Le plan qui a transformé l’Argentine

Michael Vander Elst, DPAM

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La nouvelle trajectoire de l’Argentine est clairement prometteuse, mais ses fondations restent fragiles.

© Keystone

 

«Les propositions de Javier Milei concernant la dollarisation (de l’économie argentine) et l’austérité budgétaire ne tiennent compte ni de la complexité des économies actuelles ni des leçons à tirer des crises. Elles pavent la voie à l’aggravation d’inégalités déjà criantes.» Tel était l’avertissement lancé par une centaine d’économistes qui, à l’approche des élections présidentielles de 2023, craignaient que les politiques de Javier Milei ne représentent un risque existentiel pour l’avenir de l’Argentine.

À première vue, leur inquiétude paraissait fondée. Pourtant, les électeurs lui ont accordé une victoire très nette (55,7% des voix au 2e tour du scrutin, un record depuis le retour de l’Argentine à la démocratie en 1983). Par contre, le parti de Javier Milei, «La Libertad Avanza» (LLA) n’a pas réussi à tirer parti de ce succès puisqu’il ne détient que 39 des 257 sièges de la chambre des députés et 8 des 72 sièges du sénat.  Cette faible représentation aurait pu représenter un sérieux problème dans la mesure où le nouveau président avait besoin du soutien du législateur pour pouvoir réécrire toute la politique économique argentine. De fait, il y est parvenu en courtisant les gouverneurs influents du pays, en s’appuyant sur des alliances fragiles au sein du législatif et en poussant au maximum (voire au-delà) les prérogatives de l’exécutif.

Un plan en trois étapes

Le plan de réforme du nouveau président comportait trois étapes. La première consistait à appliquer une «thérapie de choc» (dévaluation brutale du peso argentin, passé de 400 à 800 pesos pour un dollar) et à instaurer la rigueur budgétaire (réduction drastique des dépenses publiques). Résultat, l’Argentine est parvenue à dégager un excédent budgétaire, le premier depuis plus de dix ans. L’inflation qui avait atteint un record de 25,5% en décembre 2023, à la suite de la dévaluation du peso, est retombée à son plus bas mensuel depuis trois ans (2,2% en janvier 2025). Quant au taux de pauvreté, après avoir grimpé jusqu’à 55% début 2024, il revenu à 38% dans le courant de l’année.

Démarrée en juin 2024, la deuxième phase du plan de réforme portait sur la stabilisation monétaire et les réformes financières. L’un des changements importants de la politique monétaire a été le transfert de la responsabilité du paiement des intérêts de certains instruments financiers de la Banque centrale au Trésor. Ce transfert de la charge des intérêts au Tréso a permis à la Banque centrale de ne plus avoir à imprimer de la monnaie pour honorer ses obligations. La politique monétaire s’est ainsi trouvée découplée des pressions inflationnistes, ce qui permettait à la Banque centrale de relever ses taux au-dessus de l’inflation sans déstabiliser l’économie. 

La troisième phase, entamée en avril 2025, est axée sur la libéralisation du marché des changes et sur l’intégration à l’économie mondiale. Après avoir retrouvé la confiance des investisseurs, Javier Milei a commencé à récolter les fruits de ses réformes. En janvier 2025, Moody’s relevait la notation à long terme de l’Argentine (de Ca à Caa3 avec des perspectives passées de «stables» à «positives») et cette dernière a pu jouer un rôle essentiel dans la finalisation de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay).

La libéralisation du marché des changes argentin représente une étape clé de cette 3e étape de réforme. Le système complexe de taux de changes mixtes a été remplacé par un système basé sur un taux de change unique, le dollar s’échangeant librement dans une fourchette flexible comprise entre 1000 et 1400 pesos argentins en fonction de l’offre et de la demande. Cette fourchette sera élargie de 1% par mois, ce qui devrait permettre de libéraliser progressivement le marché des changes et d’éviter des chocs trop importants.

