrêmement important pour rendre la personne humaine, qu’on la comprenne et qu’on sente son authenticité. A ses débuts, Roger Federer avait parfois de la peine à ne pas s’énerver lors d’un tournoi. Progressivement il a mieux maîtrisé ses émotions et ses résultats sportifs se sont encore améliorés. Mais quand, après un succès, il a lâché ses émotions et pleure, le public a encore plus apprécié sa personne et son humanité. C’est un très bon exemple pour un dirigeant. Le contrôle de soi est primordial dans certaines circonstances, surtout en période de crise. Je ne crois pas qu’un dirigeant puisse réaliser de grandes choses sans jamais exprimer ses émotions à ses proches. 

Pour le public, Aristote l’a dit: On besoin de logos, d’ethos et de pathos. Si l’on ne parvient pas à toucher le public par ses émotions, il manque quelque chose.

Est-ce plus facile d’être authentique dans une entreprise familiale du fait de la congruence naturelle des intérêts? 

Il est peut-être plus facile de faire appel à la culture et à l’histoire d’une entreprise familiale mais c’est le défi d’un manager d’entreprise de créer une entreprise qui exprime du vécu. 

On constate une brutalité systémique liée à la taille de l’entreprise. Pour cette raison, la Suisse dispose d’un atout à travers son attachement au principe de subsidiarité. Quand l’entreprise est petite, la responsabilité d’un individu compte aussi davantage. Mais des grandes entreprises doivent aussi relever ce défi. Dans le monde bancaire également, il y va de la confiance du client. 

Le développement des structures de Family offices et boutiques financières pour gérer les grandes fortunes n’est pas le fruit du hasard. Il répond aux atouts des petites structures et à une demande d’humanité et d’authenticité.