Des difficultés croissantes

Sur le papier, les réformes commencent à porter leurs fruits. Cependant, les progrès économiques à long terme s’accompagnent d’une forte baisse du niveau de vie (montée en flèche du coût de la santé, baisse des retraites, démantèlement de nombreux programmes sociaux). En février 2025, la consommation chutait de 10,2%, ce qui constituait la 15e baisse mensuelle consécutive.  Les Argentins, autrefois les plus gros consommateurs de bœuf au monde ont vu leur consommation annuelle par personne passer d’une moyenne à long terme de 73kg à seulement 48,5 kg en 2024, un chiffre qui illustre l’ampleur de l’impact des réformes.

Si les théories économiques de Javier Milei ont fait leurs preuves jusqu’à présent, le président a dû recourir à une approche particulièrement autoritaire pour les faire appliquer. Au début de son mandat, il a mis en place un protocole controversé de maintien de l’ordre public qui accordait aux forces fédérales de larges pouvoirs pour disperser toute manifestation contre les mesures d’austérité. Par ailleurs, en raison de son soutien limité au sein du gouvernement, Javier Milei a dû à plusieurs reprises élargir son pouvoir exécutif pour pouvoir passer des réformes sans l’approbation du Congrès. Même s’il soutient que toutes ses actions relèvent des prérogatives présidentielles, ses détracteurs craignent qu’elles ne contribuent à l’érosion des institutions démocratiques du pays. 

Si l’on ajoute à cela l’implication possible de Javier Milei dans deux scandales liés aux cryptomonnaies ($Libra et CoinX) ainsi que les accusations de vente de candidatures au sein de son propre parti, on comprend aisément pourquoi son soutien du public est baisse constante.  

L’impact à long terme des élections de mi-mandat

Les élections législatives de mi-mandat du 26 octobre prochain seront déterminantes pour l’avenir du président et pour son programme de réformes. Lors d’un scrutin anticipé à Buenos Aires1, ville déterminante sur le plan politique, le LLA, parti de Javier Milei, a obtenu plus de 30% des voix, malgré un taux de participation historiquement faible. Un tel résultat est de bon augure pour les élections nationales à venir. 

Cependant, si le LLA ne parvient pas à obtenir suffisamment de sièges à la chambre des députés et au sénat, les partis d’opposition pourraient profiter de ce manque de soutien pour remettre en avant l’argument selon lequel la concentration du pouvoir exécutif n’est plus justifiée. Ceci pourrait déboucher sur la limitation ou la suppression des pouvoirs spéciaux du président, voire conduire à sa destitution. La chambre des députés pourrait entraver sa capacité à gouverner par décret et le contraindre à négocier, ce qui fragiliserait son style de gestion privilégié basé sur l’autorité.

Si le président et son parti arrivent à garder la confiance du public, à éviter les scandales et les dérives autoritaires, l’avenir de l’Argentine s’annonce prometteur. Les bons résultats des réformes économiques devraient en effet coïncider avec le redressement spectaculaire du secteur de l’énergie. Grâce à l’exploitation accrue des champs pétroliers et gaziers de Vaca Muerta, l’Argentine est passée d’un déficit énergétique de 4,5 milliards de dollars en 2022 à un excédent de 5,6 milliards aujourd’hui (qui pourrait atteindre 20 milliards en 2030). Malgré ses coûts de transport élevés, l’Argentine pourrait devenir un grand exportateur de pétrole et de gaz naturel liquéfié. Par ailleurs, son secteur minier se développant, ses nouveaux projets d’exploitation de mines de lithium et de cuivre pourraient lui permettre de dégager des milliards de dollars de recettes d’exportation ces dix prochaines années.

Si la trajectoire de l’Argentine est clairement prometteuse, ses fondations restent fragiles. La réussite du pari en trois étapes de Javier Milei dépendra en bonne partie des résultats économiques, de sa résilience au plan politique ainsi que de la tolérance du public.

 

1 A noter que différentes provinces organisent leurs propres élections locales de mi-mandat bien avant les élections nationales.

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